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La démocratie représentative actuelle n’est pas une réponse valable à l’urgence écologique

mardi 23 mars 2010, par Myriam Cau

Myriam Cau est urbaniste, conseillère régionale Verts en Nord-Pas-de-Calais et élue
locale à Roubaix. Le besoin de réinvestir le politique de nouvelles missions pour lui permettre
de répondre à l’urgence écologique passe selon elle par la prise en considération des limites
de la démocratie représentative et par le renouvellement du rôle des élus désormais animateurs
d’un jeu collectif plus ouvert.

La démocratie représentative actuelle n’est
pas une réponse valable à l’urgence écologique…
mais c’est le pilier du droit et des
libertés démocratiques. S’il est hors de
question d’abandonner ce système non
encore abouti (du point de vue de la parité,
de la proportionnelle, du scrutin universel
pour tous les échelons, du non cumul des
mandats), il est nécessaire de l’ouvrir et de
l’enrichir pour qu’il soit en phase avec
l’urgence de la conjugaison des crises
environnementales, économiques et
sociales.

Confrontée à ce qu’elle sait, la démocratie
représentative reste impuissante, en Europe
comme aux Etats-Unis, pour faire face au
changement climatique. Elle n’arrive pas à
répondre aux attentes sociales. Elle se paye
de mots, dans des dérives du pouvoir
personnel, se vantant "d’aller chercher la
croissance avec les dents". Face aux enjeux
planétaires, elle propose la nation comme
un refuge identitaire. En difficulté de renouvellement
et de diversité, elle reproduit des
systèmes de pensée conservateurs ou des
schémas productivistes qu’elle aménage à
la marge. Engluée dans les cycles
électoraux, elle produit du court terme,
astreinte à produire des résultats visibles
pour la population. Et dans ce schéma de
contrainte qui a sa part de cynisme, il est
sûr que ni les générations futures, ni les
affamés du tiers-monde, ni les écosystèmes
et les espèces en voie de disparition ne
sont susceptibles de voter.

Car le fait que la démocratie représentative
soit confrontée à des formes d’incapacité
croissantes alimente le discrédit du
politique. Les institutions politiques ne
contrôlent pas l’avancée des sciences et
des techniques. Les pouvoirs économiques
extraterritoriaux leur échappent. Les élus,
les décideurs, pour agir sont confrontés à
des systèmes complexes dont, seuls, ils ne
détiennent pas les clés.

Ils ont besoin des citoyens et du dialogue
démocratique pour mobiliser les capacités
de la société civile, pour peser ou inventer
d’autres voies.
Aujourd’hui le rôle de l’élu change : il doit
développer de nouvelles capacités relationnelles
et d’adaptation, accepter de ne pas
tout contrôler d’emblée, et se poser en
animateur.

Sa mission politique est de proposer une
ambition qui puisse s’inscrire dans un récit
collectif. Il doit produire du sens dans un
monde où la démobilisation, l’individualisme
effritent le ciment de la cohésion,
l’envie et la volonté d’un destin commun à
bâtir.

Ce qui sauvera la démocratie représentative
sera donc sa capacité à inclure plus
largement dans le jeu du pouvoir la société
civile, les citoyens, les acteurs. Le niveau de
conscience de la société civile est inégal
mais solide, et susceptible de monter en
qualification. Il s’appuie sur la diversité des
expertises et des savoirs, des niveaux
d’autonomie non inféodées aux lobbies,
des précurseurs, des lanceurs d’alertes, des
militants.

Si l’on sait dépasser les jeux de rôle
défensifs, l’enjeu est de favoriser de
nouveaux agencements d’acteurs sur des
objectifs partagés. Alors, les capacités
sociales de dépassement pour une cause
ou un projet qui font sens collectif sont vite
acquises. La force du collectif est un moteur
puissant pour l’action. C’est pour cela que
la démocratie participative, qui élève la
conscience collective de la société, vient
enrichir la démocratie représentative.

Elle constituera peut être le pont au dessus
du fossé entre élites et citoyens, qui "lui"
peut détruire la démocratie tout court.

