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Les collectivités locales face à l’effet de serre

novembre 2000, par Alain Cabanes, Michel Bourgain

La recomposition des pouvoirs locaux (nouvelles relations État-collectivités territoriales), les recompositions administratives et politiques (intercommunalité dont agglomération, pays…) offrent de nouvelles perspectives à la gouvernance locale. Comment les collectivités locales (communes, départements, régions, mais aussi communautés urbaines…) peuvent-elles peser sur l’élaboration de politiques destinées à limiter les émissions de gaz à effet de serre ? à la croisée des préoccupations énergétiques et environnementales, cinq domaines peuvent concrètement être mis en chantier par les animateurs et animatrices de la gestion locale.

Déplacements et urbanisme

45% du carburant consommé en France est utilisé pour des déplacements urbains quotidiens. D’ici 2020, le trafic automobile urbain et périurbain pourrait augmenter de 75%. Face à cette évolution, les collectivités territoriales peuvent tenter de maîtriser la tendance à l’augmentation des distances et à la suprématie croissante de l’automobile dans les déplacements quotidiens.
Diverses solutions peuvent être appliquées. La ville peut être rendue plus « compacte » ; une ville dense consomme deux fois moins d’énergie qu’une ville étalée. Aux Pays-Bas, par exemple, l’occupation du sol autour des lignes de transport est dégressive en fonction des déplacements générés : ne peuvent se localiser autour d’une station de tramway que des lycées, des hôpitaux, ou des immeubles hauts, et les entrepôts et les maisons individuelles sont plus éloignés.
Ensuite, les déplacements peu émetteurs de gaz carbonique peuvent être privilégiés. Les transports en commun émettent 3 à 5 fois moins de CO2 par kilomètre et par personne que les déplacements en voiture. Le vélo et la marche à pied sont évidemment imbattables en ce domaine.
Les collectivités peuvent aussi favoriser les déplacements à énergie nulle ou faible. Pourquoi ne pas rendre agréable et sans danger un parcours à pied en ville (trottoirs larges et aménagés, traversées faciles des obstacles : carrefours, voies ferrées, routes) ? Pourquoi ne pas faciliter les circulations des deux roues et rollers (pistes cyclables, feux spéciaux aux carrefours, itinéraires continus) ou développer la fréquence, le confort, la sûreté, la tarification des autobus, métro, tramway ?
Cela suppose enfin que l’on réduise l’usage de la voiture. Le covoiturage pour les personnes de la même entreprise, qui habitent dans le même quartier doit être encouragé. La délimitation des zones à circulation interdite ou limitée à certaines heures pourrait permettre de concevoir différemment l’espace urbain. Il existe aussi des solutions plus ponctuelles, comme remettre en cause l’article 12 des POS qui rend obligatoire la construction de places de parking dans les immeubles de bureaux.
Les déplacements urbains consomment environ 25 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep). Un objectif minimum de 10% d’économie diminuerait la consommation de 2,5 Mtep.

Maîtrise de la consommation d’énergie des services publics

Les services municipaux sont très consommateurs d’énergie fossile, et il est possible de maîtriser ces consommations. Prenons 3 exemples.
Les écoles (près de 30% de la consommation énergétique des communes). Leur caractéristique principale est leur durée d’occupation très intermittente. Pendant un hiver, les enfants ne sont présents que pendant environ 1 000 heures dans les locaux. Dès lors qu’on saura adapter le mieux possible les temps de chauffage aux horaires d’occupation des locaux, on économisera beaucoup (parfois jusqu’à 40%). Ces solutions demandent peu d’investissements. C’est plus un problème d’organisation qu’un problème technique.
Les piscines (près de 10% de la consommation des communes). En piscine couverte, la championne des économies est la couverture du bassin la nuit, qui a un temps de retour de quelques mois. Les autres solutions sont la régulation de la ventilation, la limitation des quantités d’eau neuve par jour, les boutons poussoirs dans les douches, le recyclage partiel de l’air chaud, les pompes à chaleur, les chaudières gaz à condensation. En piscine découverte, le chauffage solaire avec des capteurs simplifiés sans vitrage est une bonne solution rapidement rentable.
Les véhicules (près de 10% du budget énergie des communes). Le parc d’une commune est en général très varié : voitures de tourisme, utilitaires, poids lourds, bennes à ordures, autobus. Les solutions sont variées : les conducteurs peuvent être spécialement formés à la conduite économique ; l’amélioration de l’entretien et du contrôle des moteurs (pompes à badges, l’analyse des huiles et des gaz, surveillance de l’injection…) sont rapidement efficaces ; le passage au biogaz, au G.P.L., à l’éthanol ou aux véhicules électriques est à étudier pour les véhicules qui ne sortent pas de la commune.
Par rapport à une consommation annuelle de 4 Mtep, une économie de 20% permettrait d’économiser 0,8 Mtep.

