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Dossier Accepter : l’édito
dimanche 12 novembre 2006, par
Les formes de contraintes sociales ont fait l’objet d’une importante réflexion philosophique et sociologique. Depuis La Boétie, qui synthétise les raisons et les conditions d’une soumission volontaire des individus à l’autorité (politique ou morale), en passant par les réflexions de Hobbes sur les conditions de construction du cadre normatif de la contrainte légale, la réflexion philosophique classique a mis en avant les mécanismes clés de la domination politique et de l’intérêt pour l’individu à s’y soumettre. Prenons encore quelques figures : Milgram -qui décrypte le principe de l’obéissance, se justifiant par l’acceptation de la puissance légitime du savoir scientifique-, Foucault -et l’intériorisation progressive en chacun de nous des règles de conduites comme contraintes acceptées et valorisées- et puis, Bourdieu -mettant en avant les différents processus de la domination, s’instaurant davantage par des contraintes culturelles que par le recours à la puissance et la force directe... L’acceptation s’appuyait alors, essentiellement, sur l’élaboration de rapports de contraintes, que subissait l’individu : les rapports de domination politique (pouvoir/autorité/coercition), économique (propriété/capital) et culturel (contraintes religieuses), légitimés par le pouvoir politique, délimitaient l’espace d’action de l’individu.
Désormais, si ces formes ne disparaissent pas, les rapports de la soumission ne passent plus nécessairement par une contrainte extérieure au sujet, mais par une logique de socialisation à l’auto-sujétion. Il se passe bien quelque chose de particulier du côté de la subjectivité individuelle, notamment de notre rapport à une autorité qui s’affiche de moins en moins comme telle, mais dont nous devançons les désirs inexprimés. D’une manière générale, l’affaiblissement du lien social, par l’émancipation individuelle et par le productivisme, se marque par l’idée d’un déclin de l’institution coercitive -comme espace d’imposition du réel. Nous serions davantage acteurs de notre propre soumission, au point de participer pleinement et volontaire à l’élaboration de nouvelles pratiques sociales qui aboutissent à un enfermement de notre autonomie dans un espace de plus en plus contrôlé. Devenu sans cesse créateur et animateur de notre propre singularité, n’avons-nous pas produit un mécanisme de contrôle social qui repose moins sur la mobilisation des institutions de contrôle (éducation, santé, prison...) mais davantage sur une emprise invisible, façonnée et régulée par nos propres désirs ? Aurions-nous gagné plus d’autonomie alors ? L’autonomie valorise l’aspect personnel dans les relations sociales -notre capacité à décider de nos choix, à pouvoir résister, seul- et renforce les représentations individualistes dans les relations sociales. Mais cette autonomie met au centre de la vie de chacun la responsabilité personnelle de toutes ses actions : la relation au travail (qui n’a plus les limites de l’espace professionnel) ; l’évaluation permanente de son identité (dont nous serions les seuls bâtisseurs)... Faut-il se ranger à l’évidence que les formes du contrôle social se sont, elles-aussi, adaptées à ce nouveau statut de l’individu et du collectif.
Nous souhaitons explorer les frontières de ces nouvelles contraintes qui construisent un rapport inédit de notre propre sujétion. Ainsi, les contributions de ce dossier s’intéressent aux formes de l’acceptabilité : comment les utopies technologiques réduisent notre capacité à construire notre émancipation ? Comment les formes de la socialisation induisent notre propension à accepter le monde tel qu’il est ? Et comment nous souhaitons à ce point y être intégré ? Comment, encore, pouvons-nous contribuer à imposer comme une évidence notre propre rapport de soumission (à la mobilité, la vitesse, l’image de l’autre -le délinquant...) ? Le dossier contribue à mettre en évidence, comme le soulignait Günther Anders, combien notre modernité actuelle accentue notre "surexposition au monde", en rendant difficile la capacité de nous "extérioriser" -et donc de résister- aux contingences quotidiennes. Cette domination douce amenuise d’autant notre capacité de réaction, qu’elle résulte d’une complicité volontaire de notre part.
La rédaction