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Une Europe à refaire

samedi 23 mai 2009, par Jean Zin

Jean Zin, fidèle à son positionnement bien connu des lecteurs d’EcoRev’, exprime
son pessimisme quant à l’intérêt des élections européennes et aussi dans la capacité
de l’Europe à affronter la crise actuelle. Il pense indispensable la mise en œuvre d’une
constituante pour sortir de l’impasse de l’Europe actuelle. Mais dans le marasme
ambiant et face à l’ampleur des problèmes, il estime qu’une alternative devrait aller
bien plus loin que ce que les élus peuvent aujourd’hui proposer. Même s’il reconnaît
que le fait que les écologistes ont su se regrouper à travers Europe Écologie est une
bonne nouvelle et que certaines propositions lui paraissent aller dans le bon sens, il
exprime son scepticisme sur la capacité du Parlement européen et des députés à sortir
l’Europe de l’impasse.

L’Europe est en bien mauvaise posture.
Loin d’être épargnée par une crise venue
des États-Unis, elle s’en trouve
paradoxalement bien plus ébranlée, dans
ses fondements même, jusqu’à pouvoir la
menacer d’éclatement à brève échéance.
Puisque l’Europe a fait la preuve de son
impuissance, et même de son inexistence,
pas étonnant que les élections
européennes ne passionnent guère les
foules, ni les médias qui l’évoquent à
peine.

Bien sûr, il y a de bonnes raisons de
penser que la seule solution à la crise,
serait la relocalisation d’un côté mais
aussi une Europe protectrice de l’autre,
qui pourrait même y gagner un leadership
mondial que justifierait son rang
économique. Seulement il faudrait pour
cela une toute autre Europe, une Europe
des peuples forgée dans des mouvements
sociaux européens et reconstruite
sur de toutes autres bases.

Les raisons d’y croire sont bien minces,
mais tout ce qu’on peut souhaiter à
cette assemblée de notables et de
technocrates coupés de la population,
c’est que leur mandat se termine vite et
que les bouleversements qui s’annoncent
débouchent sur une véritable constituante
mettant un terme à cette Europe de
supermarché. Ce n’est pas du tout le plus
probable pour l’instant, mais si la crise
est aussi profonde qu’elle s’annonce, il ne
faut pas sous-estimer la combattivité des
peuples et les redistributions des cartes
qui devraient s’opérer. Cela pourrait être
en tout cas l’occasion d’une véritable
naissance de l’Europe politique, tout
autant que de sa désagrégation...

Les institutions actuelles de l’Europe, et
surtout son extension aux pays de l’Est, se sont faites au moment du triomphe de
l’idéologie néolibérale et de la faillite du
communisme, comment résisteraient-elles
à la faillite de l’idéologie de marché
sur laquelle elle s’est constituée ? Ce
n’est pas qu’une question de majorité au
parlement car ce n’est pas seulement la
commission qu’il faudrait changer mais
les traités eux-mêmes, avec en premier
lieu la banque centrale européenne qui
cumule la prétention absurde à
l’indépendance du politique avec un
monétarisme tout aussi stupide. La
priorité donnée à la lutte contre l’inflation
va devenir de toutes façons complètement
intenable dès lors qu’on devrait
entrer dans une nouvelle période d’inflation
(un fois la crise passée),
principalement à cause du développement
des pays les plus peuplés et de leur
besoin en matières premières.

Dans la situation actuelle, on peut penser
qu’il deviendra complètement injustifiable
de continuer cette absurde
compétition des systèmes sociaux et
fiscaux ainsi que la casse des services
publics par pure idéologie, au nom d’un
principe de concurrence libre et parfaite
qu’on voulait mettre au principe même
de notre constitution ! On y a échappé
belle mais on n’a pas pour autant une
autre Europe jusqu’à présent, plutôt plus
d’Europe du tout. Quand il faut que l’État
réintervienne, ce n’est pas l’Europe qui
est sollicité, ce sont les vieilles nations
qui reviennent, et le chacun pour soi...