Gestion des déchets

En 1996, une tonne de déchets en décharge émettait 1,1 tonnes de CO2, une tonne de déchets incinérés en émettait 300 kg. à chaque étape de la gestion des déchets municipaux, des actions de limitation de gaz à effet de serre peuvent être entreprises.
Dans un premier temps, la réduction à la source peut être optimisée. Un déchet qui n’est pas produit est un déchet qui ne génère pas de gaz à effet de serre. Il convient ensuite d’optimiser la logistique et le transport des déchets ménagers. Le transport de déchets représente 4,5% des émissions de gaz carbonique. La limitation passe par une organisation rigoureuse des flux et une minimisation des distances de transport et des consommations énergétiques. Puis, le recyclage adéquat doit être favorisé : le bilan Effet de Serre de la filière recyclage est avantageux si elle génère peu de transport et transit, et si les consommations d’énergie dans les procédés de recyclage sont maîtrisées. Enfin, il est nécessaire de valoriser ou détruire le biogaz de décharge. Le biogaz est principalement composé de méthane qui est un puissant gaz à effet de serre. Sa valorisation économiserait de l’énergie fossile. En le brûlant, on divise par 21 son impact sur l’effet de serre. Pour cela, il est important de valoriser au contraire la matière organique des déchets (déchets verts, fraction fermentescible des ordures, boues de stations d’épuration), favoriser le retour du carbone organique à la terre plutôt qu’une émission à l’atmosphère (comme la valorisation agricole : compost, épandage), valoriser aussi la dimension énergétique de la matière organique des déchets (méthanisation) et enfin, valoriser l’énergie de l’incinération (chaleur, électricité, cogénération) dans la mesure où les effets induits ne sont pas cause de problèmes de santé (dioxine…). La chaleur et l’électricité produites vont se substituer à de la chaleur et de l’électricité produite par des combustibles fossiles.
L’expérience acquise en Europe indique qu’un objectif de valorisation par recyclage et production d’énergie de l’ordre d’1 Mtep peut raisonnablement être visé.

Réseaux de chaleur, énergies renouvelables

Les collectivités peuvent mobiliser et commercialiser des énergies locales de récupération et renouvelables, dans des conditions économiques acceptables.
Pour cela, il leur faudrait favoriser le développement des réseaux de chaleur plutôt que du chauffage individuel. à énergie égale, les réseaux de chaleur optimisent les consommations énergétiques, donc les émissions de gaz carbonique. L’aménagement du territoire, l’urbanisme et les POS peuvent favoriser l’utilisation collective de l’énergie. Cela passe aussi par l’utilisation des combustibles moins polluants (gaz) et des énergies renouvelables dans les réseaux de chaleur : géothermie (500 000 habitants déjà chauffés en France), bois-énergie, chaleur de récupération industrielle. L’optimisation des systèmes énergétiques permet également d’atteindre ces objectifs, en développant l’amélioration des conditions de combustion, le développement de la cogénération, ou l’utilisation des énergies renouvelables… Dans cette optique, les collectivités peuvent capter, ou soutenir des opérateurs locaux à capter, l’énergie hydraulique des montagnes, l’énergie éolienne des zones ventées, l’énergie solaire pour les piscines, les parcmètres, les signalisations lumineuses. Elles peuvent chauffer leurs bâtiments au bois (600 chaufferies collectives qui donnent satisfaction).
La quantité d’énergie mobilisable par ces usages peut atteindre 1 à 2 Mtep.

Inciter aux comportements sobres en énergie

En intégrant la sobriété énergétique dans leurs propres politiques publiques, les collectivités territoriales font d’une pierre deux coups : elles réduisent leurs propres émissions et contribuent à réduire celles de leurs administrés. Elles peuvent encore jouer un troisième coup. Intervenir pour susciter la sobriété énergétique dans la vie quotidienne des ménages, des entreprises, des commerces. Parmi les actions possibles :

Information et sensibilisation par :

– une agence territoriale sur l’énergie pour le public et les entreprises,
– une information régulière sur les avantages de comportements sobres en énergie,
– la valorisation des actions réussies par la collectivité et par les acteurs privés de la ville,
– des actions éducatives dans les établissements scolaires.
Incitation pour :

– développer le recours au diagnostic énergétique,
– construire des logements performants (permis de construire),
– réhabiliter thermiquement les logements existants,
– utiliser des lampes à faible consommation et des appareils électroménagers performants,
– utiliser les transports urbains et les transports non motorisés,
– utiliser l’eau de façon rationnelle.
Association des acteurs principaux de la ville pour :

– une information ciblée sur les objectifs de la ville,
– une concertation élargie pour définir la politique énergétique territoriale,
– une valorisation de leurs actions et de leurs résultats,
– le développement de clubs d’utilisateurs par type de consommateurs.

Il est à noter qu’une centaine de collectivités territoriales européennes, associées dans « Énergie-cités », sont impliquées dans de telles politiques.

Incontestablement, aujourd’hui, les collectivités territoriales ont les moyens de contribuer à économiser ou à remplacer de 6 à 10 Mtep d’énergie fossile, ce qui représente de 3 à 5% des émissions annuelles de gaz à effet de serre. Cette contribution suppose la généralisation d’une approche du développement urbain intégrant la dimension d’efficacité énergétique globale. à cet effet, des plans territoriaux de limitation des émissions de gaz à effet de serre peuvent être intégrés dans des agendas 21, auxquels ils apportent de nombreux dividendes : économie des ressources-matières et financières, réduction des nuisances sonores, qualité de l’air et de la vie, qualité et attractivité de la ville, emploi local, citoyenneté et responsabilité territoriale.