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La bataille des OGM

octobre 2002, par Arnaud Apoteker

Ce n’est pas si souvent que des mobilisations citoyennes parviennent à
infléchir l’innovation technique et bloquent un mouvement de concentration
capitaliste (en l’occurrence entre pharmacie et agrochimie). Alors que les
pressions pour que l’Europe s’ouvre à la culture des OGM s’intensifient,
nous revenons avec Arnaud Apoteker de Greenpeace, sur la dynamique et les
perspectives des résistances citoyennes au capitalisme BioTech.

EcoRev’ : Comment Greenpeace en est-elle venue, parmi tous les autres sujets qui vous mobilisent, à intervenir dans le débat sur les OGM ?

Arnaud Apoteker : Dès 1991, dans le cadre de la campagne sur les pesticides que je menais à Greenpeace, nous suivions l’évolution et l’actualité des OGM. Nous avons par exemple mené une action contre des expérimentations de maïs OGM Bt dans une parcelle de l’INRA à Colmar en mai 92 alors que se discutait la transposition de la directive européenne 90-220. Mais la campagne n’a pu réellement devenir publique qu’avec l’arrivée, à l’automne 1996, des premiers OGM dans l’assiette des consommateurs européens.

E. : Une première victoire partielle est en février 1997 la décision du gouvernement de refuser la mise en culture des OGM en France. Comment l’analyses-tu ?

A.A. : Autoriser la mise sur le marché, c’est-à-dire les importations de maïs transgénique et, en parallèle, interdire sa culture marque la schizophrénie du gouvernement Juppé et annonce le basculement de la politique française vis-à-vis des OGM. Héritière d’une tradition "scientiste" et d’une position très favorable aux OGM par les précédents gouvernements (qui instruisaient les dossiers qu’elle a eu à traiter), prisonnière des lobbies industriels et politiques, Mme Lepage a senti les réticences de l’opinion publique, mais n’a pas eu le courage d’interdire totalement ce maïs transgénique.

E. : Mi 1997, le gouvernement Jospin reprend le dossier, avec une ministre verte à l’environnement… Pourquoi selon toi Dominique Voynet signe-t-elle l’arrêté autorisant la mise en culture du maïs transgénique Novartis ?

A.A. : Le gouvernement Jospin n’a pas senti à quel point les citoyens français étaient opposés aux OGM. Je considère que Voynet n’avait absolument pas pris la mesure des conséquences de la signature de cette autorisation. Elle l’a signée en échange de concessions qu’elle considérait plus importantes. Le parti Vert n’était alors que modérément mobilisé sur les OGM. Enfin, il faut dire que Voynet était totalement isolée au sein du gouvernement sur cette question. A l’époque, nos échanges avec les différents cabinets nous avaient permis de sentir à quel point "l’ambiance" gouvernementale poussait pour l’autorisation de mise en culture. Etre critique vis-à-vis des OGM était alors considéré par les acteurs dominants comme être irrationnel.

E. : Comment expliques-tu les victoires de la résistance citoyenne aux OGM en 1998-99 en France et en Europe ?

A.A. : Parmi les nombreux facteurs qui expliquent ces changements politiques, on peut citer l’efficacité de la campagne de Greenpeace et des autres mouvements sociaux qui s’y sont associés, une défiance très grande du public vis-à-vis des experts suite aux désastres de la vache folle et du sang contaminé, un ras-le-bol de la "dictature" des multinationales et de l’OMC qui tentent de nous imposer des produits dont on ne veut pas, le rejet de la mal-bouffe et le désir de retrouver une alimentation et une agriculture en phase avec la nature.
Je crois qu’en France notre recours au Conseil d’Etat et la suspension de l’autorisation de mise en culture pour manquement au principe de précaution a ouvert en 1998 une brèche importante. Cette victoire symbolique forte fut une première juridique qui a installé le principe de précaution dans le droit public français. Cela aura des répercussions dans de nombreux autres domaines de l’environnement.

E. : Et la synergie avec les mobilisations altermondialistes, vers la mi 98, avec l’entrée en scène notamment de la Confédération paysanne (destruction de semences OGM à Nérac) puis d’Attac ?

A.A. : La synergie avec les mouvements anti-mondialisation (actions contre Mac Donald) a été décisive. Les OGM sont un des symboles les plus visibles de la mondialisation. Il est normal que ces mouvements, actuellement très actifs, aient mis en avant d’autres risques liés aux OGM.

