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Vivre heureux sans détruire la planète ? Le Happy Planet index

lundi 23 mars 2009, par Nic Marks, Saamah Abdallah

Pour terminer ce dossier, nous publions l’extrait d’un article de Nic Marks et Saamah Abdallah, de la New Economics Foundation. Les deux auteurs nous présentent une démarche originale qui vise à répondre à la question fondamentale déjà soulevée par Luke Haywood dans son article, et que tout écologiste est amené à se poser un jour ou l’autre : est-il possible de vivre heureux et en bonne santé sans pour autant détruire la planète ? Adoptant une approche critique de la vision matérialiste du bien-être qui a dominé jusqu’à présent dans l’imaginaire occidental, les auteurs proposent de combiner des données subjectives et objectives pour qualifier (et quantifier) le bien-être de manière pragmatique. Ces résultats sont ensuite croisés avec ceux de l’empreinte écologique. Le Happy Planet Index ainsi obtenu offre une image tout à fait nouvelle du monde, d’où il ressort que le bien-être d’une nation n’est pas forcément corrélé à la quantité de ressources naturelles consommée. Une leçon à méditer…

Nos gouvernants tiennent enfin compte des défauts de l’utilisation du PIB comme indicateur principal de progrès. Le Premier ministre britannique Tony Blair regrette : "Nous n’avons pas réussi à comprendre que notre économie, notre environnement et notre société forment un tout", argumentant qu’"offrir à tous la plus grande qualité de vie possible signifie arrêter de se concentrer sur la seule croissance économique". Le député David Cameron, leader de l’opposition conservatrice au Royaume-Uni, l’affirme encore plus clairement : "Il est temps que nous cessions de regarder uniquement le PIB, mais le BEG – bien-être global." Le monde de la finance lui-même commence à s’intéresser à cette question, avec la Deutsche Bank qui publie un texte intitulé : "Mesurer le bien-être. Au-delà du PIB". Cependant, alors que de nombreuses options nouvelles émergent, comme l’indicateur de développement humain du PNUD, il n’y a encore pas de consensus sur ce que serait un indicateur de "BEG".

Dans le domaine environnemental se dessine un consensus un peu plus élaboré. L’indicateur à ce jour le plus largement reconnu est l’empreinte écologique, que le WWF a fait connaître. C’est une tentative de quantifier la surface de terre dont a besoin un individu pour vivre et neutraliser ses émissions de gaz à effet de serre. Cet indicateur n’est pas sans détracteurs, mais il a su captiver l’imagination du ministre britannique de l’Environnement, de l’Alimentation et du Monde rural, David Milliband, qui appelle à un "one-planet living", c’est à dire à un mode de vie dans les limites de la planète sur laquelle nous vivons.

L’indicateur ultime

Combiner les buts de soutenabilité environnementale et ceux du bien-être humain fait intuitivement sens. Un rapport de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), daté de janvier 2006, appelait à la création d’un indicateur capable de mesurer "la production de bien-être humain (pas forcément des biens matériels) par unité de prédation de ressources naturelles". Six mois plus tard, sans que le projet ait été développé à la connaissance de l’UICN, le Centre pour le bien-être de la New Economics Foundation lançait une réponse plus ou moins directe à cet appel : le Happy Planet Index (HPI).

Le concept du HPI consiste à mesurer, pays par pays, l’efficacité écologique de notre quête d’une vie agréable et durable. En cela, c’est le premier indicateur qui reprend à ses bases notre vision de l’économie : ce qui entre (input : les ressources naturelles) et ce qui en résulte (output : des vies humaines, variables en longueur et en bonheur).

Un long chemin à parcourir

Les résultats offrent une triste image. Aucun pays n’est véritablement couronné de succès. Alors que des objectifs réalistes sont donnés pour chaque élément du HPI, aucun pays n’est capable de les atteindre simultanément tous les trois. Soit le bien-être est loin d’être idéal, soit les pays ont un degré de bien-être élevé mais à un coût environnemental trop important, et vivent au-delà de leur part des ressources naturelles.

