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Le financement du développement durable

avril 2003, par Sébastien Godinot

Dans le cadre de leur campagne sur la réforme des institutions financières, les Amis de la Terre s’interrogent sur les modes et conditions de financement du développement durable.

La notion de financement du développement durable recoupe plusieurs dimensions. Si certains aspects du développement durable peuvent être directement financés, il apparaît qu’un nouveau cadre de financement est nécessaire pour répondre aux exigences propres à un tel type de développement.

I. Des besoins quantitatifs mesurés

Les éléments aujourd’hui quantifiés se limitent à l’accès universel aux services sociaux de base, et la réduction de moitié de la pauvreté extrême. Les services sociaux de base comprennent l’éducation primaire, la santé gynécologique, le planning familial, l’accès à l’eau potable et l’évacuation des eaux usées, les services de santé de base, et les soins cliniques essentiels. Cela constituerait déjà un premier pas colossal, mais resterait très en deçà d’exigences plus globales. En effet, une autre catégorie de besoins émerge au niveau international : il s’agit des « biens publics mondiaux » ou plus justement la préservation du « patrimoine commun de l’humanité », qui comprend notamment la biodiversité, le climat, les ressources naturelles, l’air, l’eau, etc. La définition de ces biens publics reste cependant extrêmement variable.

Les travaux effectués par plusieurs institutions internationales estiment à environ 80 milliards de dollars supplémentaires les besoins pour les objectifs définis ci dessus, par rapport au montant actuel de l’Aide Publique au Développement (50 milliards de dollars par an). A cela s’ajoute le besoin de financement du patrimoine commun de l’humanité. Pris dans un sens extrêmement restrictif, il est estimé à 30 milliards de dollars annuels. Les besoins ainsi formulés s’élèvent à 160 milliards de dollars par an, dont 50 sont déjà disponibles.

II. De nouvelles pistes de financement internationales

La première source de financement de ces besoins est l’autofinancement interne de chaque Etat, moyen le plus sûr de répondre à ses propres objectifs et de ne pas dépendre de manière excessive de financements externes. Cette source est actuellement insuffisante dans de nombreux Etats du Sud du fait de systèmes fiscaux insuffisants ou de remboursements de dette écrasants. La dette des pays du Sud, ajoutée à celle des pays d’Europe Centrale et Orientale, s’élève à 2 500 milliards de dollars. Le service de la dette représente dans certains Etats du Sud 40 % du budget total, et grève la capacité des Etats de financer les secteurs de la santé, de l’éducation, etc. La dette n’a que très peu bénéficié aux pays emprunteurs : illégitime, elle doit être annulée en majorité.

Au niveau international, les ressources publiques pour financer ces besoins ont aujourd’hui une origine unique : l’Aide Publique au Développement (APD). Elle atteint environ 50 milliards de dollars par an. C’est à dire bien peu par rapport à l’engagement pris par les pays riches de consacrer 0,7 % de leur PNB à l’APD. En théorie les 22 pays riches de l’OCDE devraient générer 100 milliards supplémentaires par an. Cependant, ces financements supplémentaires seront au moins partiellement contre-productifs sans une remise à plat du mode d’octroi de l’APD. Il s’agit de mettre fin au nouveau type d’asservissement des pays pauvres « bénéficiaires » par les pays riches donateurs..

Les sources de financement doivent être diversifiées. La proposition clé en la matière est de créer des impôts à l’échelle mondiale, de la même manière qu’il en existe dans tous les pays riches pour financer les dépenses publiques. Les deux taxes les plus étudiées actuellement sont l’éco-taxe et la taxe sur les transactions de change :
les travaux préparatoires à la conférence de Monterrey limitent l’éco-taxe à une taxe sur le carbone. Elle générerait environ 120 milliards de dollars par an
la taxe sur les transactions de change (par exemple la taxe Tobin) rapporterait avec des hypothèses sévères un minimum de 116 milliards de dollars annuels 2.

Ces taxes ont un double objectif : elles génèrent des ressources tout en luttant simultanément contre des aspects nuisibles du développement actuel (spéculation financière et changement climatique). D’autres taxes plus limitées sont suggérées, notamment sur d’autres polluants, comme les transports aériens, ou sur les plus grosses fortunes mondiales ; leur montant est plus faible.

Une combinaison de ces trois mesures (APD à 0,7% / éco-taxe / taxe Tobin) génère ainsi 336 milliards de dollars par an, à ajouter aux 50 milliards d’APD actuels. Cela permet d’affirmer que non seulement les besoins évalués à 160 milliards sont accessibles, mais qu’il est possible d’aller nettement au-delà. On peut donc élargir considérablement la notion de patrimoine commun de l’humanité et y apporter les financements dignes de l’enjeu qu’il représente.

III. Des blocages macro-politiques

Les blocages ne sont donc pas tant de nature quantitative que de nature politique, dans le sens où les acteurs dominants semblent déterminés à faire perdurer un système qui leur permet de s’arroger l’essentiel des bénéfices.

