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Plaidoyer pour les bioénergies
octobre 2002, par
Guillaume Bourtourault est ingénieur chimiste et chercheur dans le domaine
de la biomasse-énergie. Dans cet article, il souligne les avantages de la
valorisation énergétique de la biomasse. Cette dernière est pour l’instant
sous-utilisée, alors qu’elle pourrait constituer une alternative forte aux
moyens de production conventionnels, particulièrement au niveau local.
L’Allemagne a prévu un retour à zéro de sa production électrique
nucléaire [1] pour 2030 et produit actuellement 52% de son électricité à
partir de charbon [2]. Que signifie alors sortir du nucléaire ? Retourner au
charbon ? Les énergies renouvelables [3] sont-elles en mesure de remplacer à
la fois l’énergie nucléaire et les ressources fossiles ?
Il est aujourd’hui toujours davantage question du développement des toits
solaires thermiques ou photovoltaïques, de l’éolien... On nous promet la
pile à combustible et le miracle de l’hydrogène. Mais les effets de mode et
les campagnes de communication cachent un manque manifeste de pragmatisme
et de volonté. La production d’énergie à partir de la biomasse est quant à
elle à peine évoquée par nos stratèges, car très mal connue. Un élément
révélateur en la matière est l’incompatibilité de la loi française avec la
définition de la ressource biomasse établie au niveau européen.
Quelles énergies renouvelables pour les besoins énergétiques au niveau européen ?
La définition de la ressource n’est pertinente que dans la perspective de
son utilisation. Ceci constitue le point de départ de la démarche de la
commission européenne de Bruxelles : quels sont nos besoins énergétiques ?
Et quelles réponses peuvent apporter les énergies renouvelables ?
Besoins en énergie électrique - l’éolien fait l’objet des plus gros
investissements actuels ; le photovoltaïque et la petite hydraulique
(petits barrages de rivière au fil de l’eau) sont développés dans une
moindre mesure ; la pile à combustible complétera à terme le dispositif.
Besoins en chaleur - le principe de subsidiarité empêche Bruxelles de
légiférer en la matière : comment justifier la régulation européenne d’un
marché qui ne donne pas lieu à des échanges transeuropéens (la chaleur
n’est pas transportable sur de longues distances) ? Les politiques
nationales en faveur de l’énergie solaire soutiennent le solaire thermique
pour la chaleur individuelle. Au niveau collectif ou industriel, la chaleur
est essentiellement produite à partir de la biomasse et, le cas échéant, de
la géothermie.
Besoins en carburants - il semble aujourd’hui que la ressource renouvelable
la plus appropriée soit la biomasse : le colza, la betterave, les graisses
animales, ou la cane à sucre sont des exemples de ressources déjà
exploitées industriellement pour la production de biocarburants. Et c’est
précisément dans le domaine des transports que les émissions de CO2
croissent le plus vite (croissance des émissions de 39% entre 1980 et 1993,
tandis que tous les autres postes d’émission de CO2 diminuent).
Si la réflexion européenne actuelle va dans le bon sens, les décideurs
continuent à confondre énergie et électricité, et à réduire les énergies
renouvelables aux simples éoliennes. Si bien que le discours dominant se
résume à promouvoir la plantation rapide d’éoliennes dans un marché
dynamique de l’électricité, c’est-à-dire dérégulé. Par ignorance des
alternatives et des enjeux, ou simplement par intérêt.
