Accueil > Les dossiers > Du printemps 2006 à l’été 2007, du n° 22 au 27 > N° 27 (été 07) / Ecopolis / Dans les friches de l’écologie (...) > Dans les friches de l’écologie politique, vol. 1 > Petit retour sur une séquence électorale

Petit retour sur une séquence électorale

vendredi 9 janvier 2009, par Erwan Lecoeur

Si le faible score à l’élection présidentielle peut en partie s’expliquer par le "vote utile" – effet retour de balancier du 21 avril 2002 –, il faut aussi aller chercher du côté de la sociologie particulière du vote écologiste et de cette élection, estime le sociologue Erwan Lecoeur. Dans l’approfondissement du "paradoxe du sympathisant écologiste", qui voit depuis des années les Verts en tête des enquêtes d’opinion, sans que cet atout se retranscrive dans les urnes ; et aussi dans l’abstention qui a attiré nombre de ces électeurs potentiels, au soir du 22 avril. Pour l’ancien directeur scientifique de l’Observatoire du débat public, le parti Vert a subi cette élection et son enjeu centré sur les grands candidats, avec les concurrences écolo-médiatiques qui l’ont animée et pourrait voir l’écologie progresser dans les esprit, mais passer hors du champ partisan. Une écologie moins politique, une "ONGisation" sans autre revendication que celles que les lobbies, entreprises et ONG sauront faire valoir auprès du pouvoir et du grand public.

Pour les Verts et leur candidate à la présidentielle, la campagne obligeait à naviguer serré, entre les appels au vote utile et les concurrences multiples sur le créneau écologiste. Bien qu’aucun candidat estampillé "écologiste" ne se présentait face à Dominique Voynet, la concurrence a été rude et surtout médiatique, se déroulant selon un scénario sur lequel les dirigeants Verts semblaient n’avoir aucune prise. Au fil des semaines et des mois, de Hulot à Juppé, en passant par Bové, Rebelle, ou Lepage, les prétendants à incarner une autre écologie se sont pressés au portillon, avec parfois un certain succès. Au final, pour les Verts, il reste un score décevant à la présidentielle, que ne rattrapent pas les quatre élus soutenus par le PS aux législatives, et surtout le sentiment que les électeurs sont partis ailleurs, ne percevant pas l’utilité du vote Vert. Retour, en forme de petite histoire agrémentée de rappels, sur cette séquence de quelques mois, révélatrice d’une certaine crise de l’écologie politique en France.

Primaires de Verts
En remontant un peu plus loin que l’épisode du pacte de Nicolas Hulot, on peut trouver quelques motifs d’un certain désamour entre les Verts et les sympathisants et électeurs potentiels. Nul reproche à en tirer, mais des constats sur les occasions manquées par le parti écologiste de donner à voir une autre image que celle que les médias aiment tant donner de lui : parti brouillon, "coupeur de têtes", voire frileux, toujours animé par des personnalités en concurrence permanente et occupées à faire vivre leurs tendances.
Dès la fin 2006, à la Chocolaterie, le nouveau siège des Verts, le ton de la campagne est donné. Après quelques appels de militants en faveur de José Bové, une remise en ordre se fait autour du délicat processus de désignation du candidat en interne, qui se joue un peu comme une histoire de famille : Dominique Voynet, Yves Cochet et Cécile Duflot, en prétendants principaux… La "maman" des Verts, le "tonton" promettant l’Apocalypse, et la petite dernière. Le premier tour élimine les moins connus, laissant les deux leaders historiques et anciens ministres face-à-face : Voynet et Cochet, amis d’hier, devenus adversaires, pour la presse. Une spécialité des Verts : le second tour arrive à une égalité (à deux voix) et oblige à un "revote" pour départager les finalistes… Ce sera finalement Dominique Voynet. Sur la forme, certains se souviendront de la désignation ratée de 2002 (Lipietz, désavoué au profit de Mamère) ; sur le fond, on lit aussi un certain manque d’envie et de combativité : à l’heure où l’urgence écologique est débattue sur tous les tons, où un animateur de télévision en fait son credo, les Verts choisissent de présenter un visage d’ancienne ministre, plutôt calme, rassurant… En décalage ?