L’impuissance du politique s’exprime particulièrement face à l’économie mondialisée…

En effet, le politique ne détient plus que
des leviers de pouvoir partiels face à la
mondialisation des échanges et de la
finance. Or, cette faible capacité concerne
une question fondamentale pour les
citoyens : l’emploi et le partage des
richesses.

Face à la déterritorialisation des centres de
décisions économiques, face aux stratégies
de Monopoly mondial des grandes entreprises,
le poids des élus, même les plus
volontaristes, pèse peu. Le dialogue élu/
entreprise qui a longtemps fonctionné pour
négocier des aménagements et des
compromis sociaux et territoriaux faisait
appel à des intérêts communs. Les entreprises
ancrées sur un territoire leur
procurant des ressources s’inscrivaient dans
une histoire, avec parfois un sens de la
responsabilité collective. L’élu, dans sa
fonction de médiation, avec le patron, avait
au moins un interlocuteur. Le paritarisme en
est né à Roubaix sur les enjeux aigus du
logement à la fin de la 2ème guerre
mondiale. On en viendrait à regretter le
temps du capitalisme familial dont on a
pourtant tant combattu le paternalisme.
Mais les excès du capitalisme sauvage
actuel ne doivent pas rhabiller de nostalgie
les luttes pour le progrès social âprement
négociées dans le passé.

J’ai été témoin engagé dans la lutte contre
la délocalisation des activités papetières
d’une multinationale américaine (à
Maresquel, territoire rural du Pas-de-Calais).
La reprise des activités sur le site était
possible, sur des procédés écologiques
innovants, en instaurant un lien avec la
production agricole alentour. Les salariés
du site, bel exemple de solidarité ouvrière, étaient appuyés par ceux provenant de
Stora Enzo (autre entreprise papetière internationale
en restructuration dans le bassin
minier). Ingénieurs et fédération papetière
française étaient de la partie, la région
pouvait intervenir (études, investissement
dans les machines à racheter, quasi fonds
propres, etc.). Las, jamais n’a pu s’instaurer
une négociation avec les vrais interlocuteurs,
confrontés à des correspondants en
France jouant les partitions pré-écrites aux
USA. Il fallait fermer, démonter les machines
et surtout empêcher de laisser se reconstituer
sur ce territoire une activité rentable
de papier à base de chanvre, éventuellement
concurrente de la production de
papier à base de pâte de bois (plus polluante
et énergivore), pour cette entreprise
américaine détentrice de milliers d’hectares
de bois dans le nord de l’Europe.

Les élus, même volontaires et compétents,
même poussés et soutenus par les
syndicats et la population, sont démunis
face à des règles du jeu faussées. Il restait
à mettre en oeuvre dans ce cas une
nouvelle loi : la possibilité d’exproprier un
outil de production pour cause d’utilité
publique, sociale et écologique. Après tout,
on le fait bien pour le foncier d’un
échangeur autoroutier, pourquoi pas pour
une machine industrielle ? Il faudrait pour
cela être prêt à faire face aux lobbys économiques
qui ont inscrit la liberté totale
comme droit fondamental de Saint-
Business. Quel parti est prêt à se confronter
au Medef et au cumul des intérêts et des
dépendances économiques ? Car le fait est
là, on voit comment réussir la transformation
de l’économie pour mieux répondre
aux urgences sociales (conserver de
l’emploi sur un secteur très touché) et
écologiques (diminuer l’empreinte écologique
de la production industrielle,
consolider un territoire rural sur des
agromatériaux utiles à la collectivité,
privilégier des circuits courts…), on est près
de réussir. On a besoin de fortes volontés
politiques coordonnées à chaque échelle
Europe/Etat/région/local pour commencer à
sortir des errements du productivisme et de
ses dégâts pour les hommes. Ce que je
veux dire, c’est que cela n’est pas inéluctable…
Le politique n’est pas condamné à
rester seul et combattre, tel Don Quichotte,
les multinationales prédatrices.