La valorisation énergétique et valorisation matière de la ressource biomasse
L’énergie contenue dans la biomasse peut être convertie en bioélectricité,
en biochaleur, et en biocarburants par des procédés connus et déjà
éprouvés. Le seul obstacle à son utilisation reste son coût. Plusieurs
moyens permettent d’abaisser ce coût. Le premier est la production
simultanée de plusieurs formes d’énergie et de produits, dans le but
d’atteindre un rendement énergétique global maximal et d’augmenter la
valeur ajoutée des produits et services apportés. On peut imaginer par
exemple une unité de gazéification transformant de la sciure de bois en gaz
à haute teneur en hydrogène. Ce gaz peut être brûlé dans un moteur à gaz
pour produire la chaleur et l’électricité nécessaires au fonctionnement de
la scierie, et converti en biocarburants durant les périodes creuses. Un
autre moyen est d’utiliser une ressource de coût faible, nul ou même
négatif (déchets). On peut ici imaginer une installation de combustion
brûlant des noyaux d’olives, introduire le CO2 chaud produit par la
combustion pour doper la croissance de tomates dans une serre, et produire
par le moyen d’une turbine à vapeur de l’électricité "verte" revendue au
réseau. Des systèmes produisant du méthane par fermentation de déchets
humides (boues d’épuration des eaux usées, par exemple) permettent
également d’alimenter des moteurs et des turbines en Allemagne notamment.
Les applications de tels systèmes sont innombrables, elles créent
localement de l’activité et de la richesse, elles sont efficaces
énergétiquement, peuvent apporter des solutions à des problèmes de déchets
ou de développement rural. Des ressources aussi variées que la balle de riz
(enveloppe du grain de riz), la bagasse (résidu fibreux de la canne à sucre
après extraction du moût), les palettes et les cagettes en bois en fin de
vie, ou encore les écorces, la lignine et l’hémicellulose séparées de la
cellulose lors de fabrication du papier, sont déjà utilisées massivement à
travers le monde pour produire de l’énergie.
Un dernier moyen, "moins intelligent", de rendre la biomasse compétitive,
est de la rendre industrielle. Toute la réflexion d’intégration des outils
de production énergétique dans un tissu économique et écologique local est
alors esquivée, au profit du systématisme industriel. Les retombées
sociales et environnementales sont alors beaucoup moins intéressantes, se
rapprochant d’une simple amélioration du bilan CO2 du système. Certains
pays européens engagent aujourd’hui des moyens importants dans cette voie :
l’Italie, le Royaume-Uni et l’Espagne notamment. Des plans importants de
mise en culture de taillis de saule, peuplier ou eucalyptus (récoltés au
bout de 3 ou 7 ans), de colza ou de chanvre sont alors mis en oeuvre, avec
pour but d’atteindre des rendements maximum à l’hectare.
La vision française, ou la biomasse en tant que réservoir de carbone
La politique de l’ADEME [4] sur la biomasse se concentrait jusqu’aujourd’hui
(jusqu’aux dernières élections législatives) sur 3 axes :
le bois-énergie, sous-entendu le bois-chaleur, consistant grosso modo à
subventionner le remplacement de cheminées très peu efficaces
énergétiquement par des poêles à bois estampillés par l’ADEME ;
le bois-construction, avec pour outils l’architecture HQE (Haute Qualité
Environnementale) et l’architecture bioclimatique, et pour objectifs la
maîtrise de l’énergie et le stockage de carbone ;
la recherche sur les bioproduits, notamment à travers le programme
AGRICE [5], sur les biopolymères, biocombutibles, et autres débouchés non
alimentaires des produits de l’agriculture.
Les biocarburants, limités en France à quelques produits bien définis, sont
l’affaire de négociations entre nos pétroliers nationaux et l’Etat d’une
part, qui tiennent à en garder la maîtrise et les revenus, et l’Europe
d’autre part, qui freine la progression de la production française et les
demandes de subventions qui l’accompagnent. La recherche de débouchés de
l’agriculture française, stimulée par l’élargissement imminent de l’Europe
à des pays de l’Est fortement agricoles, font monter au créneau les
syndicats des différentes filières. Les producteurs de betteraves à sucre
défendent la voie éthanol (production d’alcool par fermentation du sucre),
les producteurs d’oléagineux celle des huiles (colza), et les pétroliers
celle de dérivés agricoles quels qu’ils soient (pourvu qu’il faille des
raffineries !).
Mais la position de l’ADEME comporte un vrai message idéologique : la
biomasse est avant tout une ressource ancestrale pour la production de
chaleur, puis un stock de carbone, et enfin à plus long terme la ressource
organique qui se substituera aux produits dérivés de pétrole. Dans la
logique de l’ADEME, il est donc hors de question que les électriciens
s’emparent de la biomasse pour percevoir des primes à l’électricité verte,
et que le particulier se chauffe ensuite à l’électricité de bois !