Concurrences de campagne
À peine désignée, Dominique Voynet et son équipe doivent gérer un agenda qui s’agite, et les médias qui regardent ailleurs : Nicolas Hulot pointe du pacte et menace de se présenter à l’élection suprême. L’animateur de TF1 est crédité d’environ 10%, tandis que les Verts plafonnent à 1,5%... Le suspense dure jusque mi-janvier, quand Hulot décide de rester dans son Aventin télévisuel et de peser sur les politiques, de l’extérieur, dans une posture de lobbyiste à la tête d’une ONG et d’un capital médiatique. Seule candidate de l’écologie politique (contrairement aux élections précédentes) (1), la concurrence fut néanmoins rude, pour Dominique Voynet, tout au long de ces mois de campagne. C’est d’abord José Bové, qui s’annonçait dès juin, séduisant certains militants Verts, pour se retirer ensuite, puis revenir le 1er février ; c’est ensuite et surtout Nicolas Hulot et son pacte, qui a tenu en haleine une partie de la France de l’automne à février ; c’est toujours un peu Corinne Lepage, qui part bille en tête, pour se désister finalement au profit de Bayrou ; c’est aussi Bruno Rebelle, ancien de Greenpeace, en caution écolo de Ségolène Royal…
Début mars, changement de ton. Une fois l’écologie mise en pacte, c’est sur les vrais problèmes des Français que doit se faire la différence. Les médias mettent en scène les deux principaux concurrents depuis des mois, construisant ainsi un intérêt sur enjeu, consistant dans le duel entre le "grand frère" et la "maman protectrice". Mais sur le fond, les candidats passent, les thèmes restent. Les mêmes arguments et les mêmes intérêts reviennent sur le devant de la scène ; on parle croissance, concurrence mondiale, dette et pouvoir d’achat des Français. Le plus grand péril, pour Dominique Voynet, c’est que les électeurs se détournent des Verts et de leurs propositions, tout en cherchant où placer leur reste d’attentes en matière d’environnement chez l’un-e ou l’autre des signataires du pacte Hulot, ou chez le candidat Bayrou, dans la posture du trublion démocrate opposant majeur à la bipolarisation. Ce que la candidate à la présidentielle a tenté de contrer en rappelant aux électeurs qu’on "ne fera pas d’écologie sans les écologistes".

Le retour de balancier du "vote utile"
Le 22 avril au soir, ni Voynet (1,57%), ni même Bové (1,31%) ne dépassent la barre des 2%. Pour les Verts, c’est le plus mauvais score depuis 1974 et les 1,32% de René Dumont. On est loin des 5,25% de Noël Mamère en 2002 – en plus des 1,88% de Corinne Lepage (soit 7% de vote écologiste). Au fond, Bové et Voynet n’atteignent même pas le score de cette dernière en 1995 (3,32% des voix) comparable à celui de Waechter en 1988 (3,78%), ou Lalonde en 1981 (3,88%). Hormis le cas particulier de 2002, l’écologie politique rassemble donc à peine plus d’un million de voix à l’élection présidentielle. En 2007, ce maigre vivier semble tari : il reste 557 857 électeurs aux Verts. L’hypothèse du "vote utile", de recentrage et de retour sur le 21 avril 2002 (dont le FN, ou le PCF ont aussi fait les frais), aurait pu être contrebalancée par la forte participation (plus de 85% au premier tour, 35,5 millions d’exprimés sur 42 millions d’inscrits, soit 7 millions de votes en plus qu’en 2002). La perte de plus d’un million de voix pour les Verts (par rapport à 2002) prend alors un sens supplémentaire : il rappelle qu’il y a bien une volatilité du vote Vert, qui apparaît encore plus nettement à la faveur de ce retour de balancier électoral qui n’a profité qu’aux trois principaux candidats. Et hormis le bon produit marketing Besancenot, tous les autres semblent du coup moins "utiles" à leurs électeurs.