Peut-être une autre conception de l’action
politique, qui acte des insuffisances de la
démocratie représentative, est-elle plus
efficace à pouvoir agir sur le cours des
choses et répondre aux attentes des
citoyens. Cette autre conception privilégie
la co-production collective d’une stratégie,
d’un projet et de sa mise en œuvre.
Aujourd’hui, il n’y a plus de principe
d’autorité qui fonctionne : l’élu d’en haut
ne peut décréter une politique publique
qui suppose que de multiples acteurs en
assurent la réussite. L’agencement des
acteurs, la mobilisation des citoyens,
renforcent l’intelligence collective : c’est
indispensable pour toute politique publique
aujourd’hui qui prétend parler aux gens
d’intérêt général et de biens communs,
tout en respectant des libertés citoyennes.
Il n’y a pas d’injonction démocratique qui
tienne, il y a de l’envie à créer, de la
confiance et de la crédibilité à instaurer.
C’est un contrat nouveau à instaurer avec
le citoyen.

Tout territoire aujourd’hui veut récupérer
un pouvoir à composer son destin : la reterritorialisation
de l’économie est un
horizon que nous voyons. C’est l’un des
points de programme défendu par les Verts.
Cela suppose de ré-ancrer progressivement
les processus de production de biens et de
services dans une relation au territoire et
aux bassins de vie. Développer l’économie
résidentielle assise sur les besoins de
consommation locale, s’appuyer sur les
ressources et potentiels locaux, inscrire des
circuits courts en agriculture ou en
production manufacturière, mettre en
œuvre le 4ème facteur des biens immatériels
et de l’économie de la connaissance ;
ce n’est pas de l’autarcie, c’est de l’autonomie
à bâtir, s’appuyant sur une reprise en
main collective de multiples coopérations…
Cela est possible, mais oblige à intégrer un
autre modèle de vie et de consommation,
plus sobre et équitable. Cela supposerait
tellement d’agir, que la sidération paralyse
et que le quotidien facile avale les envies
avortées de remise en cause.

Les partis, leurs représentants élus sont-ils
capables de repenser les logiciels qui continuent
de faire de la croissance l’Eldorado
d’une société comblée ?

Assurément non aujourd’hui, le renouvellement
politique est insuffisant et le rythme
des élections ne favorise pas le portage de
visions de long terme.

L’action politique est marquée par les
contraintes de la démocratie représentative
avec processus électoral à cycle court. Pour
chaque élu, la réussite et la rentabilité
"électorale" de ses actions forment un
cadre de contrainte pour la survie de son
destin individuel.

L’élu est la résultante d’un parcours
individuel, et le produit d’un parti politique
et de son idéologie. La plupart des grands
partis sont vieux et portent le poids
estimable de leur histoire, des Gaullistes à
l’UMP, de la SFIO au PS, mais cette histoire
pèse et leste.

Comme dans tout système complexe, le
changement de cap nécessite alors un
déploiement d’énergies énormes, un sens
du collectif qui fait défaut, et une vision
forte que parfois seul un leader charismatique
arrive à faire partager.

De plus, la démocratie représentative de
fait ne produit pas aujourd’hui un personnel
politique suffisamment diversifié : il comporte globalement plus d’hommes conservateurs
de cinquante ans ou plus. Des
processus de notabilisation, de clientélisme
accentuent la perte d’autonomie de l’élu
pour qui il devient difficile de s’émanciper,
et de la ligne idéologique admise, et de la
course à l’échalote des désignations.

La reproduction politique devient sa propre
finalité, et les enjeux qui requestionnent de
façon novatrice les idéologies traditionnelles
passent au second plan. Ainsi en est-il
de la question écologique au parti socialiste…
Une vision productiviste, où le progrès
technique par magie trouvera des solutions
à temps, reste dominante.

