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Les verts et la décroissance.
dimanche 15 avril 2007, par
Pour Jérôme Gleizes, membre des Verts et de la rédaction d’ÉcoRev’, la décroissance est au centre du programme du parti écologiste. Il expose le sens d’une politique décroissante pour son parti et les étapes indispensables à sa mise en œuvre.
Les Verts se sont prononcés pour une décroissance sélective et équitable lors de leur Assemblée Générale Fédérale de 2004. Une motion ponctuelle a été votée à une large majorité. Cette motion ci-jointe (à la suite du présent texte, NDLR) développe la position traditionnelle des écologistes antiproductivistes que sont les Verts. La décroissance est une nécessité si nous ne désirons pas qu’elle s’impose à nous avec la raréfaction des ressources naturelles.
Néanmoins, l’usage de ce concept se fait avec modération car il est porteur d’ambiguïté dont l’usage peut paraître difficile tant qu’une majorité culturelle n’est pas acquise à sa compréhension. Il ne faudrait pas que ce concept subisse le même sort que celui de "développement durable" en étant détourné de son sens premier. D’ailleurs les Verts préfèrent la traduction de "développement soutenable", plus proche du sens originel. Le développement n’est pas une fin en soi. Il n’a pas forcément à durer indéfiniment. Il doit être soutenable, c’est-à-dire qu’il ne doit pas dépasser la capacité de charge de la planète. Noël Mamère utilise souvent l’exemple du nucléaire. Il peut être durable (dans la mesure où la question des ressources en uranium et des combustibles nécessaires aux centrales nucléaires est réglée) mais il n’est pas soutenable car nous sommes dans l’incapacité de gérer les déchets radioactifs produits par les centrales nucléaires.
Le terme de décroissance n’est donc jamais utilisé seul mais toujours qualifié, pour éviter les confusions. Il est plus important d’expliciter ce que l’on entend par décroissance. Ainsi dans la dernière motion d’orientation des Verts de 2006, votée à Bordeaux, il est écrit : " Il y a de la place pour la décroissance de notre empreinte écologique, avec plus de qualité de vie, de ’bien être ensemble’ et plus de justice sociale". Par rapport aux forces de gauche productivistes, il est important d’avoir une approche qualitative et non quantitative où la baisse du taux de chômage serait plus importante que la qualité des emplois créés, où la hausse du taux de croissance serait plus importante que la nature des activités sous-jacentes. Or la décroissance est vue comme l’envers de la croissance et c’est là que les deux mots pris isolément sont piégeants, surtout pour un parti politique. La croissance se mesure à travers un agrégat comptable, le Produit Intérieur Brut. Celui-ci est comme tout agrégat le fruit de conventions comptables. Il ne mesure pas plus le productivisme que l’antiproductivisme. Par exemple, le PIB comptabilise les activités marchandes comme les activités non marchandes (mesurées à leur coût de production). Néanmoins, comme les mots ont une importance symbolique, le terme de "croissance" est rarement usité chez les Verts.
Mais comme le Politique ne se limite pas au symbolique, il a pour fonction principale la mise en œuvre des concepts. Ainsi, l’actuel programme présidentiel et législatif s’est centré sur le concept de décroissance [1]. Dès le préambule, la problématique de la décroissance est clairement posée : "L’avenir ne sera soutenable pour tous les habitants de la planète que si une décroissance de l’empreinte écologique des pays riches est amorcée : décroissance de l’exploitation des ressources non renouvelables, des profits et des revenus des 20% les plus aisés, de la fabrication et de la vente d’armes, du gaspillage énergétique, des transports routiers et aériens..."
Présentées ainsi, les critiques des Verts dénoncent leur "malthusianisme" car au-delà de la décroissance de l’empreinte écologique, il y a une baisse du PIB : les activités citées contribuent à une part importante de celui-ci, en particulier les transports. Mais les financements retirés de ces activités ne sont pas forcément thésaurisés, ils peuvent alimenter d’autres activités qui contribuent à la croissance du PIB comme l’économie sociale et solidaire. C’est pour cela que les Verts demandent que l’INSEE développe un indicateur alternatif au PIB et au CERC "d’établir un budget type de consommation compatible avec une empreinte écologique soutenable". À titre expérimental, Les Verts travaillent avec l’équipe de recherche de Jean Gadrey pour établir des indicateurs régionaux de ce type dans le Nord Pas-de-Calais.
