Accueil > Les dossiers > Du printemps-été 2009 à l’été 2010 > N°35 (été 10) L’agriculture, au cœur du projet écologiste > Les politiques agricoles
Les politiques agricoles
vendredi 16 juillet 2010, par
Les politiques agricoles sont un fondement de l’essor et de la prospérité des plus grandes civilisations, et doivent être adaptées à l’environnement naturel, social et économique. L’idéologie néolibérale contemporaine a conduit à une rupture de cet équilibre et à la remise en cause de la prérogative des Etats en matière agricole. C’est à partir de ce constat que José Bové, député européen Europe-Ecologie et vice-président de la Commission de l’agriculture et du développement rural, invite les gouvernements à tourner le dos à l’OMC afin d’être en mesure de définir des politiques agricoles permettant une souveraineté alimentaire. En premier lieu l’Union européenne avec la réforme de la PAC en 2013.
Socrate considérait il y a plus de 2 500 ans qu’un homme politique devait s’intéresser et connaître le commerce des grains. Depuis plus de 10 millénaires, les civilisations se sont construites autour de l’agriculture. Des récoltes de blé au Moyen-Orient, de riz en Asie et de maïs dans les empires aztèques et incas, dépendaient la survie des populations et la stabilité des états. Les premières traces d’écritures apparues en Mésopotamie sur les bords de l’Euphrate et du Tigre montent que la principale motivation des premiers scribes étaient de gérer les stocks, suivre les récoltes, de contrôler les impôts et d’organiser les distributions d’aliments en période de disette et de vache maigre. Les politiques agricoles lorsque l’on remonte dans l’histoire ne se contentaient pas de contrôler les paysans et de les taxer. Elles visaient également à développer les rendements. Les empires chinois, perses, égyptien s se sont lancés dans de vastes programmes de développement de l’irrigation pour sécuriser les récoltes et permettre une augmentation de leurs populations, et de leur pouvoir. La stabilité des récoltes et sa prévisibilité d’une année sur l’autre étaient indispensables pour assurer la stabilité des populations humaines. De la richesse produite par l’agriculture dépendaient toutes les autres activités, artisanales, culturelles intellectuelles, religieuses et militaires. Ce qui était le cas hier l’est tout autant aujourd’hui, l’alimentation reste et restera la préoccupation vitale des sociétés humaines.
L’apparition de l’idéologie néolibérale à la fin des années 1970, dont Thatcher et Reagan seront les propagandistes les plus fervents, débouchera sur l’impossibilité pour les états de déterminer les politiques agricoles les mieux adaptées à leur environnement naturel, social et économique. L’Europe dés 1989 se prépare à cette profonde mutation. La réforme de la PAC qu’elle adopte en 1992 est en conformité avec les négociations qui déboucheront deux ans plus tard sur la naissance de l’OMC. Le commerce facilité, par le démantèlement des protections tarifaires, permettra d’acheminer la nourriture d’un bout à l’autre de la planète. En 1996, près de 200 chefs d’états se déplacent à Rome pour valider cette stratégie. Ils sont persuadés qu’ils parviendront à réduire de moitié la faim dans le monde. Le résultat sera malheureusement inverse. En 2010, 140 millions de personnes supplémentaires ont rejoins les hordes d’affamés.
La perception que nous avons du commerce mondial de produits alimentaires repose sur une manipulation. Les centaines de milliers de documents officiels, les statistiques, de l’Union européenne, de l’Administration Américaine, de la France ou de l’OCDE de l’OMC, de la CNUCED et d’un nombre important d’ONG analyse ce qui n’existe pas, le commerce entre états. L’Europe, soit disant, importe 22 millions de tonnes de soja et exporte 10 millions de tonnes de céréales. Quel est le service européen chargé de ces importations ? Aucun. Ce sont des multinationales qui transportent ces milliers de tonnes de produits en vrac d’un bout à l’autre de la planète. Une poignée d’entre elles, Archer Daniels Midlands, Cargill, LouysDreyfus, ont été les grands bénéficiaires de ce vent de pseudo "libéralisme" et de dérégulation imposée en 1994 par l’OMC. Entrant en force sur les marchés des pays du sud, ces entreprises ont contribué à déstabiliser la paysannerie locale, à ébranler l’économie rurale, à créer une crise sans précédent et à engranger des profits pharaoniques. Elles sont devenues encore un peu plus spécialistes du captage des fonds publics, que ce soient les aides aux crédits des Etats-Unis (la Public Law 480) ou les restitutions et les subventions européennes. A l’heure actuelle, personne n’est en mesure d’évaluer l’activité réelle de ces entreprises. Selon certaines estimations, Cargill contrôlerait entre 40 et 60 % des exportations "américaines" de maïs. La marge d’erreur est colossale, près de 12 millions de tonnes, soit pas moins de 6 % du commerce mondial.
Les règles de l’OMC s’imposent depuis dix-sept ans à l’ensemble des pays signataires qui ne sont plus en mesure de décider souverainement des politiques agricoles qu’ils veulent mettre en place. La baisse des droits de douane sur les importations, l’ouverture obligatoire de quotas d’importations peu ou pas taxés, l’impossibilité de soutenir réellement le développement agricole et les paysans pour ne pas venir brouiller les prix du marché mondial, qui n’ont pas de réalité, ont petit à petit dépossédé les décideurs politiques de toute marge de manœuvre significative sur le dossier agricole. Les politiques publiques régionales, nationales et locales sont à présent tenues de s’adapter à un cadre qui a été défini pour augmenter l’influence des grandes entreprises de l’agro-alimentaire.
