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Le point de vue d’une élue

Entretien avec Hélène Gassin

jeudi 8 décembre 2011, par EcoRev’, Hélène Gassin

Hélène Gassin, élue Europe Ecologie-Les Verts, est vice-présidente de la région Ile de France, chargée de l’environnement, de l’agriculture et de l’énergie. Elle apporte au dossier un éclairage pragmatique, ayant été confrontée de manière très concrète à la question du chiffrage des bénéfices rendus par l’agriculture biologique, pour justifier et éventuellement quantifier un soutien de la région à des pratiques agricoles vertueuses.

EcoRev’ - Vos équipes ont cherché à évaluer sur le plan économique les services rendus par l’agriculture biologique en Ile de France…pour quelle raison ? En tant que politique, pourquoi se placer sur ce registre ?
 
Hélène Gassin -
Quelques éléments de contexte tout d’abord. La région Ile de France est une grande région agricole (les terres agricoles couvrent près de 50% du territoire francilien) qui souffre beaucoup de la pression foncière, notamment péri-urbaine, mais aussi de pratiques agricoles extrêmement intensives dont les impacts sur l’eau, tant quantitatifs que qualitatifs, sont graves, en particulier en Seine et Marne. Le Conseil Régional s’est investi sur les questions agricoles selon plusieurs axes (filières locales, accompagnement, environnement, péri-urbain, biologique...) avec notamment l’adoption - avec l’Etat - en 2009 d’un "Plan bio" qui mobilise l’ensemble des acteurs. Ce plan est basé sur les enseignements du travail d’Anny Poursinoff (alors conseillère régionale) sur le développement de l’agriculture biologique.
 
La région a mis en place dès 2005 une aide au maintien de l’agriculture biologique (ARMAB) pour soutenir les agriculteurs et agricultrices après leur période de conversion, sachant que leurs voisins conventionnels bénéficient, eux, d’aides historiques substantielles de la part de l’Europe et de la France, tout en étant souvent sur de plus grandes surfaces. Cette aide "notifiée" et donc encadrée par le droit européen, arrivait à échéance fin 2010. Selon l’évaluation que nous avons faite, l’ARMAB demeurait pourtant absolument indispensable, pouvant représenter jusqu’à 40% des revenus pour certaines exploitations. Parallèlement et plus curieusement, 90% des agriculteurs et agricultrices concernéEs considéraient cette aide comme une rémunération des services environnementaux rendus grâce à leurs pratiques ! Entre temps, une aide nationale au maintien a été mise en place, mais ses montants sont bien inférieurs à ce que la région offrait. Il était donc impératif d’anticiper et de réfléchir à une nouvelle aide, complémentaire, pour conserver nos niveaux de soutien. Le travail effectué par la région sur les services environnementaux se place dans ce contexte.
 
Par ailleurs, la question de la rémunération des services environnementaux de l’agriculture était en train de monter en puissance, notamment sur la scène européenne, dans le cadre de la révision de la PAC. De même que les travaux et réflexions autour de la valeur économique de la biodiversité, puisque nous étions aussi juste avant Nagoya, et, dans une moindre mesure, que tout le débat sur le coût de l’inaction en matière de changements climatiques (rapport STERN, compensation etc...) ou plus largement la question des biens publics. Dans un monde largement libéral, de nombreux acteurs se disent que la seule façon de protéger l’environnement est de faire valoir sa valeur économique.
 
Du point de vue de la région, il paraissait donc intéressant de regarder ce que cela pourrait signifier concrètement en matière de soutien de l’agriculture biologique sur notre territoire.
 
Qu’en avez-vous tiré ?
 