E. : Le volet « info-conso » de votre campagne était un mode d’action nouveau pour vous. Quel a été son rôle pour faire basculer, en domino, les distributeurs puis l’industrie alimentaire ?

A.A. : Puisque nos responsables politiques avaient autorisé les importations et la mise en culture d’OGM, sans rien prévoir pour informer les consommateurs, il nous fallait trouver un moyen pour que les citoyens puissent exprimer leur rejet des OGM : d’où le réseau « Info Conso ». En l’absence d’étiquetage, Greenpeace a décidé de demander aux fabricants s’ils utilisaient des OGM et de rendre leurs réponses (ou non-réponse) publiques. Nos listes, dont le succès nous a vite dépassés, ont montré que les consommateurs voulaient être informés, notamment pour refuser les OGM. 
Parler de stratégie des dominos est peut-être un peu exagéré, cependant nous pensions, à raison, que lorsque les premiers (distributeurs ou fabricants), sous la pression des consommateurs, annonceraient qu’ils refusaient les OGM dans leurs produits, les autres suivraient. Il était important qu’un des 3 gros fabricants de produits alimentaires (Danone, Nestlé ou Unilever) cède à la demande des consommateurs en faveur du non-OGM pour que les autres suivent. Et les réponses de ces trois grands fabricants nous sont arrivées à très peu d’intervalle !

E. : Cette démarche envers les consommateurs a aussi permis à Greenpeace d’élargir sa « base sociale », jusqu’alors assez étroite en France…

A.A. : Oui, et c’est tant mieux ! Le nombre de donateurs a beaucoup augmenté à cette époque : la liste, et la campagne dans son ensemble, y ont contribué.

E. : Comment analyses-tu les évolutions récentes du débat sur les OGM en France et en Europe alors que la Commission Européenne prépare leur retour ?

A.A. : Les résultats du débat des 4 sages, qui a eu lieu en février 2002, sont très encourageants : tant qu’on débattra de l’acceptabilité des essais en champ, il me paraît difficile que des cultures commerciales puissent avoir lieu. Et les efforts de la Commission Européenne pour relancer les OGM ne semblent pas pour le moment avoir d’effet. Au contraire certains Etats membres semblent durcir leur position. Mais les enjeux sont tels que la pression va s’accentuer…

E. : Quelle est la stratégie de Greenpeace au niveau mondial : avez-vous des campagnes fortes dans les pays producteurs d’OGM ? Où sont les lignes de faiblesses qui peuvent être exploitées ?

A.A. : La campagne de Greenpeace est essentiellement ciblée sur les citoyens-consommateurs. Le raisonnement est simple : s’il n’y a pas de marché pour les OGM, alors on ne les cultivera pas. Nous menons aussi des campagnes fortes dans les pays producteurs ou potentiellement producteurs d’OGM, comme le Brésil, où nous essayons de convaincre que le marché est plus attrayant pour les cultures non-OGM. Dans le même temps, nous nous battons pour que soient adoptées partout des réglementations sur l’étiquetage des OGM, y compris dans l’alimentation animale, débouché principal des OGM.

E. : Pourrait-il y avoir un jour pour vous des OGM acceptables ? Peut-on imaginer une relance des plantes transgénique en Europe, sous condition d’utilité écologique ou alimentaire prouvée, d’évaluation et de gestion systémique des risques de dissémination (cf. les propositions de P.-H. Gouyon), d’une procédure d’Autorisation de Mise sur le Marché aussi rigoureuse que dans le cas des médicaments (cf. propositions de G.-E. Séralini), et à la condition d’un retour à la non brevetabilité du vivant ? Serait-ce un « deal acceptable » ?

A.A. : Je ne crois pas qu’il y ait de compromis acceptable pour des disséminations d’OGM - même produisant des médicaments - étant donné les dangers de dissémination dans l’alimentation quotidienne (comme l’a illustré le scandale Starlink), ni de procédures acceptables pour tester les dangers des OGM sur le long terme. Et des procédures de type AMM médicaments rendraient le coût des semences transgéniques tellement prohibitif qu’elles ne seraient pas acceptées par l’industrie des semences.

