Accueil > Les dossiers > Du printemps 2006 à l’été 2007, du n° 22 au 27 > N° 26 (printemps 07) / sens de la décroissance > Dossier > La décroissance, mode d’emploi - K’tche - Brigitte

La décroissance, mode d’emploi - K’tche - Brigitte

dimanche 15 avril 2007, par EcoRev’

K’tche, 37 ans, Paris

De quelle manière t’investis-tu pour faire vivre l’idée de décroissance ?
En faisant les choix qui m’amènent progressivement à mettre en cohérence mon mode de vie en toute connaissance de cause. Cela passe par l’ouverture de toutes les "boites noires" qui peuplent et structurent mon quotidien, c’est-à-dire tous les dispositifs techniques dont on a perdu l’habitude d’interroger la légitimité. Lorsque le moment est venu, je les mets de côté pour pouvoir parcourir d’autres chemins. Je fais par ailleurs partie du collectif qui administre le site http://www.decroissance.info/ destiné à diffuser informations et réflexions sur ces sujets.

T’investis-tu dans la vie politique ?
Je n’ai aucune affiliation partidaire, organisationnelle ou syndicale. Je n’envisage la vie politique que dans le cadre du communisme de conseils, quand bien même s’agirait-il d’expérimentations limitées.

Quelles sont tes priorités militantes ?
Elles tendent à mettre en oeuvre des solutions concrètes de sortie de l’économie. Je participe notamment à un projet d’implantation du modèle du "Mietshäuser Syndikat" en France (http://www.syndikat.org/).

Quelles sont tes références en terme de pensée et/ou d’action ?
Ellul, Illich, Kohr, Debord, Lasch, etc.


Brigitte, 43 ans, Bordeaux

De quelle manière t’investis-tu pour faire vivre l’idée de décroissance ?
Je suis membre depuis 3 ans d’un groupe "Paysans et Consommateurs Associés" dont les principes et le fonctionnement s’inspirent des AMAP (Associations pour la maintien de l’agriculture paysanne)… Adhérente à Attac depuis 2001, mon investissement tient davantage, à l’origine, d’un engagement altermondialiste que de la volonté de faire vivre, à proprement parler, l’idée de décroissance. Avec l’idée que si l’on ne pouvait pas massivement et immédiatement, de notre place, peser sur les choix globaux de production et les règles du commerce international, on pouvait toujours en tant que consommateur, intervenir à l’autre bout de la chaîne. Et particulièrement soutenir une activité agricole, des producteurs et un savoir-faire, menacés aujourd’hui de disparition.
Mais m’investir à PCA répondait aussi, pour moi, à un besoin impérieux d’agir en cohérence, entre la dénonciation d’un système et de ses effets désastreux sur le plan humain et écologique et la nécessité d’un changement de mes propres pratiques de consommation.
Plus généralement, les AMAP, ou les initiatives qui s’en inspirent, me semblent une réponse tout à fait pertinente, à la fois résistance et proposition, à la mondialisation économique libérale... Elles sont l’occasion pour les consommateurs de redéfinir leurs besoins, de consommer moins et mieux. Elles redonnent toutes leurs dimensions symboliques à l’alimentation, au travail de la terre et à notre lien avec elle. Le projet que portent les AMAP est celui d’une relocalisation de l’économie agricole, et cette proposition me paraît viable au nord comme au sud, pour peu que les peuples veuillent s’en saisir.
Car les AMAP, c’est aussi pour moi – et peut-être surtout – l’exemple de la formidable capacité des citoyens à s’organiser collectivement pour ne plus subir mais choisir un certain mode du "vivre ensemble". Et ma motivation porte davantage sur cette volonté politique en actes, cette force créative et collective en action, que sur le fait de faire vivre l’idée de décroissance. Non pas que j’en conteste le principe ou la nécessité, mais le risque existe, si on néglige cette dimension de prise en charge collective, de réduire la décroissance à la substitution d’une injonction à l’autre, d’une "injonction à consommer" à "une injonction à ne pas consommer"…

T’investis-tu dans la vie politique ?
Mon engagement est donc, avant tout, politique : il s’agit, à partir d’une certaine idée du monde et de mon appréciation des enjeux collectifs, de mettre en pratique et d’expérimenter des alternatives au système dominant, de contribuer à faire exister des contre-pouvoir. Ceci dit, je me pose aujourd’hui, comme beaucoup, la question des relations entre contre-pouvoir et pouvoir institutionnel, le passage d’une résistance marginalisée à une diffusion plus large de nos idées et propositions. C’est pourquoi, pour la première fois, je me suis lancée dans la campagne présidentielle pour défendre la candidature de José Bové, même si je regrette que celle-ci signifie – temporairement, je l’espère – l’échec de la construction d’une gauche radicale unitaire.