L’explosion des cours sur les marchés mondiaux en 2007 et 2008, conséquence en particulier de la spéculation sur les marchés à terme, a mis en évidence le danger pour les états importateurs nets de céréales de dépendre autant. Mais leurs engagement internationaux bloquent toute velléité de faire machine arrière. Socrate serait décidément bien surpris de constater que les hommes politiques de si nombreux pays se sont laissés dépouiller si facilement de leur pouvoir de peser sur l’approvisionnement alimentaire de leurs concitoyens.
La souveraineté alimentaire, qui offre la possibilité de concevoir des politiques alimentaires régionales et locales, adaptées aux besoins des producteurs et des consommateurs, implique donc obligatoirement la remise en cause des accords de l’OMC. Le commerce mondial, qui ne représente qu’une fraction de la production agricole mondiale (9% pour le blé par exemple) doit faire l’objet d’une régulation multilatérale avec la mise en place d’organisations mondiales de marchés, tendant à atteindre un équilibre entre l’offre et la demande mondiale en garantissant un prix suffisamment rémunérateurs aux paysans pour qu’ils puissent investir dans l’amélioration de leurs moyens de production. Ces propositions ne sont pas révolutionnaires. Il est en effet nécessaire de rappeler que jusqu’au début des années 1990, le café par exemple était géré dans le cadre de l’OIC - Organisation International du Café - qui répartis sait avec de plus en plus de difficulté, des quotas de production entre les pays. Pendant une quinzaine d’années, avant que ce système de régulation, ne soit attaqué par l’idéologie libérale, les prix payés aux producteurs étaient relativement stables et paraissaient élevés par rapport aux années 2000. Ils n’étaient d’ailleurs pas considérés comme disproportionnés par les consommateurs. L’OIC, comme l’ICCO - qui concerne le cacao, se limite aujourd’hui à publier des statistiques sur la consommation, la production, l’augmentation des stocks et la chute tendancielle des prix. Revitaliser, ces organisations communes de marché seraient en mesure de jouer un rôle important d’assainissement des marchés et de répartir la production entre les différentes régions de la planète et équitablement entre les producteurs afin d’assurer une production rémunératrice à des dizaines de millions de familles pays annes. D’autres produits, comme les céréales, pourraient également bénéficier d’une régulation de ce type et de la création d’un fonds international de stabilisation des marchés à terme.
En tournant ainsi le dos à l’OMC, les gouvernements seraient enfin en mesure de définir des politiques agricoles adaptées aux défis majeurs qui sont devant nous, la crise sociale, les flux migratoires, la dégradation environnementale, l’érosion des sols, la déforestation, la perte de biodiversité, le réchauffement climatique. La mise en place de ces outils de régulation devra se faire dans le cadre d’une agence multilatérale rattachée aux Nations-Unies. La CNUCED en son temps n’avait-elle pas été créée pour cela ?
Mais avant de parvenir à convaincre nos partenaires internationaux de la nécessité de réguler les marchés mondiaux, l’Europe doit en premier lieu s’efforcer de balayer devant sa porte. 2013 sera l’année de la réforme de la PAC. Nous devons profiter de cette échéance pour que l’agriculture européenne ne soit plus une source de déséquilibre international en exportant sur les marchés mondiaux à un prix inférieur aux cout de production réels des paysans européens. Pour cela, la PAC doit se doter d’Organisations Communes des Marchés – OCM – qui lui permettront d’ajuster sa production pour qu’elle corresponde au plus près à sa consommation intérieure en garantissant une rémunération équitable aux agriculteurs. Les subventions européennes ont toujours favorisé les agriculteurs ayant les plus grandes exploitations. La réforme de 2003 est resté dans cette logique. Nous devons profiter de 2013 pour rebattre les cartes et remettre en cause cette référence historique qui creuse et accentue les disparités sociales. Le critère de l’emploi, du nombre de travailleurs sur la ferme, doit être privilégié. La PAC doit aussi veiller à promouvoir des pratiques agricoles qui favorisent l’autonomie des exploitations pour qu’elles soient moins dépendantes des intrants et en particulier de la agro-chimie et du pétrole. De nombreux réseaux dans l’ouest de la France, ont démontré qu’un élevage laitier à base d’herbe étaient plus compétitif qu’un atelier hors-sols qui s’approvisionne en soja sur le marché mondial. Les pollutions générées par ces deux types d’agricultures sont sans commune mesure. L’Union européenne a pesé de tout son poids dans l’industrialisation de l’agriculture. Elle doit maintenant s’engager vers la mise en place d’une agriculture relocalisée, autonome, non polluante et productrice nette d’énergie.
José Bové
Député européen
Vice-président le la Commission de l’agriculture et du développement rural
Lire aussi : José Bové, "PAC, changer de modèle et d’objectifs", EcoRev’ n°32, Quelle Europe pour quelle écologie ?, printemps 2009.