Néanmoins, il y a de grandes variations de performance d’un pays à l’autre, comme le montre le graphique. Quelques pays réussissent presque à atteindre les trois objectifs. La Colombie a des niveaux élevés de qualité de vie et consomme moins que sa part d’une planète ("oneplanet living"), mais son espérance de vie est juste en-dessous des 75 ans requis. L’espérance de vie du Costa Rica est meilleure, et son empreinte écologique est correcte, mais la qualité de vie telle qu’elle est mesurée s’avère un peu plus faible.

Voilà pour les pays (relativement) gagnants. A l’autre bout du classement, certaines nations obtiennent des résultats accablants. Les moins enviables se situent en Afrique sub-Saharienne, là où sévissent le plus de guerres, l’épidémie de VIH, et où le bien-être est presque inexistant. Parmi ces pays africains, quelques pays ex-communistes, souffrant vraisemblablement des difficultés de transition vers une économie de marché. Mais on trouve, à peine mieux classés, des pays occidentaux, dont les USA (150e sur 178). Alors que les USA profitent d’une qualité de vie parmi les plus élevées au monde (quoiqu’inférieure à ce que leur PIB aurait pu laisser supposer), leur efficacité à produire ce bien-être est à peine meilleure que celle du Soudan. Quelques pays occidentaux s’en sortent mieux, mais la nation la mieux classée parmi les membres de l’OCDE reste le Mexique, en 38e place. Ces variations sont riches d’enseignements. L’espérance de vie en Allemagne est légèrement meilleure que celle des USA, et les niveaux de bien-être sont légèrement inférieurs ; mais ceci avec un impact écologique deux fois moins important. Ce sont ses performances environnementales qui classent l’Allemagne 15 points au-dessus dans le HPI. On peut donc faire oeuvre de progrès sans réduire son bien-être.

Le HPI rend ainsi compte de possibles progressions vers un bien-être soutenable. Il nous apprend qu’aucun pays n’a atteint ce but, mais nous donne des directions vers lesquelles s’orienter. Et surtout, il nous montre que les pays qui réussissent le mieux ne sont pas forcément les plus riches, ni même les mieux classés par le PNUD. Le graphique ci-dessous montre le résultat moyen du HPI des pays dans chacune des catégories de développement (faible, moyen, élevé) utilisées par l’ONU. Les pays les plus "développés" sont en fait les moins efficaces.

Cependant, comme n’importe quel autre outil, le HPI n’est pas infaillible. Par exemple, l’empreinte écologique ne fait qu’indiquer, en passant par le concept "surface de terre", l’impact environnemental, et perd de vue certains phénomènes, comme l’érosion des sols. Néanmoins, la New Economics Foundation part du principe qu’il faut comptabiliser ce qui est important à nos yeux, et pas uniquement ce qui est facile à mesurer. Le HPI constitue ainsi une tentative pour influencer les politiques publiques dans cette direction. A mesure que le système d’évaluation progressera, le HPI s’améliorera lui aussi, permettant ainsi de peindre un tableau plus précis de ce à quoi pourrait ressembler le bien-être soutenable. Nous savons déjà que les économies occidentales, basées sur la croissance économique, ne constituent pas, de ce point de vue, un modèle. Les pays les mieux classés par le HPI sont précisément ceux qui ont refusé cette obsession de la consommation matérielle qui est si prégnante en Occident. Ils ont malgré cela des niveaux de vie raisonnables, et parfois la santé y est meilleure que dans certains pays "économiquement développés". Ce sont des pays qui ont maintenu leurs traditions, leur solidarité, la force de leurs liens familiaux et leur joie de vivre (ou doit-on parler d’allégresse ?) ; ils sont capables d’exprimer leur attachement à la nature préservée qui constitue leur environnement. Si nous voulons prendre à coeur le bien-être soutenable, ce sont ces exemples auxquels il va falloir nous intéresser.

Traduit de l’anglais par Luke Haywood et Aude Vidal


Nic Marks et Saamah Abdallah sont membres du Centre for Well-being, New Economics Foundation. Extrait d’un article originellement paru dans la revue Asian Breeze, sous le titre "How happy is our planet ?".

Le rapport complet du "(Un)Happy Planet Index" est écrit par Nic Marks, Saamah Abdallah, Andrew Simms et Sam Thomson. Pour en savoir plus et calculer son propre HPI : www.happyplanetindex.org