Bien plus que les obstacles technologiques, ces jeux de pressions et de
contre-pressions empêchent la France de développer une politique
énergétique pertinente dans le domaine des renouvelables, courant ainsi le
risque de reproduire le scénario de l’éolien français : des années de
retard sur d’autres pays (en particulier l’Allemagne) ont rendu la France
industriellement et technologiquement dépendante.
L’arrêté du 16 avril 2002 fixant les conditions d’achat de l’électricité
produite à partir de biomasse aurait pu ouvrir la voie aux bioénergies en
France. Mais sorti en catastrophe 5 jours avant le premier tour de
l’élection présidentielle, paru au JO le jour même du second tour (JO du
dimanche 5 mai 2002), il propose des tarifs qui ne permettent pas de
développer les centrales bioélectriques (un bonus d’1 centime d’euro aurait
probablement suffi à faire émerger certains projets). Ce même arrêté
contient en outre une coquille énorme dans la formulation du tarif d’achat
de la bioélectricité : simple maladresse ou volonté de rendre l’arrêté
caduque ?
Remplirons-nous alors nos obligations [6] vis-à-vis du protocole de Kyoto
uniquement au gré des vents, grâce à de grandes fermes éoliennes ? Ce
serait simple, mais nous n’y avons pas intérêt en termes économiques et
industriels, et nous n’y arriverons pas. Les tractations en cours sur la
rénovation de la PAC (Politique Agricole Commune) sont une occasion idéale
pour amener cette réflexion sur les bioénergies, et doter à terme cette
industrie en puissance du cadre réglementaire communautaire qui lui fait
défaut.
De l’utilisation de la biomasse.
Le Protocole de Kyoto (1997) propose aux pays gros producteurs de dioxyde
de carbone une alternative - contestée - à la réduction de leurs émissions
de gaz à effet de serre : développer les énergies propres dans les pays en
développement, par le biais de CDM (Clean Development Mechanism). C’est
dans ce cadre que la position de l’ADEME sur la valorisation chaleur du
bois prend tout son sens. En effet, ce mécanisme incite les pays de
l’annexe 1 [7] du Protocole de Kyoto ("les pays riches") à investir dans
d’importantes installations industrielles, afin de produire massivement de
l’électricité renouvelable et de contrebalancer ainsi leur production
domestique polluante. Or, les énergies renouvelables sont fondamentalement
locales, et leur potentiel peut être décuplé par une utilisation
intelligente, c’est-à-dire intégrée. Des systèmes de production d’énergie
répartie, , plus simples et utilisés directement par les populations, comme
des poêles à bois à haut rendement, ou des petits groupes électrogènes
fonctionnant avec l’huile produite localement, seraient bien plus efficaces
et bien plus profitables à l’économie locale - mais non comptabilisables au
titre d’un CDM. Après avoir exploité leur pétrole, nous exploiterons donc
le bois de ces pays dans de gigantesques bioraffineries, et reporterons
ainsi sur eux l’effort qui nous est demandé tout en exportant notre
industrie.
[1] 29% de l’énergie électrique totale en 2000. Source :
Energiewirtschaftliche Tagesfragen, mars 2000.
[2] Chiffres pour 2000. Source : Energiewirtschaftliche Tagesfragen, mars
2000.
[3] En 2000, l’hydraulique ne représentait que 4% de la production
électrique allemande, l’éolien 2%.
[4] ADEME : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie
[5] AGRICE : agriculture pour la chimie et l’énergie
[6] Les objectifs français consistent notamment à porter notre part
d’électricité renouvelable de 14 à 21% et à maintenir les émissions
nationales de CO2 au niveau de 1990.
[7] L’annexe 1 du protocole de Kyoto regroupe les pays suivants : pays de
l’Union européenne, d’Europe centrale et orientale, Suisse, Norvège,
Islande, Russie, Canada, Etats-Unis, Japon, Australie et Nouvelle-Zélande.