Le paradoxe du sympathisant écolo
Les observateurs ont pris l’habitude de voir les idées vertes portées dans les urnes par le vote des jeunes, les étudiants et salariés, plutôt urbains, trentenaires plus ou moins "bohêmes" et autre "créatifs culturels" renforcés par l’arrivée de primo votants. Bien sûr, ces catégories sensibles aux idées écologistes, plutôt bien informées, ont été très marquées par le choc de 2002 ; ils ont entendu les appels au vote utile et étaient résolus à faire barrage à l’UMP. Mais ils ont aussi pu être gênés par le nombre de candidats à la gauche de la gauche (les "trois plans B" : Bové, Besancenot, Buffet), déstabilisés par le missile médiatique Hulot, attirés aussi par la posture de François Bayrou rejoint par Lepage et Waechter. Enfin, ils ont entendu le credo participatif de Ségolène, qui a repris aussi quelques thèmes écologistes à son compte. Tout cela a joué en faveur du duel annoncé et attendu : Ségo vs. Sarko, amplifié par les appels à un vote "anti-Sarko".
Mais c’est aussi une constante que ce "paradoxe de l’électorat écolo", qui ne rassemble qu’une toute petite partie de ceux qui se déclarent depuis des années "proches des idées écologistes", ou ont "une bonne opinion" des Verts (fluctuant entre 29% et 57%, de 1992 à 2007 ; cf. tableau). Le paradoxe est que ce parti est – de loin – celui pour lequel le coefficient de passage de l’adhésion aux idées au vote est le plus faible. Et ce grand écart s’est encore creusé : 49% de bonne opinion, mais 1,57% de suffrages, en avril 2007. Et combien d’électrices et d’électeurs, tentés par le vote Vert, se sont souvenus de la surprise de 2002, lorsqu’ils avaient massivement donné leur voix (1,5 million) à Noël Mamère ? Il en avait manqué 200.000 à Lionel Jospin. Le retour de balancier en aurait enlevé un million à Dominique Voynet.
Une analyse plus fine montre qu’ils ne sont pas tous passés à Ségolène Royal. On en trouve aussi (près d’un tiers) chez François Bayrou, quelques uns en soutien de José Bové et un nombre non négligeable dans l’abstention. Ce sont les sympathisants écologistes qui se sont le plus abstenu lors de ce premier tour du 22 avril (26% ; contre 15% pour l’ensemble des inscrits) ; juste derrière les habituels dégoûtés de l’urne, pécheurs impénitents et autres refusants de la politique. Au vote utile et au paradoxe de ce non-électorat sympathisant, il faut donc ajouter la dispersion et l’abstention comme éléments explicatifs du faible score à cette présidentielle. Ici encore, le vote écologiste apparaît beaucoup trop "facultatif", supplément d’âme en politique, mais non nécessaire. Ici encore, l’écologie perd de son aspect politique.

L’écologie en voie d’"ONGisation" ?
En fin de séquence, une nouvelle épreuve s’ouvre. Les Verts ne pourront se contenter de quelques élus pour asseoir leur légitimité dans le champ écologiste, en passe d’être compromise par les postures médiatiques en vogue et les appels du gouvernement aux associations et ONG, bien plus compréhensives.
Au fond, les Verts ont moins raté ces élections qu’ils n’ont subi une série d’évolutions qui se sont jouées à côté d’eux, sans y être préparés, ni pouvoir les influencer. En résumé, de Hulot à Juppé, il s’est passé quelque chose au fil de cette campagne qui a passionné des millions de Français : l’écologie, qui aurait du se poser en opposition frontale, sur le plan idéologique, se trouve attirée hors du champ de la politique pour entrer dans celui de la gestion "pragmatique", comme aiment le dire les lobbyistes. Loin de jouer son rôle de contre-pouvoir, elle pourrait devenir l’allié de n’importe lequel.
Cette "dé-politisation" a des racines profondes, et elle répondrait en quelque sorte à l’attitude de ces nombreux sympathisants qui ne votent pas écologiste. Les Verts, après avoir écarté les concurrences directes (Génération Ecologie, le MEI), se trouvaient de fait en charge de la politisation de ces préoccupations. Ils n’en ont apparemment pas fait assez, pas assez vite, et risquent de se voir dépossédés par la société civile, les entreprises, et d’autres partis, venant prendre ce qui leur semble utile pour leur image dans la manne écologiste.
C’est à une "ONGisation" de l’écologie que se prépare et paraît s’abandonner le pays. Les Verts pourront bien revendiquer l’héritage, jouer les amants déçus, affirmer qu’on "ne fera pas d’écologie sans écologistes", leur rôle est remis en question, leur capacité de réaction trop engourdie, leurs ressources trop minces. D’autant qu’il se trouvera toujours des écologistes de remplacement pour jouer le jeu ; dirigeants d’ONG attirés par les postes de conseiller, nouveaux convertis, quelques transfuges vers le MoDem... Des portes s’ouvrent : le ministre d’État Alain Juppé a cédé la place, juste après avoir annoncé un "Grenelle de l’environnement" pour l’automne. Jean-Louis Borloo, qui avait eu des velléités écologistes lors de la fondation de Génération Ecologie, lui succède et poursuivra sans doute avec quelques succès, cette tentative d’OPA sur l’écologie, laissant les Verts à leurs débats , leurs élus et leurs regrets éventuels.

(1) Parmi ceux annoncés, aucun d’eux n’est maintenu, ni Génération Ecologie (France Gamerre), ni le MEI (Antoine Waechter, candidat pour les Verts en 1988), ni Corinne Lepage (Cap 21, rassemblant 1,88% en 2002).