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Les négociations internationales : trois ans sans avancer… Et maintenant ?

novembre 2000, par Philippe Quirion

Responsable "climat" des Amis de la Terre France, Philippe Quirion dresse l’état des lieux des négociations internationales sur le climat, présente les enjeux de la conférence de La Haye, et expose le point de vue qu’y défendra le "Réseau Action Climat."

Pour un néophyte, le suivi des négociations internationales sur le changement climatique incite plus à l’étonnement qu’à l’optimisme.

Premier paradoxe : bien que le climat continue à se réchauffer, bien que l’état des connaissances scientifiques évolue plutôt dans le sens de la reconnaissance de la responsabilité de l’homme dans ce phénomène, le processus de négociation, constructif jusqu’en 1997, piétine depuis, quand il ne recule pas (cf. encadré).

Second paradoxe : alors que les "mécanismes de flexibilité" de Kyoto étaient censés faciliter un accord en limitant le coût des réductions d’émissions, leur mise au point ouvre tellement de difficultés, tellement d’occasions d’opportunisme, qu’ils bloquent tout accord depuis trois ans. Au point que la négociation internationale sur le climat, partie d’un principe simple (des objectifs quantifiés par pays) s’est transformée en ce qui constitue peut-être la pire usine à gaz des Nations-Unies. Et que ces "flexibilités" risquent de rendre le traité inutile, voire, pour certaines, de créer d’autres problèmes sociaux et environnementaux sous le prétexte de sauver le climat. Illustrations avec un point sur quelques débats en cours.

Le Hot air

à Kyoto, les pays de l’ex-URSS ont réussi à négocier un objectif de limitation de leurs émissions qu’il leur serait plutôt difficile de ne pas respecter : sur la moyenne des années 2008 à 2012, ils ne doivent pas dépasser le niveau de leurs émissions de 1990. Or, suite à l’effondrement de leur industrie lourde, leurs émissions se sont effondrées de moitié sans que ce soit bien sûr une conséquence de la lutte contre l’effet de serre. Une aubaine pour les Russes et les Ukrainiens, qui pourraient ainsi vendre une partie de leur quota aux occidentaux et récupérer des devises en échange de ces réductions fictives, qualifiées de Hot air dans le jargon des négociations. Ces échanges de permis se traduiraient par une augmentation nette des émissions, puisque les acheteurs pourraient éviter d’agir chez eux, sans que des réductions n’aient lieu dans les pays vendeurs. Pour limiter cet effet pervers, les associations de protection de l’environnement, regroupées au sein du Climate Action Network, l’Union européenne et le G77+Chine souhaitent limiter les échanges, soit au moyen de plafonds quantitatifs (interdiction de vendre ou d’acheter plus de x % de ses émissions autorisées, par exemple), soit en limitant les ventes de permis dues à une baisse du PIB et pas à une réduction des émissions par unité de PIB. Par exemple, si les émissions russes sont divisées par deux en 2008-12 et que le PIB russe diminue de 25 %, les autres 25 % de réductions pourraient être vendus sous forme de permis. Le JUSCANZ (Japon, Etats-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande), s’y oppose farouchement, arguant qu’il est irrationnel de s’opposer à des échanges mutuellement profitables.

L’additionnalité dans les mécanismes par projets

À côté de l’échange de permis proprement dit, le Protocole de Kyoto a prévu deux "mécanismes par projets", par lesquels un pays peut financer un projet réduisant les réductions dans un autre, et recevoir ainsi des crédits d’émissions qui lui éviteront autant d’efforts chez lui. Le premier de ces mécanismes, la Mise en Œuvre Conjointe (MOC), se déroule entre deux pays de l’annexe B ; le second, le Mécanisme de Développement Propre (MDP), doit permettre à des pays de l’annexe B de financer des réductions dans le reste du monde. Mais la plupart du temps, un investissement ainsi financé ne servira pas uniquement à réduire les émissions. Pour calculer la baisse d’émission qu’il génère, il faut donc estimer une situation de référence (la baseline) et calculer " l’additionnalité " du projet. Prenons l’exemple d’une centrale électrique au gaz qu’un industriel allemand souhaite financer en Indonésie. Les deux parties ont intérêt à maximiser leur gain en crédits d’émission. Pour cela, ils prétendront qu’en absence de ce projet, la ville en question construira une centrale à charbon. Comment le vérifier ? En théorie, il faudrait prendre comme baseline le projet qui serait le plus rentable indépendamment des émissions de gaz à effet de serre. En pratique, un tel calcul suppose des estimations subjectives de nombreux paramètres, dont certains ne sont détenus que par les porteurs du projet. D’où l’idée de prendre des références fixes, au moins pour un pays et une période donnée. Par exemple, le scénario de référence pour la production d’électricité sera une centrale au gaz d’un rendement égal à la moyenne des unités mises en service dans le pays considéré au cours des dernières années.

