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Le Conseil Communal Participatif de Montreuil

mardi 10 mai 2005

En matière de démocratie locale, une démarche comme celle de la loi Vaillant qui consiste, sous prétexte de "proximité", à rajouter un échelon institutionnel entre les habitants et les municipalités, reste radicalement insuffisante. Sans changement dans les modes d’exercice du pouvoir eux-mêmes, le risque est grand que les futurs conseils de quartier rendus obligatoires par cette loi restent totalement contrôlés et ne servent que de courroie de transmission à l’équipe en place.
Il s’agit donc de s’attaquer aussi à l’institution municipale elle-même, comme l’a fait par exemple la nouvelle équipe écolo-alternative de L’Ile-Saint-Denis. À Montreuil, cette transformation du pouvoir a été entreprise du dehors, avec la création d’un "Conseil Communal Participatif".

Le Conseil Communal Participatif a été créé par Montreuil Ville Ouverte, liste constituée pour les élections de mars 2001 autour des Verts et d’autres militants de gauche, associatifs et/ou écologistes afin de proposer une alternative démocratique à la liste d’union de la gauche menée le maire sortant. Au soir du deuxième tour des élections, elle se retrouvait avec 29 % des suffrages et 8 élus, sans aucune perspective à court terme de s’intégrer dans la majorité municipale. La transformation de Montreuil Ville Ouverte en association de soutien et de suivi du travail de ses élus faisait partie des règles du jeu fixées en début de campagne électorale. Le problème était donc d’inventer des modes de fonctionnement qui permettent à la fois de consolider et étendre son réseau militant et de ne pas laisser se refermer l’espace de débat public qui avait été ouvert au cours de la campagne : même affaiblie, la majorité municipale pouvait s’en croire quitte pour cinq nouvelles années. Ni les conseils de quartiers existants, ni le conseil municipal (qui souffre des défauts traditionnels de tous les conseils municipaux : mise en scène théâtrale de l’autorité, caractère fragmentaire des délibérations soumises au vote des conseillers, qui semblent n’exister que pour rendre plus opaques les orientations de long terme décidées par l’exécutif), ne semblaient suffisants à assurer un débat riche et continu.

Plusieurs objectifs ont donc présidé à la création du Conseil Communal Participatif :
– rendre abordables par les militants et les citoyens les délibérations mises à l’ordre du jour des Conseils municipaux institutionnels ;
– associer le maximum de gens possibles, issus des réseaux constitués ou non, à la préparation des conseils par les élus, à leurs décisions de votes et au choix des questions orales qu’ils poseront, recueillir les propositions des habitants et des associations ;
– faire connaître les positions des élus de Montreuil Ville Ouverte, voire si possible leur donner une légitimité supplémentaire ;
– créer un espace transversal où les diverses luttes, initiatives et projets des réseaux militants et des habitants puissent se renforcer et acquérir plus de visibilité et de légitimité.

Enfin, le remplacement de l’équipe en place semblant de plus en plus inéluctable, le Conseil se veut aussi un modèle pour le futur Conseil municipal, un dispositif d’apprentissage et d’expérimentation de nouvelles relations et de nouvelles manières de travailler entre élus, militants et habitants - dispositif qui garantirait qu’une fois aux manettes, on ne se laisserait pas prendre aux "pièges du pouvoir".

Le Conseil communal participatif repose donc sur une série d’ambiguïtés : est-il "le conseil de Montreuil Ville Ouverte" ou bien un lieu appartenant à tous ? doit-il coller à l’agenda du Conseil municipal institutionnel (en se centrant sur une mission d’information) ou bien s’en libérer le plus possible pour se vouer à une sorte de coordination des luttes et des initiatives sur la ville ? Ces contradictions peuvent certes devenir redoutables, pour le moment ce sont elles qui donnent au Conseil communal participatif sa consistance, lui permettant de combiner une légitimité de droit (le fonctionnement actuel du Conseil municipal ne permet pas l’exercice des droits fondamentaux à l’information, à l’expression, à la participation politiques, donc il faut créer un espace où ces droits puissent être mis en œuvre) et légitimité de fait (les élus et les réseaux militants garantissant une certaine prise sur la réalité et une certaine efficacité, même sans traduction directe dans les décisions municipales).

Cela explique aussi en partie que le dispositif reste peu formalisé : il s’agit plutôt de lancer une démarche sur le long terme que de proposer un lieu où tout soit défini d’avance. Les principaux points du règlement intérieur constituent donc plutôt des garanties de souplesse et d’ouverture :
– préparation conjointe des Conseils par des membres de Montreuil Ville Ouverte, des militants et d’autres habitants sans affiliation particulière ;
– ordres du jour en trois parties, l’une préparée par les élus sur les points les plus importants à l’ordre du jour des Conseils municipaux, l’autre sur un thème d’intérêt général préparé avec les associations compétentes, la dernière étant constituée des questions diverses soulevées par les participants ;
– réunion annuelle de bilan, qui permette de réviser les modalités concrètes du Conseil Communal Participatif.

Les élus s’engagent non pas à répercuter aveuglément tout ce qui sera discuté, mais à répondre dans la mesure de leurs moyens à toutes les questions et les propositions, ainsi qu’à toujours rendre compte de ce qui sera fait et dit suite au Conseil. Le point crucial de tout le dispositif est en effet de ne pas se contenter d’un libre échange d’opinions, d’avis et d’idées, en laissant ensuite aux élus et aux organisateurs de traduire tout cela en discours et en actes. Il importe au contraire de toujours mettre en discussion cette traduction elle-même : qu’est-il possible de faire dans notre position de simples habitants ou d’élus minoritaires ? Le conseil communal participatif peut ainsi déboucher sur l’organisation de séances publiques de formation au budget municipal, sur une visite collective des habitats insalubres sur Montreuil, sur un recensement systématique des lieux de la ville auxquels un peu de verdure ne ferait pas de mal pour y effectuer en suite une série de plantations "sauvages". L’élaboration collective des questions orales au Conseil municipal, même si le rituel lui-même peut apparaître formel et rhétorique, permet également de sortir d’un simple recensement des opinions et de "tester" la manière dont les élus rendent compte des discussions.

Le Conseil communal participatif est donc loin d’être le lieu miraculeux où la démocratie participative prendrait soudain corps. Il ne vaut d’abord que parce qu’il s’inscrit dans un travail de construction par Montreuil Ville Ouverte d’un contre-pouvoir qui comporte d’autres outils : journal de "contre-désinformation municipale", bureau de la transparence où les élus mettent à la disposition des habitants les documents administratifs habituellement soigneusement cachés, etc. Plus largement, il renvoie à un ensemble d’initiatives et de luttes qui convergent vers lui ou qui parfois en émanent. Plutôt que de singer le conseil municipal institutionnel ou de donner dans l’illusion d’une traduction directe de ses propositions dans les politiques municipales, le Conseil Communal Participatif parie plutôt sur le renforcement d’un pouvoir social, à la croisée de la citoyenneté "sans qualités" du simple habitant et de la citoyenneté qualifiée des militants, qui changerait les conditions d’exercice du pouvoir municipal. Avec son aspect théâtral, il se veut la clé de voûte d’une mise en scène de ce que pourrait être une autre démocratie au niveau communal.