Quelles sont tes priorités militantes ?
(…) Mes priorités militantes sont avant tout de faire partager une démarche, celle de mettre en avant le sens critique, l’échange et le pouvoir de l’action collective, étant entendu que pour moi ces dimensions se complètent : on n’accède à une certaine compréhension du monde que quand on se heurte à la différence et à la réalité du faire ensemble ; et pour orienter son action, on ne peut pas faire l’impasse sur les valeurs, l’histoire, le contexte socio-économique qui relient ou opposent les membres d’une société.
Je pourrais dire que mon ambition personnelle est de lutter contre tous les dogmatismes, toutes les formes de domination sur les pensées et sur les corps. On mesure l’ampleur – la prétention ? – du projet. Pourtant l’enjeu me paraît essentiel : c’est celui de la liberté de l’individu qui ne pourrait plus toutefois se penser hors de ses liens indéfectibles aux autres et à son environnement.

Quelles sont tes références en terme de pensée et/ou d’action ?
Mon engagement militant reste récent. Je fais partie de cette génération qui a intégré durant sa jeunesse (les années 80) "la fin des idéologies", la victoire de la "rationalité économique" contre les passions et les pouvoirs du politique, la complexité qui ne pouvait être gérée que par des "experts"… Et même si je me sentais indignée de la marche du monde, je me suis longtemps pensée impuissante et incompétente à changer la donne. Je ne peux ici que rendre hommage à Pierre Bourdieu qui m’a fait le premier entrevoir d’autres possibles. Paradoxalement, alors que ses détracteurs lui attribuent une vision déterminée et figée des rapports sociaux, sa mise en lumière d’une sorte d’inconscient social et surtout son concept de "violence symbolique" ont eu l’effet de me libérer d’une certaine naïveté et de me faire bouger. On parle, on agit depuis une place qui nous a été assignée. Et peut-être que notre premier ennemi, c’est nous même. Sans une certaine approche réflexive sur ce qui nous a "conditionnés" et pourrait conditionner notre engagement militant (le désir de défendre des valeurs ou celui d’occuper de nouvelles places ?), le risque est de se complaire d’un côté dans la "soumission volontaire" et de l’autre de tomber dans la "reproduction". Mais l’œuvre de Bourdieu porte aussi un immense espoir.
Depuis Bourdieu, j’ai rencontré nombre d’auteurs sur mon parcours et d’humbles militants qui m’ont fait avancer (pour certains, parce qu’ils représentaient pour moi un contre-modèle !). Je garde cependant une affection particulière pour Attac, et ce malgré les graves crises qui l’ont secouée, pour son projet d’éducation politique populaire. J’y ai trouvé beaucoup de réconfort et de soutien dans l’action tant au niveau intellectuel qu’au niveau humain. Pour finir, je ne peux pas ne pas parler de Bruno Latour : il intègre l’importance de la matérialité du monde dans le monde social, remet en question l’idée de société, l’idée de l’humain, cultive le paradoxe d’un certain "relativisme universel", et défend l’incertitude (ou plutôt les non-certitudes) comme moteur de l’action démocratique... Pour lui, l’écologie politique ne consiste pas à faire de l’écologie un sujet politique mais suppose de transformer radicalement nos modes de pensées, d’agir et particulièrement nos pratiques démocratiques. Et pour moi, il est bien là l’enjeu : permettre à la pensée de s’ouvrir aux contradictions, aux paradoxes, sortir de nos structures mentales héritées pour espérer penser l’impensable, réaliser l’irréalisable… au service du vivre ensemble dans un monde préservé.

Brigitte anime le site web http://atelier.conso.free.fr.