Plus concrètement, "la décroissance de l’empreinte écologique passe entre autres par la mise en place d’une écofiscalité beaucoup plus forte et par le fait de donner une valeur économique à la non-consommation, afin d’encourager les entreprises et les particuliers à réduire massivement leur consommation d’énergie". Au-delà des indicateurs, il faut aussi des instances pour veiller son application au plus près des écosystèmes : "Dans une logique de décroissance de l’empreinte écologique, des instances de gestion des zones d’activité seront mises en place au niveau local. Elles seront composées des représentants des entreprises, des collectivités locales, des syndicats, des riverains, de la direction régionale de l’ADEME, d’ONG environnementalistes." Mais cet objectif de décroissance ne peut pas se limiter au seul cadre national français, Les Verts préconisent ainsi de "sortir des critères de Maastricht (budgétaire et endettement) des investissements réalisés dans le cadre de la décroissance de l’empreinte écologique".
Mais les Verts ne se limitent pas à rester dans le cadre traditionnel de la pensée libérale ou marxiste orthodoxe. Il ne peut y avoir de décroissance sans modification de nos référents culturels, sans s’attaquer aux structures, institutions économiques que sont par exemple la monnaie. Ils s’inscrivent dans la tradition réformatrice de personnes comme Keynes [2], pour lesquelles les utopies sont faites pour être concrétisées. Par exemple, si Keynes a échoué à Bretton Woods, ses idées ont pu être appliquées dans l’Union Européenne des Paiements, institution qui a assuré un rôle majeur dans la reconstruction européenne. À une échelle plus modeste, les Verts proposent ainsi l’expérimentation de monnaie sociale, de monnaies non thésaurisables pouvant permettre de financer une économie sociale et solidaire, relocalisée, donnant la possibilité de constituer un tiers-secteur, alternatif au secteur privé et public. Des expériences de ce type existent déjà dans de nombreux pays européens. Elles permettent de modifier les rapports sociaux, de ne pas tomber dans le fétichisme de la marchandise [3]. La décroissance est bien plus qu’un concept quantitatif, c’est une autre vision anthropologique des relations humaines où l’accumulation de biens matériels (et en particulier de la monnaie) n’est pas une fin en soi. La lutte contre le consumérisme et contre la publicité envahissante est essentielle pour sortir des impasses productivistes qui épuisent la planète et qui aliènent les individus. Dominique Voynet a ainsi déclaré au sujet du procès des militants anti-publicité, les "déboulonneurs" : "La publicité aime et utilise les stéréotypes. Elle force le trait, à la recherche d’une connivence avec son cœur de cible. Caricature, moquerie, humiliation, domination… autant de ressorts comiques. Avec des cibles privilégiées : les femmes notamment ! La publicité se joue des lois, de la pesanteur, des limitations de vitesse, du respect dû aux faibles, des conseils hygiéno-diététiques… Elle n’est pas pour rien dans le développement de l’obésité, maladie dont nous commençons à mesurer les effets sanitaires et économiques. La publicité suscite le désir du produit. Elle dévalorise ce que l’on a déjà pour mieux mettre en avant ce que l’on pourrait avoir. On achète le produit et on n’y trouve pas le bonheur pourtant promis ? On n’a pas les moyens d’acheter et on le vit comme une frustration ? Dans les deux cas, manipulé par le message publicitaire, on souffre." [4]
Tous ces combats ne sont pas des plus acceptés pour la société du spectacle dans laquelle nous vivons mais pourtant ils sont tellement vitaux.
Jérôme Gleizes
POUR UNE DÉCROISSANCE SÉLECTIVE ET ÉQUITABLE
(Motion votée en 2004 par les Verts)
La critique anti-productiviste dont les Verts sont porteurs depuis leur origine implique nécessairement la préconisation d’une décroissance ciblée sur des objectifs concrets.
