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Vandana Shiva, l’écoféminisme au Sud
mercredi 3 mai 2006, par
Une voix nous vient de l’Inde : elle lie la défense des conditions féminines à celle de l’environnement. Physicienne et militante, Vandana Shiva dirige le réseau Research Foundation for Science, Technology and Natural Resource Policy.
Il était une fois une jeune fille qui se passionnait pour Albert Einstein et se destinait à la physique nucléaire. Les forêts de chênes de sa région natale l’ont engagée dans une autre histoire. Dans les années 70, c’est le mouvement de femmes Chipko qui a initié sa vision de l’écologie : dans le Dehra Dun où elle est née, il se battait contre la destruction des forêts par les industries afin de préserver des modes de gestion collective et des usages communautaires d’un milieu de vie. Son engagement dans ce mouvement l’a incitée à se questionner plus avant sur un autre modèle pour la recherche scientifique et fonder une association. Son objectif : transformer et reconnecter la pratique scientifique avec les problématiques soulevées par les mouvements de femmes, essentiellement face à l’offensive et l’impact violent des biotechnologies.
C’est dans les croyances, les perceptions, la sagesse, les relations de ces femmes paysannes considérées comme incultes, marginales ou sous-développées à l’environnement, leurs batailles pour la gestion des ressources, de l’eau, de la terre contre les dépossessions, privatisations dont elles sont victimes, que Vandana Shiva a trouvé la perspective de son écoféminisme. Loin de toute théorie académique, il s’agit pour elle de rendre visibles les autres modes de développement "invisibles" soutenus par les femmes "colonisées" dans leur corps et leurs moyens d’existence par le développement et les formes de pouvoir capitalistes, de définir ce qu’elle a théorisé avec Maria Mies sous le terme de "perspective de la subsistance". Rien à voir évidemment avec ce que l’on entend généralement par "économie de subsistance", mais plutôt avec l’idée de pratiques réelles de production des femmes, toute une variété, diversité de modes de relation aux humains et non-humains, de production d’un mode de vie et de règles d’usages non exclusifs fondés dans un commun qui concerne toute la biosphère. Il s’agirait bien plutôt d’une perspective d’abondance de la diversité des multiples richesses des économies morales contre les raréfactions homogénéisantes, uniformisantes et destructrices des économies de marché.
Les rôles, les productions, les savoirs des femmes associées pour maintenir, promouvoir des pratiques agroécologiques, préserver et développer la biodiversité, protéger et étendre des systèmes de savoirs collectifs partagés et réglés par une appartenance communautaire a constitué ainsi l’axe des multiples batailles que Vandana Shiva a menées et mène toujours du plus local, devant les tribunaux indiens pour lutter contre le brevet américain sur le riz basmati, au plus global, à l’ONU, dans les Forums sociaux, pour s’opposer à l’offensive des droits de propriété menée par les multiples institutions du capitalisme international.
Les multiples stratégies des états et des firmes pour l’appropriation du vivant et du savoir, le brevetage des semences et des plantes imposé par l’OMC, les manipulations génétiques pour naturaliser et rendre disponibles à l’exploitation des formes de vie, les normalisations pour interdire, détruire des relations d’usages fondées sur des droits collectifs, des biens communs, la disqualification des savoirs non reconnus comme scientifiques, sont autant de stratégies de pouvoir qui détruisent non seulement la biodiversité, mais des pratiques, des savoirs, des attachements singuliers avec ce qui peuple ce que nous appelons la "nature".
C’est pourquoi dans de nombreux pays des Tiers monde, les femmes, principales pourvoyeuses de nourriture, de soins, de santé et principales victimes du terrorisme du développement, construisent des alternatives autour d’une "nouvelle vision" diversifiée qui remet en cause tous nos paradigmes intellectuels, mais nous invite à penser ce que peut-être une politique qui n’est plus fondée sur un référent unique.
Didier Muguet
Maria Mies et Vandana Shiva, Ecoféminisme, L’Harmattan, 1998.