Les technologies éligibles dans les mécanismes de projets

Peu présent dans la négociation à Kyoto, le lobby du nucléaire cherche depuis à rattraper le temps perdu, avec pour principal objectif de trouver sa place dans les mécanismes de projets. La question se pose surtout pour le mécanisme de développement propre, dont une partie des pays hôtes sont des dictatures. Ce qui amène les pro-nucléaires, qui depuis des années prétendent que leur technique est rentable par rapport aux autres sources d’électricité, à expliquer maintenant qu’elle doit être éligible au MDP, donc qu’elle est additionnelle, c’est-à-dire pas rentable sans une aide financière ! Situation qui serait cocasse si les risques du nucléaire n’étaient pas encore amplifiés dans le contexte des pays en voie de développement. Et si Saddam Hussein revendiquait des crédits du MDP pour la reconstruction de son réacteur Osirak ? Chevènement serait sans doute d’accord, mais les autres défenseurs du nucléaire dans le MDP, c’est moins sûr !
Pour ne pas lancer cette bouée de sauvetage au nucléaire (mais aussi aux grands barrages), l’Union européenne a repris l’idée, lancée par les associations de protection de l’environnement, d’une "liste positive" de technologies éligibles au MDP, limitée à l’amélioration de l’efficacité énergétique, aux renouvelables, à la cogénération et aux centrales au gaz efficaces. De leur côté, les petits États insulaires regroupés au sein de l’AOSIS (Alliance Of Small Island States), de nombreux pays africains et sud-américains s’opposent au nucléaire, de peur que quelques centrales en Asie monopolisent l’intérêt des financeurs et les privent de la manne du MDP. Reste qu’au sein des gouvernements français et britanniques, en particulier, tout le monde n’a pas renoncé à utiliser le MDP comme une subvention à l’exportation du nucléaire, d’autant que le JUSCANZ, la Chine et l’Inde s’opposent à cette idée de liste positive.

Les "puits de carbone"

Dans la plupart des pays développés, la forêt est en croissance, ne serait-ce qu’à cause de l’abandon de terres agricoles : autant de réductions en moins à faire pour satisfaire les objectifs de Kyoto. Sauf que ça pose quelques problèmes...
Tout d’abord, autant il est facile de mesurer les émissions de CO2 dues aux combustibles fossiles, autant mesurer le carbone de la biomasse est compliqué. D’où les pires débats procéduraux de la négociation (quelle est la hauteur minimale d’un arbre, la densité et la surface minimale d’une forêt, la profondeur jusqu’à laquelle prendre en compte le carbone stocké dans le sol…).
Ensuite, la durée de stockage d’un atome de carbone tourne autour de cinquante ans dans un arbre, contre des dizaines de milliers d’années au minimum pour les combustibles fossiles. Traiter les deux sur un pied d’égalité relève donc de la franche arnaque, à moins de prévoir ce qui se passera dans les 100 000 ans à venir. Imaginons, par exemple, qu’un pays gagne des crédits d’émissions en plantant une forêt, et que celle-ci soit détruite quelques dizaines d’années plus tard -par exemple parce que le climat local s’est réchauffé et asséché. Ce pays expliquera que la destruction de cette forêt n’est pas de son fait, mais découle d’une cause naturelle, et que sa destruction ne doit donc pas être prise en compte, contrairement à sa plantation…
Pire, le cas des forêts des pays hors annexe B, qui n’ont pas de plafond d’émission. Si les puits de carbone sont acceptés dans le MDP, un pays en développement pourra planter une forêt, en surveiller la croissance et revendiquer des crédits d’émission, tout en accélérant le défrichement sur le reste de son territoire !
Pourtant, la position officielle des Américains, des Canadiens et des Australiens reste "carbon is carbon" : dans l’annexe B comme dans le MDP, il faut prendre en compte le stockage par la biomasse. Au contraire, pour la plupart des associations de protection de l’environnement, pour l’Union européenne et l’AOSIS, le carbone des arbres ne peut légitimement être comptabilisé comme le charbon ou le pétrole. Ceci dit, certaines associations voient dans le MDP une occasion de limiter la destruction des forêts tropicales ou de lutter contre la désertification au Sahel. Plusieurs d’entre elles se sont déjà engagées dans des projets de gestion forestière en Afrique ou en Amérique latine, dans le cadre des prototypes de MDP qui sont d’ores et déjà lancés par la Convention climat ou des groupes privés, comme Peugeot SA. Si a priori on peut penser que tout est bon pour sauver les forêts menacées, il faut tout de même une certaine naïveté pour croire que Peugeot va investir dans des projets d’agroforesterie à petite échelle au Sahel quand il peut planter des rangées d’eucalyptus au Brésil, même au détriment de la biodiversité, de l’équilibre des sols et des populations indigènes. Or, les quantités en jeu sont énormes. Tellement que, si tous les puits sont autorisés, les 5 % de réduction péniblement adoptés à Kyoto risquent de se transformer en 10 % d’augmentation, rien qu’en prenant en compte le stockage du carbone qui aurait eu lieu de toute façon.

