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Eco-économie

Lester R. Brown, Seuil, 2003, 444 pages, 23 euros

mercredi 14 janvier 2004, par Jean Zin

Lester R. Brown a été fondateur et président du World Watch Institute, qui publie chaque année un rapport sur "L’état de la planète". Son livre Eco-Economie, qui vient d’être traduit au Seuil dans la collection de Jacques Généreux, avait été publié aux Etats-Unis en 2001.

On peut dire que c’est le catalogue de tout ce que le système industriel doit faire pour être un peu plus soutenable... sans rien changer à sa logique productiviste et marchande. Non seulement la croissance n’est pas remise en cause, simplement baptisée "écologique et durable", mais il n’est pas vraiment tenu compte des transformations de la production à l’ère informationnelle. C’est la même chose que maintenant, mais avec des produits plus écologiques, plus de vélo, plus d’énergies renouvelables et propres, des écotaxes à la place de l’impôt sur le revenu et une plus grande productivité des ressources naturelles. On est bien dans le libéralisme pur et dur. Ces propositions ne sont pas à la mesure de la nécessaire relocalisation de l’économie et de sa réorientation sur le développement humain et la coopération. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faudrait les négliger : elles sont bien le moins qu’on puisse faire, mais tout progrès compte sur le front écologique.

"Les gens ont conscience de la nécessité de l’action (…). Je réponds invariablement qu’il nous faut procéder à des changements personnels et qui nous impliquent (…). Mais cela, en soi ne sera pas suffisant. Nous devons changer le système. Et pour ce faire, il nous faut restructurer la fiscalité en réduisant l’impôt sur le revenu et en augmentant les prélèvements sur les activités qui détériorent l’environnement, de sorte que les prix reflètent la vérité écologique" (p. 11-12). On ne peut qu’approuver l’affirmation qu’il faut changer le système, nos efforts personnels ne pesant rien dans l’affaire, mais on tombe vraiment de haut en constatant que cette révolution est uniquement fiscale, abandonnant de plus toute idée de redistribution pour une mythique vérité des prix, qui témoigne surtout d’une solide foi dans le marché et dans nos capacités d’atteindre la vérité ! Même le néo-libéralisme d’un Hayek ne tomberait pas dans ces naïvetés, car celui-ci admet l’imperfection de l’information.

Mais, comme on l’a vu, on n’est pas ici dans le monde de l’information : on en reste entièrement à l’ère énergétique (de la même manière que pour la décroissance proposée par Georgescu-Roegen) et à l’illusion de la mesure. Il suffirait changer de base... de mesure en intégrant les aspects écologiques pour prendre une mesure objective, énergétique, se traduisant en "prix vrai". Mais, en fait, la mesure d’une information est problématique et le vivant se quantifie mal. Cette conception qui prétend "tourner à notre avantage les forces du marché" est donc à la fois libérale et scientiste. Si le paradigme écologiste et cognitiviste doit remplacer le paradigme libéral et relativiste, c’est ne peut être au contraire qu’en passant de la fausse rigueur économique à la délibération politique (Latouche).

On a vite fait le tour des propositions censées rendre notre développement durable. C’est principalement le basculement de l’économie du pétrole à l’économie de l’hydrogène, à base d’électricité solaire et surtout de la multiplication des éoliennes. Or il reste beaucoup d’inconnues. Des scientifiques se sont par exemple inquiétés des inévitables fuites d’hydrogène utilisé à très large échelle, ce qui aurait pour effet de produire de la vapeur d’eau supplémentaire, aggravant encore l’effet de serre. Il faut examiner la question de près avant de se lancer dans la généralisation des piles à combustible, sans doute inévitable.

Pour le reste, en dehors des écotaxes et d’une impossible internalisation des coûts, on ne peut qu’approuver la promotion du vélo, du reboisement, du recyclage, voire de la pisciculture et des écolabels, mais on ne voit pas bien comment promouvoir plus de marché encore pourrait suffire à corriger les effets pervers du marché en tant que tel. On ne pourrait que se réjouir de voir s’étendre ces pratiques, il est douteux que cela constitue une solution permettant de généraliser notre mode de vie. Le simple fait de raisonner sur le long terme implique de partager une vision commune de l’avenir et de ce qui est souhaitable, d’en débattre au lieu de s’abandonner aux forces du marché. Du coup, c’est bien la logique du système qu’il faut changer, et pas seulement la fiscalité.

Il est extraordinaire de constater combien l’auteur trouve évidente et si populaire l’idée de substituer des taxes à l’impôt sur le revenu, et s’émerveille de ce qu’il considère comme un "free lunch", sans se demander si ce ne sont pas les plus hauts revenus qui y gagneront et les pauvres qui perdront encore plus. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas question ici d’écologie sociale, ni de réduction des inégalités. Et la dernière page, où l’écologie est mise au service de l’économie, est littéralement consternante : "Dans beaucoup de cas particuliers, la réponse est : oui, il est trop tard. Mais il y a une question plus large, plus fondamentale : est-il trop tard pour inverser les tendances qui mèneront finalement au déclin économique ? Ici, je pense que la réponse est non. Non, si nous allons assez vite." No comment…