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Démocratie contre capitalisme
Thomas Coutrot
2006, par
La Dispute, 2005, 236 pages, 20 euros.
C’est un ouvrage très stimulant que voici. L’auteur veut démontrer que la démocratie peut subvertir le capitalisme : "on ne pourra sauver la démocratie qu’en élargissant ses formes et son champ d’action". Une économie démocratique, fondée sur la liberté, n’est pas impossible. Pour Thomas Coutrot, l’utopie altermondialiste ("changer le monde sans prendre le pouvoir") est obsolète. Le suffrage universel est la panacée.
Tout d’abord, l’auteur analyse l’insécurité sociale et la domination de la finance. Le chômage de masse est ainsi analysé comme une condition nécessaire au maintien de la rentabilité des entreprises. L’insécurité est le principal ressort du modèle productif. Et la souffrance au travail n’est pas l’apanage des cadres supérieurs.
Coutrot soutient que l’Europe pourrait apporter plus : "Il suffirait par exemple de renforcer le budget de l’Union, et d’autoriser cette dernière à emprunter pour lancer des projets européens d’intérêt général, une croissance économique sans productivisme, mais au contraire axée sur des aspirations sociales et écologiques : transports collectifs, ferroutage, énergies nouvelles, logement social, autoroutes de l’information".
Cela va, bien sûr, à rebours des idéologues du Medef qui veulent généraliser le risque contre la sécurité. Coutrot présente trois principes-clés de la sécurité sociale de l’emploi : la mobilité désirée, la continuité du statut, la mutualisation des coûts afférents au maintien du revenu des travailleurs hors emploi. A cet instant, l’auteur précise : "Il est bien clair qu’on n’enrayera pas la machine à détricoter les compromis sociaux en conservant inchangées les actuelles structures du capitalisme néolibéral". Ainsi la réforme du marché du travail passe par une attaque du marché financier. Comment financer les entreprises : en marginalisant les marchés d’actions et en développant le financement bancaire de long terme.
Dans un deuxième chapitre, Coutrot observe les résistances au néolibéralisme. Passages désormais classiques : les deux piliers de l’altermondialisme sont : "le monde n’est pas une marchandise" et "la démocratie et l’intérêt général doivent primer sur les droits de propriété ou les pouvoirs des “experts”". La suite du chapitre expose le débat sur "relocalisation" ou "mondialisation maîtrisée". Via Campesina (fédération des syndicats dont fait partie la Confédération paysanne) "tient sans doute le juste milieu, en réclamant des politiques de souveraineté alimentaire et de régulation politique des échanges agricoles, sans s’opposer par principe au commerce international". L’auteur met ensuite l’accent sur les placements et le commerce "éthiques". Sur ce point, les choses sont vraisemblablement plus avancées aux Etats-Unis qu’en France. Il faudrait également que syndicats et mouvement altermondialiste puissent se rencontrer, ce qui n’est que peu le cas.
Le troisième chapitre est consacré à l’économie solidaire, entre ambiguïtés et promesses. Déjà présente au dix-neuvième siècle, sous la forme de coopératives ouvrières ou d’associations mutualistes, elle est revenue sur la place publique au vingtième siècle en réaction au chômage et à la crise économique. Entre 1990 et 1995, le nombre de personnes employées dans ce "tiers-secteur" (selon l’expression d’Alain Lipietz) a augmenté de 23 %. Mais ces structures ne sont-elles pas aussi un palliatif à un désengagement de l’Etat d’emplois publics ? "La critique du bureaucratisme de l’Etat-providence a été reprise par le néolibéralisme pour porter le fer de la privatisation et de l’amaigrissement des budgets sociaux". L’auteur en appelle à l’autogestion (alliance de l’autonomie et de la démocratie) pour affiner son projet d’économie solidaire. Celle-ci n’est ni capitaliste (séparation entre producteurs et moyens de production, salariat des premiers, surplus pour les propriétaires des machines) ni étatique. Et cela marche ! Voyez plutôt le commerce équitable. Deux écoles s’y affrontent. Celle d’Artisans du monde vise à "servir d’aiguillon aux politiques pour définir d’autres règles du commerce" ; celle de Max Havelaar veut "“jouer dans la cour des grands” sur le marché mondial pour peser sur les transnationales". Coutrot les juge "complémentaires". Mais il n’oublie pas "le combat pour la hausse des salaires, les créations d’emploi et la réduction des inégalités" qui doit accompagner ces pratiques alternatives.
L’auteur revient alors sur la "décroissance", qu’il ne prône pas, loin de là. "On a vu qu’il est possible de définir des indicateurs de bien-être social et de soutenabilité écologique alternatifs au PIB. Pourquoi vouloir faire décroître le bien-être social ?"
Dans le chapitre quatre, Coutrot aborde le renouveau de l’autogestion par une présentation de l’exemple brésilien où le phénomène ne se limite pas aux zones urbaines.
Il n’empêche, le capitalisme n’est pas mort. Le cinquième chapitre examine la trilogie : capitalisme, libéralisme, démocratie. Deux triangles s’affrontent : le néolibéral (capitalisme de monopoles-libéralisme économique-démocratie formelle) et postlibéral (socialisme autogestionnaire-libéralisme politique-démocratie substantielle). "Pour sortir par le haut du libéralisme, la démocratie, qu’elle soit socialiste ou postlibérale, doit se radicaliser au sens propre du terme : s’enraciner dans les pratiques quotidiennes, et d’abord dans les pratiques économiques et productives", confirme l’auteur. C’est pour cela qu’il insiste sur le socialisme autogestionnaire, aussi appelé démocratie économique participative. Elle est un "marché socialisé" qui "conserve bien sûr "l’échange marchand" mais remplace les "forces du marché" par la "coordination négociée", c’est-à-dire : une prise en compte des préférences des consommateurs, une incitation des producteurs et une détermination démocratique des priorités d’investissement.
En conclusion, Coutrot insiste sur le débouché de la résistance économique citoyenne : de nouvelles régulations publiques contraignant le pouvoir du capital. C’est pour cela qu’il a proposé une "sécurité sociale de l’emploi", pour éliminer le chômage et l’insécurité sociale, ainsi qu’une taxation des transactions financières et des investissements directs à l’étranger, afin de dégonfler la bulle financière. A cela, il joint de nouvelles régulations politiques commerciales multilatérales pour subordonner les échanges commerciaux au respect des droits humains sociaux. Enfin, il a mis en avant le développement des activités non marchandes, de services publics rénovés et démocratisés, de la gratuité des services essentiels.
Observant le mouvement altermondialiste comme le "creuset" d’un nouveau bloc à l’échelle mondiale, il incite celui-ci à se doter d’un programme, afin de "dépasser le stade d’un sympathique lieu de rencontres conviviales et de manifestations colorées mais impuissantes".
Jean-Louis Peyroux