à la lecture de ce bref historique, le lecteur /la lectrice aura compris qu’en dehors de l’Union européenne, la plupart des pays développés tiennent de toute évidence plus à minimiser leurs contraintes qu’à aboutir à un accord efficace pour lutter contre le changement climatique. Encore doit-on ajouter que pour l’Union européenne, ça ne coûte pas trop cher d’être en pointe dans les négociations quand elle sait qu’États-Unis, Japon, Canada et Australie vont s’opposer à chacune de ses propositions. Et que nos gouvernants seraient plus crédibles s’ils commençaient à appliquer chez eux les mesures qu’ils souhaitent -à les entendre- voir se généraliser sur la planète.
Quant aux "méchants" de l’histoire, le JUSCANZ et l’OPEP, ils ont réussi à noyer la négociation dans un océan de procédure et de technicité. Une dizaine de sujets sont aujourd’hui négociés en parallèle, et dans un pays comme la France, le nombre de personnes capables de suivre l’avancée de chacun de ces sujets ne doit pas dépasser la dizaine. Du coup, mobiliser le public relève de la gageure. On organise difficilement une manifestation pour que l’article 3.4 ne soit pas pris en compte dans la première période d’engagement, ou un meeting sur les critères d’additionnalité du MDP…

Construisons la digue !

Pourtant, sans cette mobilisation du public, pas de succès à attendre. Alors, tous à La Haye en novembre !
D’autant que l’association MilieuDefensie (la branche néerlandaise des Amis de la Terre) a bien fait les choses : le samedi 18 novembre, les manifestants venus de toute l’Europe construiront une digue de sacs de sable d’un kilomètre de long autour du centre de conférence, pour que les négociateurs prennent conscience de ce qu’il faudra faire dans toutes les zones côtières s’ils ne prennent pas les décisions qui s’imposent… L’hébergement sera gratuit, le voyage en bus assuré depuis Paris par un collectif regroupant les principales associations de protection de l’environnement (départ le vendredi 17 à 23 heures Gare du Nord, retour le dimanche 19 au soir) pour 300 F A/R (220 F pour les chômeurs et étudiants). Pour plus d’informations, 01 40 31 02 99, www.amisdelaterre.org/climat ou digue@amisdelaterre.org.


Huit ans de marchandages internationaux

Rio de Janeiro, juillet 1992 : le sommet des Nations-Unies sur l’environnement et le développement débouche, entre autres, sur une Convention cadre sur le changement climatique. Un texte certes peu contraignant, mais aux principes forts : " le but ultime de la convention est de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. "

New York, 1994 : la Convention entre en vigueur (elle est aujourd’hui ratifiée par 186 pays).

Berlin, 1995 : la première Conférence des Parties signataires de cette Convention (COP1) adopte le " mandat de Berlin " aux termes duquel les pays industrialisés (y compris les anciens pays de l’Est) devront prendre des engagements quantitatifs de limitation de leurs émissions.

Kyoto, 1997, COP3 : ces engagements quantitatifs sont décidés ; cumulés, ils représentent une diminution de 5,2 % des émissions des pays développés (regroupés dans l’annexe B du Protocole de Kyoto). Ils sont assortis de "mécanismes de flexibilité" par lesquels une Partie peut remplir ses obligations, non en limitant ses propres émissions, mais en finançant des réductions à l’étranger. Les émissions sont calculées "en net", c’est-à-dire en prenant en compte le CO2 éliminé (ou créé) par l’absorption (le dégagement) du carbone stocké dans les arbres.

Buenos Aires, 1998, COP4 : faute d’accord sur la manière de préciser les dispositions de ce Protocole, les Parties se donnent deux ans pour trouver un compromis.

Bonn, 1999, COP5 : aucun progrès.

Bonn, juin 2000, et Lyon, septembre 2000, réunions préparatoires à COP6 : aucun progrès.

La Haye, 13 au 24 novembre 2000, COP6 : pour le secrétaire exécutif de la Convention, Michael Zammit Cutajar, " L’urgence que revêt la question du réchauffement de la planète n’est pas reflétée dans le rythme des pourparlers [préparatoires]. (…) On peut s’attendre à ce que cette étape finale soit un exercice politique difficile, très technique et extrêmement complexe. "