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Le municipalisme libertaire de Murray Bookchin
mercredi 3 mai 2006, par
Murray Bookchin, anarcho-communiste né le 14 janvier 1921 à New York, est connu aux Etats-Unis pour son mot d’ordre "Démocratiser la république et radicaliser la démocratie". Considéré comme l’un des grands penseurs de l’écologie sociale et radicale, passé dans sa jeunesse par le trotskisme, c’est principalement comme théoricien et défenseur du municipalisme libertaire qu’il s’est fait connaître auprès des écologistes en Europe.
Pour Murray Bookchin, la gestion des affaires publiques assurée autrefois au sein des assemblées locales et citoyennes est passée progressivement entre les mains de professionnels de la politique et des bureaucrates avec l’émergence de l’Etat-nation. Cette confiscation du pouvoir du plus grand nombre par quelques uns justifie à ses yeux de mener une "politique révolutionnaire" c’est-à-dire, selon ses propres termes de "créer un pouvoir parallèle afin de défier l’État-nation et de le remplacer par une confédération de municipalités démocratisées".
Le municipalisme libertaire a un sens bien précis pour Murray Bookchin. Il s’agit d’une force propre à la sphère politique ayant pour visée stratégique la constitution d’un cadre institutionnel, municipal et éventuellement confédéral, qui donne à chacun les moyens d’une participation libre et active, pleine et directe, aux décisions de gestion de la vie citoyenne locale. Dans l’esprit du co-fondateur du Left Green Network (l’équivalent du parti des Verts aux Etats-Unis) à la fin des années 80, cette force politique peut et doit prendre si nécessaire des formes populaires extra-légales. Le municipalisme libertaire peut aussi se donner les moyens économiques de ses ambitions, comme par exemple développer des coopératives. Toutefois, si la place accordée par Murray Bookchin aux coopératives dans le municipalisme libertaire est réelle, celle-ci doit être précisée. Source d’apprentissage à l’autogestion populaire, nombre d’entre elles sont dénoncées par Murray Bookchin comme étant des antichambres au développement d’organisations hiérarchiques et capitalistes. En effet, l’écologiste américain établit une distinction entre les coopératives au sens conventionnel (coopératives privées ou de fédération de coopératives privées) et les "coopératives appartenant à la municipalité" qui seraient la "propriété" d’une communauté réunie en assemblée populaire. Dans ce dernier cas, les coopératives ont la propriété de la communauté et les citoyens ont la responsabilité morale de les perpétuer. Ces coopératives feraient donc barrage au développement d’un marché bourgeois, concurrentiel et anonyme, toujours pour reprendre les mots de Murray Bookchin.
Ajoutons que le municipalisme libertaire n’a de raison d’être qu’au sein des villes. Pour Murray Bookchin, les villes sont le siège d’une civitas construite rationnellement (sur la base de rapports directs des individus entre eux). Elles sont aussi le lieu de prédilection de la laïcité au regard de laquelle les notions d’ "étranger" et de "peuple" sont non avenues. C’est dans les villes enfin que dans leur plus grande majorité, les individus ont pu devenir des citoyens libres et égaux en droit. Aujourd’hui, constate Murray Bookchin, les citoyens ne sont plus que des "mandants" ou bien encore des "contribuables" finançant des juridictions étatistes. Aussi, le mouvement municipaliste libertaire doit chercher à reconquérir les libertés civiques, à les étendre ou les utiliser comme tremplin pour en créer de nouvelles qui stimuleront la participation de l’ensemble de la population.
Plus généralement, dans une société telle que la souhaite Murray Bookchin, seule l’assemblée populaire décide des politiques de l’économie toute entière. Pour lui en effet, la simple prise de possession d’une usine et sa gestion par les travailleurs ne font pas disparaître la logique économique du profit ni les comportements d’enrichissement ou son corollaire, l’idéologie individualiste. Selon Murray Bookchin, le contrôle et la gestion par les travailleurs peuvent facilement aboutir à un résultat inverse à celui souhaité : les travailleurs "se particularisent" pour apparaître comme des agents (pire, des fonctionnaires) du capital. En 1936, dans la Barcelone anarcho-syndicaliste, Murray Bookchin rappelle que les travailleurs dans les industries du textile n’ont cessé de s’opposer à ceux ayant pris possession d’un atelier similaire. En d’autres termes, ces travailleurs devenaient souvent des capitalistes collectifs et agissaient comme tels en entrant en concurrence les uns avec les autres pour l’accès aux matières premières et aux marchés. Tout cela est arrivé, souligne Murray Bookchin, en dépit du fait que ces travailleurs étaient des anarchistes réunis sous le même drapeau noir et rouge et qu’ils adhéraient au même syndicat. Résultat : le syndicat a dû réglementer les industries pour empêcher ces pratiques de capitalisme collectif. L’ironie, c’est que la bureaucratie du syndicat, conclut Murray Bookchin, a pris le contrôle des usines et a dû diminuer le contrôle par les travailleurs afin de maintenir une sorte d’approche coopérative.
Patrick Dieuaide
Pour des compléments d’informations, consulter les sites suivants :
http://perso.wanadoo.fr/libertaire/archive/2000/230-ete/bookchin.htm