E. : Les résistances citoyennes en Europe ont eu pour effet de bloquer le mouvement de concentration entre Pharmacie et Agrochimie. Des groupes qui avaient investi précocement dans les OGM (comme Monsanto) ont connu des difficultés et l’on voit aujourd’hui les sociétés agribiotech se faire racheter par de nouveaux entrants comme BASF ou Bayer, c’est-à-dire par la bonne vieille grosse industrie chimique européenne (à bas prix en pariant sur le moyen terme). N’y a-t-il pas un risque que les résistances citoyennes aux OGM se limitent à arbitrer à la marge ces jeux financiers entre grandes firmes multinationales en lutte pour contrôler le capitalisme biotech ?

A.A. : Aux citoyens de faire qu’il en soit autrement. Mais, ceci dit, ce redéploiement aurait, sans doute, malgré tout eu lieu car les retours sur investissements sont trop différents dans ces domaines. Mais le débat sur les OGM aura eu tout de même des effets plus généraux sur la façon de débattre des nouvelles technologies, du rôle de la recherche et de son lien avec la société, de la définition des risques acceptables par la société, etc. De nombreuses questions de démocratie ont été soulevées à propos des OGM et le seront dorénavant pour d’autres sujets liant la science et la société.

E. : Greenpeace va-t-elle investir la question de la biomédecine avec notamment la génomique dont les impacts sociaux vont être énorme, et où des succès pourraient modifier la perception des OGM ?

A.A. : Greenpeace n’a pas l’intention d’intervenir sur d’autres aspects du génie génétique que la dissémination d’OGM dans l’environnement. Ce sont les questions écologiques qui fondent notre démarche et non pas les aspects sociaux du débat. Je ne crois pas que les OGM médicaux préparent l’opinion à un changement d’attitude par rapport aux disséminations d’OGM.

E. : Ce qui frappe par rapport au faible débat sur le génie génétique dans les années 1970 en France, c’est combien dans les années 1990 la communauté scientifique est devenue perméable à l’action polarisante de groupes citoyens (cf. « l’appel des scientifiques » lancé en France par Ecoropa en 1996, ou l’impact important que Greenpeace a eu en médiatisant en France l’affaire du papillon Monarque). Au-delà de ce rôle, crois-tu que Greenpeace devrait renforcer sa capacité de contre-expertise en se dotant de laboratoires de recherche ?

A.A. : Je ne crois pas que Greenpeace ait les moyens d’une bonne expertise scientifique sur les OGM. Je crois en fait qu’aujourd’hui une bonne expertise sur les OGM, ça n’existe pas. Nous n’avons pas les outils méthodologiques pour modéliser les flux de gènes à long terme, mener des études toxicologiques à long terme, ou encore faire de la prospective sur les changements socio-économiques susceptibles d’être causés par les OGM. Il y a des domaines où l’on peut avancer dans la connaissance des phénomènes, et donc des risques. Mais pour les OGM, il y a un degré d’incompressibilité des incertitudes, qui peut être diminué, mais jamais éliminé, et il impose, puisque les phénomènes de pollution génétique sont irréversibles, de ne pas disséminer d’OGM dans l’environnement.
Ce que Greenpeace fait et peut faire, c’est poser les bonnes questions, montrer du doigt toutes les zones d’incertitude et dénoncer les fausses affirmations scientifiques des promoteurs des OGM.

E. : Mais dénoncer les fausses affirmations scientifiques c’est tenir un discours de vérité dont l’autorité repose elle aussi sur celle de la science. Au-delà d’une utilisation « pragmatique » des travaux scientifiques allant dans votre sens, quelles sont les propositions de Greenpeace quand à l’organisation du système scientifique lui-même, qui est si important pour identifier et crédibiliser les risques ?

A.A. : Ces questions sur l’orientation de la science sont complexes. Il est clair que nous déplorons que tant d’argent soit dépensé pour la recherche sur les OGM (qui ne permettra pas de nous en accommoder) et si peu sur l’agriculture biologique, tout comme nous sommes scandalisés des différences de ressources dals la recherche nucléaire par rapport aux énergies renouvelables. Il faut que la recherche publique, financée par les citoyens, rende compte à la société des directions et des résultats de cette recherche, et qu’elle soit subordonnée aux priorités définies par le corps social, mais évidemment sans perdre sa capacité à identifier (souvent en avance par rapport au reste de la société) et à explorer de nouvelles pistes de recherche. Il faut que la recherche scientifique conserve une part d’autonomie créatrice par rapport aux recherches sur les questions légitimes que se pose la société.


Entretien réalisé par Michel Krol