Par exemple :
– décroissance des hauts revenus et profits indécents, issus de l’économie financiarisée ;
– de l’exploitation des ressources non renouvelables (stocks) ;
– des gaspillages énergétiques, et en particulier de la production électronucléaire ;
– de la production et de la vente d’armements, de pesticides, etc. ;
– des transports aériens et routiers, du commerce intercontinental.
Cette décroissance sélective, dont les champs d’application devront être déterminés en alliant des critères d’écologie et d’équité sociale (visant la réduction des inégalités tant à l’intérieur des pays qu’entre Nord et Sud), pourrait fournir le mot clé qui parle à l’imaginaire et qui identifie, une bonne fois, l’écologie politique et le parti Vert comme tout autre chose qu’une composante environnementaliste et sociétale "bobo" de la nébuleuse "Gauche".
En effet, ce mot choc, irrécupérable (à l’inverse du développement durable) par les faiseurs de consensus mou, résonne comme un avertissement grave avant le redoutable choc pétrolier structurel et non plus conjoncturel en préparation pour les très prochaines années, et comme un appel à stopper l’insoutenable occidentalisation du monde. Il est cependant politiquement, et même électoralement, acceptable, dès lors qu’on le décline bien sur des objectifs concrets.
Il peut même devenir alors la clé de voûte d’un ensemble cohérent de propositions institutionnelles pour un avenir à la fois soutenable et équitable.
C’est précisément un tel corpus de propositions réellement alternatives qui manque actuellement à la mouvance altermondialiste, pour faire pièce au paradigme de la croissance qui cimente, sous la trompeuse ligne de partage droite gauche, la parenté idéologique des néo et des socio-libéraux et lui donne son assise de pensée unique.
La vigueur antinomique de l’idée de décroissance, qui impacte de front un imaginaire collectif colonisé à la fois par l’idéologie libérale ("consommez") et par l’idéologie "progressiste" (l’âge d’or de l’abondance pour tous est au bout des luttes sociales et de la domestication de la nature), sa radicalité, même pondérée et encadrée par des critères de sélectivité et d’équité, déclencherait (nécessairement reprise par un parti ayant pignon sur l’agora), le débat de fond nécessaire au renouvellement du paysage politique français (les présidentielles de 2007, quel horizon excitant !).
Cette idée prendrait valeur de repère pour un vaste électorat potentiel, notamment jeune, actuellement déboussolé, réfractaire au mirage consumériste, et bien conscient de l’urgence qu’il y aurait à changer de cap "avant le mur" (l’ampleur du mouvement de sympathie autour de la pré-campagne présidentielle de Pierre Rahbi en 2001 en a été un signe fort).
[Les Verts] s’honorerai[en]t de ne pas faillir à [la] mission historique, qui est davantage sans doute, d’éveiller et conforter un mouvement social capable d’infléchir le cours des choses que de conquérir une majorité d’élus dans les institutions (même si, à terme, et en hypothèse d’école, les deux perspectives peuvent ne pas être contradictoires).
Ce serait prendre date et faire un pas dans cette direction qu’introduire dès aujourd’hui dans notre référentiel programmatique, comme un élément fondamental, cette notion de décroissance, que je propose de qualifier de "sélective" (selon des critères combinés écologiques et économiques) et "équitable" (selon des critères sociaux et mondialistes), donc "soutenable".
Ce pourrait [être en remplaçant le concept de développement soutenable] qui développe justement notre traditionnelle critique antiproductiviste et élimine, d’un coup de plume bien léger, la notion de décroissance soutenable [par celui de] "décroissance sélective et équitable".
[1] Pour plus de détail, vous pouvez consulter l’intégralité du programme, Le monde change. Avec les Verts, changeons le monde, http://lesverts.fr/article.php3?id_article=3124
[2] Lire en particulier son livre Perspectives économiques pour nos petits enfants dont ÉcoRev’ a publié un extrait dans son numéro 23
[3] Pour une analyse plus approfondie de cette notion, voir l’article de Patrick Dieuaide et Jérôme Gleizes dans le prochain numéro de Mouvements, "De la société du travail à la société de l’émancipation sociale"