L’étude que nous avons effectuée [1] a porté sur plusieurs "services" : achat d’eau en bouteille évité, satisfaction des usagers, stockage de carbone, biodiversité... Les principaux enseignements pour moi (peut-être pas pour les scientifiques ayant encadré ce travail !) est que la question du coût évité de traitement de l’eau pour produire de l’eau potable (puisque grâce à l’agriculture biologique en particulier on n’a plus besoin d’éliminer les pesticides) est probablement la plus directement chiffrable et utilisable dans un contexte de politique publique et celle qui prête le moins à caution, étant donné que ce service est déjà monétarisé, alors que donner une valeur monétaire à la biodiversité s’est avéré d’une telle complexité et paraissait tellement critiquable que nous avons tout simplement abandonné cette voie. Par ailleurs, la méthode retenue nous a permis d’arriver à des montants globalement proches de l’aide initialement versée par la région, l’ARMAB (et donc plus élevés que l’aide nationale)... ce qui était satisfaisant pour nous !
 
Au final comment avez-vous utilisé ces valeurs ? Dans quels cercles ? Quels arguments ont « porté » ? Quelles difficultés ont été rencontrées ?

Le travail réalisé a bien sûr nourri notre réflexion et la formulation de notre dossier de demande de renouvellement de l’ARMAB auprès de l’Europe. Cependant cette aide reste une aide compensatoire (par rapport aux pertes de revenu engendrées pour l’agriculteur) justifiée grandement par les problématiques spécifiques des bios franciliennEs (pression foncière, isolement des bios dans un univers d’agriculture « conventionnelle », circuits de vente insuffisants...), et c’est ainsi que nous l’avons finalement défendue. Nous travaillons pour 2012 à une nouvelle phase dans nos dispositifs de soutien de la bio (les progrès réalisés sont encourageants mais insuffisants) et ce travail sur les services rendus fait partie des bases qui nourrissent notre réflexion.
Je sais aussi que les résultats de ce travail ont été suivis de près par beaucoup de gens (scientifiques, agences, ministères...) et ce sera une des contributions de la région à la réflexion générale !
 
La difficulté principale avec ce genre de notion est d’évaluer les bénéfices environnementaux sans pour autant tomber dans une analyse purement comptable de la bio et sans non plus réduire les bénéfices de la bio du fait des difficultés de chiffrage. Si nous défendons l’agriculture biologique, en réalité, c’est pour un ensemble de raisons suffisantes en soi, sans estimation économique : eau, biodiversité, emploi, santé, sols, développement rural... Beaucoup ne sont pas chiffrables ou au prix de décennies de thèses et d’hypothèses toutes attaquables et attaquées.
 
Que diriez-vous au final de l’utilité politique d’une démarche de traduction économique des services écosystémiques ?

Il me semble que l’évaluation économique des"services" environnementaux, comme celle des impacts des changements climatiques, est utile comme outil d’aide à la décision, d’analyse dans l’élaboration des politiques publiques, et bien entendu d’argumentation, mais ne peut et ne doit pas servir de base de calcul à une rémunération, un prix de vente ou une aide économique. Ce qui compte c’est que les acteurs qui mettent en œuvre des pratiques bénéfiques pour tous puissent être justement rémunérés alors que le système global actuel tend plutôt à les pénaliser. Un exemple : au démarrage des énergies renouvelables, les aides ont été calculées non pas en fonction simplement du prix de la tonne de carbone (ou de déchets nucléaires évités) mais bien sur la différence de coût de production avec les énergies traditionnelles. Cela fait une énorme différence du point de vue philosophique et éthique (donner un prix à la nature n’est pas neutre !) mais aussi sur les plans pratique et pragmatique : d’abord les aides peuvent baisser en fonction de l’évolution de la situation, et il importe de toujours se rappeler que décourager les mauvaises pratiques doit aussi se traiter de manière politique en corrigeant les mécanismes en place et rattrapant l’historique. Par ailleurs, si on avait attendu que le marché carbone marche...

Propos recueillis par Sarah Feuillette


[1Rémunération des services environnementaux rendus par l’agriculture biologique. Mémoire de Marguerite-Marie Laroque (AgroParisTech) réalisé au Conseil Régional Ile-de-France de mars à septembre 2010.