Comme un grand corps malhabile, grandi
trop vite et entravé par des institutions
trop rigides, non seulement l’Europe a
démontré son inexistence mais elle est
pour la première fois menacée réellement
de dislocation, ne pouvant concilier des
économies trop différentes, aux rythmes
découplés et aux évolutions divergentes,
tirée à hue et à dia. La déconnexion des
politiques budgétaires et monétaires se
révèle parfaitement ingérable, conformément
au b.a. ba de l’économie politique.

Ce n’est pas que cette vraisemblable
implosion serait souhaitable en quoi que
ce soit, c’est seulement ce qui risque
d’arriver sans un sursaut très improbable
à l’heure actuelle, le grand marché déjà
bien problématique en temps ordinaire
se révélant plus qu’insuffisant dans les
périodes de troubles. La tâche semble
insurmontable, mais l’Europe ne se fera
pas dans les couloirs de ce simili
parlement, véritable parodie de démocratie.
Elle ne pourra se reconstruire que
dans les luttes sociales et politiques,
seule chance de surmonter les intérêts
contradictoires en créant de nouvelles
solidarités. Il n’est pas impensable en
effet que, face à l’étendue de la crise,
l’intérêt bien compris des salariés les
mène à prendre conscience que l’Europe
constitue un enjeu crucial pour leurs
revendications, l’imbrication des
économies et la dimension européenne
des entreprises ne laissant de toutes
façons guère le choix.

Pour lors, cependant, l’élection
européenne n’est qu’une farce dont tout
le monde se moque et qui sert tout au
plus à exprimer ses appartenances partisanes
grâce à la proportionnelle. Les élus
nommés par les partis ne sont qu’une élite
coupée de la population qu’elle ne
représente pas. Le montant des indemnités
et faux frais des députés est en
lui-même un scandale qui suffit à déconnecter
complètement cette nouvelle
noblesse de la réalité des gens ordinaires.
C’est la façon dont le libéralisme s’impose
depuis toujours : en achetant les députés et les contestataires, en les faisant entrer
dans le cercle des possédants, en leur
faisant goûter les plaisirs de la réussite
sociale pendant que le bon peuple est
livré à une précarité grandissante
(inévitable, dit-on quand on ne la subit
pas !). Amartya Sen a montré pourtant
qu’il n’y avait pas de famine quand les
dirigeants partageaient le sort du peuple,
c’est pareil pour la précarité qui ne serait
pas supportée si les élus aussi devaient la
subir de plein fouet !

Ce n’est pas qu’il ne faudrait pas voter à
ces élections où les abstentionnistes
seront sans doute majoritaires – car on
ne peut certes pas dire que les décisions
du parlement n’ont aucune conséquence
sur notre vie concrète. En plus, pour une
fois on n’a pas tellement de raisons de
critiquer les écologistes qui ont su au
moins se regrouper et sont assez souvent
utiles au Parlement européen, malgré
tout, même s’ils ne représentent pas du
tout une alternative et ne mettent pas
assez en avant une indispensable relocalisation
de l’économie. S’il est très positif,
dans le cadre de la crise et d’un New Deal
vert, d’afficher ouvertement l’objectif
d’un nécessaire "revenu d’existence"
pour une "société pollen" chère à Yann
Moulier-Boutang (où les externalités
positives déterminent la productivité), ce
n’est malgré tout pas suffisant pour
dessiner une alternative ; il faudrait au
moins y ajouter des monnaies locales et
les institutions du travail autonome.
Voter pour la liste écologiste, ce n’est, au
fond, rien d’autre que voter pour un lobby
vert, contre les autres lobbies. Pourquoi
pas ? Ce n’est pas là en tout cas que se
jouera l’avenir de l’Europe, d’une Europe
à refaire de fond en comble !