Bien sûr, les Verts représentent l’écologie
politique. Ils se sont constitués il y a vingt
ans sur le postulat d’un développement
durable qui préserve l’intérêt des générations
futures autant que ceux des
générations actuelles, qui relie à l’échelle
mondiale les inégalités humaines avec
notre responsabilité ici. Mais les Verts, qui
disposent des pré-requis idéologiques, ont-ils
acquis un pouvoir suffisant dans la
démocratie représentative pour apporter
des réponses qui pèsent face à l’urgence
écologique ? Aujourd’hui non, la démocratie
représentative continue de reproduire un
système où la diversité et les minorités ont
peu de place (18 % de femmes à
l’assemblée nationale, quatre députés
écologistes). Les régions, par leur scrutin
proportionnel, sont la seule instance
politique qui fait une place équitable aux
partis émergents. Et là, les réalisations
abondent, montrant que l’action politique
peut rejoindre une vision des équilibres du
monde et des urgences planétaires.

Pour autant, la montée dans l’opinion de la
conscience écologique est certaine, les
partis traditionnels commencent à s’en
saisir. Mais si la question des emplois verts
comme gisements d’activités est partagée
par tous les partis, lesquels aujourd’hui
seraient-ils prêts aux inévitables remises
en cause d’un modèle insoutenable dont
les plus pauvres paieront le plus lourd
tribut ? Alors que l’on sait que le prix de
l’inaction sera plus cher que le coût de
l’action (cf. le rapport de l’économiste
anglais Stern), le modèle productiviste a
encore d’innombrables défendeurs.

"La manière dont nous avons conçu le
progrès pendant des décennies nous joue
des tours aujourd’hui. Le temps n’est
malheureusement plus à déplorer ce qui va
nous arriver (ou à plaindre les générations
futures) puisque c’est en train de nous
arriver. Les générations futures, c’est
nous !" (Laurent Cordonnier)

La réponse justement réside certainement
en partie dans notre capacité à rénover
notre façon de faire de la politique, avec
une approche démocratique ouverte où
l’élu est l’animateur d’une ambition
politique qu’il confronte à la société civile,
aux acteurs économiques, aux citoyens
pour faire émerger cette capacité collective
d’action dont lui-même dépend tellement.

L’élu, même légitimé par le suffrage
universel, n’est pas le seul détenteur d’une
vision des biens communs, et des façons
de les produire. Cette conscience à partager
passe par le débat, l’élévation des connaissances
sur les sujets dont on débat. La
perception des enjeux pour ici et là-bas,
maintenant et demain, les citoyens l’ont
ou peuvent l’acquérir. Face aux vrais enjeux,
l’intelligence et la générosité des gens sont
sans borne. Le débat sur le traité européen
l’a montré : le goût du débat et de la
controverse sont vivants en France. Et ce
n’est pas sur des concertations alibis, ou la
place des bancs dans le square, que l’on
crédibilisera le dialogue citoyen.

Les enjeux les plus essentiels sont à la
portée des gens : l’avenir de leur enfants,
la raréfaction des ressources, l’après-pétrole,
le partage des richesses… L’urgence
aujourd’hui exige d’aborder ces enjeux et
de déclencher les engagements individuels
et collectifs.

Encore faut-il de la considération des
personnes, du dialogue, des informations
de qualité, du temps passé et des lieux
d’échange, des règles du jeu… L’élu est un
organisateur : respect de l’écoute de tous,
agenda de la production collective, mise à
disposition de moyens permettant la
qualité des processus. Pour cela, la
démocratie participative fourmille de
méthodes et d’outils qui structurent,
mettent en évidence divergences et
consensus, éclairent les décisions à
prendre… Cela nécessite de rendre des
comptes sur ce que l’on fait effectivement
de l’apport des uns et des autres.

Avec cette conscience qui monte, cette
envie de valeur et de sens, nous devrons
donc être nombreux à défendre une autre
voie : moins d’avoir et plus de mieux-être,
une justice dans la réponse aux besoins
fondamentaux de tous, et une société où
l’on valorise aussi ce qui ne s’achète pas :
le plaisir d’être ensemble, la coopération, le
goût d’apprendre et d’échanger… Dans
cette société, la démocratie est plus
ouverte. Elle est passée par un profond
changement culturel, en élargissant les
multiples expériences existantes qui ont
annoncé que l’on pouvait faire de la
politique autrement, pour mieux répondre
aux besoins présents et futurs, dans un
souci de solidarité planétaire.