Le système économique et financier international se base aujourd’hui sur le consensus néo-libéral de Washington, qui prêche l’ajustement des économies au marché mondial et la réduction du rôle des Etats. Cette pensée unique macro-économique se retrouve dans toutes les institutions mondiales dominantes : Fonds Monétaire International, Banque mondiale, Organisation Mondiale du Commerce, agences de crédit et d’assurance crédit à l’exportation.

Peu connues, ces dernières favorisent les exportations des grandes entreprises nationales en leur apportant des garanties au nom de l’Etat. En France, la COFACE garantit environ 60 milliards de francs de projets à l’exportation chaque année. 80 à 90% de ces garanties publiques permettent des investissements contraires au développement durable : armement, transport aérien, centrale nucléaire, pipe-line, etc. Par exemple, la COFACE a garanti le barrage des Trois Gorges en Chine, plus gros projet hydroélectrique du monde et catastrophe annoncée, au bénéfice d’Alstom et de BNP-Paribas impliqués dans le projet. De même, par le biais de la COFACE, l’Etat soutient le projet de Total en Birmanie.

Le secteur privé recueille l’essentiel des bénéfices de ces politiques néo-libérales. Sur les cent premières unités économiques du monde (en termes de PIB ou de chiffre d’affaire), soixante sont aujourd’hui des entreprises, guidées par la recherche de la rentabilité à court terme maximale. Leur puissance croissante leur permet d’influer toujours plus sur les choix des décideurs publics.

Les acteurs dominants, principalement les gouvernements des pays du G8, refusent d’associer les dégradations sociales et environnementales aux causes économiques et politiques qui en sont à l’origine, et préfèrent n’y voir que des excès de la mondialisation, liés à quelques abus qu’il suffirait de corriger. Ces dégradations sont au contraire un des moteurs même de la croissance économique. En conséquence, le modèle de développement qui y conduit doit être fondamentalement remis en cause.

IV. Les exigences qualitatives du développement durable

Le développement durable bénéficie d’une définition juridique en France : l’article L.200-1 du Code rural énonce qu’il « vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Il inclut et définit quatre grands principes : précaution, action préventive et correction par priorité à la source, pollueur-payeur, et participation.

Le développement s’analyse ici en terme de droits : l’objectif prioritaire du développement est de satisfaire les droits humains dans leur acception la plus large, approche beaucoup plus globale et exigeante que celle fondée sur la satisfaction des besoins fondamentaux. Cette approche comprend ainsi des exigences démocratiques très fortes : transparence, consultation de tous les acteurs, mécanismes de co-décision, respect de la diversité culturelle, étude des alternatives, etc. La démocratie participative semble aujourd’hui la meilleure voie pour y parvenir. La responsabilisation des citoyens, dans ses dimensions individuelle et collective, est la pierre angulaire de cette évolution. Elle sous-entend information, sensibilisation, prise de conscience, action.

La justice sociale et la préservation de l’environnement prévalent sur le développement économique. La notion de patrimoine commun de l’humanité prend une importance capitale. Cela implique la fin du modèle productiviste où l’accumulation est une fin en soi. Il s’agit de baser tous les modèles de développement sur l’économie des ressources et la recherche de l’efficacité maximale. Le néo-libéralisme qui fait prévaloir des intérêts économiques privés sur certains intérêts publics sociaux et environnementaux, doit être abandonné, et le capitalisme profondément remis en cause. Si la croissance économique reste nécessaire dans les pays les plus pauvres, une décroissance soutenable s’impose dans les pays riches, dont l’empreinte écologique est très largement supérieure aux ressources dont ils disposent.

Au regard de ces exigences, une seule augmentation quantitative des financements alloués ne suffira évidemment pas à résoudre les problèmes de mal-développement. Le type de projets financés, les critères utilisés pour les évaluer, bref le cadre institutionnel dans lequel ces financements sont utilisés, doivent être repensés.

V. Pour un nouveau cadre de financement du développement

Il semble difficile voire impossible de financer un droit ; au contraire, financer les conditions qui permettent d’exercer ce droit est réaliste. Il est indispensable de faire évoluer radicalement le cadre dans lequel les financements seront assurés. On ne peut financer l’ensemble du développement durable en tant que tel, mais on peut financer les facteurs qui rendent ce développement possible.

La priorité est de financer la création / consolidation de systèmes institutionnels démocratiques : Etat de droit, lutte contre la corruption, mécanismes de responsabilité de tous les acteurs, modèles participatifs et décentralisés, accès à l’information et transparence. Les outils existent : appui institutionnel, formation-éducation, capacity building, échanges d’expérience, etc.

A l’intérieur de ce cadre, seuls les projets conformes au développement durable doivent être financés. Ainsi, il est à exclure de prime abord les secteurs incompatibles avec le développement (armement) ; il convient ensuite d’encourager les secteurs les plus favorables (promotion des énergies renouvelables).

D’une façon globale, le financement du développement durable doit permettre de mettre en place un développement basé sur l’économie des ressources et la recherche de l’efficacité maximale. La gestion par la demande (recherche de l’efficacité maximale) doit remplacer la gestion par l’offre (recherche de l’accumulation maximale). A cette seule condition, les projets pourront répondre aux besoins réels des populations, au sud, mais aussi au nord...


Écrit en avril 2003