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Une agence d’intérim pour les Sans Papiers ? L’exemple hollandais

2004, par Albano Cordeiro

Depuis l’année dernière, aux Pays-Bas, un réseau d’associations a mis en place un centre de placement non-lucratif de travail intérimaire pour Sans Papiers. Si l’expérience reste encore expérimentale, avec à peine 200 "Illégaux" inscrits (sur plus de 100 000), et une opposition importante de certains milieux politiques et administratifs, cela constitue néanmoins une option alternative intéressante à suivre. Précisons que les Verts hollandais soutiennent cette démarche. Une expérience à reprendre en France !

Une réunion d’associations et organisations engagées dans le soutien aux démarches de régularisation des "illégaux"(terme utilisé en Hollande pour désigner les irréguliers et sans-papiers), qui s’est tenue en juin 1999 dans la banlieue d’Amsterdam, a fait le constat des conséquences de la discrimination dont ceux-ci sont victimes. La réunion a en particulier fait état de la difficulté d’accès à des ressources suffisantes pour mener une vie décente et digne, ainsi que l’impossibilité d’accéder aux prestations sociales en raison de la situation irrégulière (séjour) et de l’absence d’un emploi. Dans les mois qui ont suivis, les associations ont approfondi l’hypothèse de créer un centre de placement à but non-lucratif pour des travailleur-se-s dépourvu-e-s de documents légaux de séjour. La population visée était donc celle des demandeur-se-s d’asile débouté-e-s, les immigré-e-s irrégulier-ère-s n’ayant jamais demandé un permis de séjour et enfin celles et ceux qui avaient été dépossédé-e-s de leurs documents de séjour légal par l’Administration.

Cette structure s’est appelée Zwarte ? Werk, c’est à dire "Travail Noir ?". Le point d’interrogation sur Noir souligne les ambiguïtés de cette expression qui ne s’applique pas uniquement à la main d’œuvre séjournant irrégulièrement dans le pays. Elle entend aussi montrer que ce travail entend sortir de l’obscurité ("noir") afin d’offrir des activités à la lumière du jour pour les "Illégaux". La structure s’est mise en place courant 2000 et, après un début assez discret, une première campagne de publicité a été lancée en décembre dernier pour mieux attirer les offres de travail des entreprises et particuliers. Avec un certain succès. Actuellement, Zwarte ? Werk possède un fichier de 200 travailleurs dont, en moyenne, 40 sont en mission. Les offres de travail concernent le plus souvent des gardes d’enfants, des déménagements, la prise en charge de courses pour des personnes dépendantes, des travaux ou remises à neuf d’appartements.
Si les offres d’emploi proposant des tarifs trop bas sont rejetées, les taux horaires (de l’ordre de 15 à 20 florins l’heure, soit 45 à 60 F), restent assez peu élevés...

Il faut pourtant rappeler qu’en Hollande le nombre de travailleurs sans-papiers est estimé à 100.000 (chiffre du Ministère des Affaires Sociales), avec un taux de chômage jugé, en général, comme très important… Les deux cents inscrits dans les fichiers de Zwarte ? Werk représentent donc une part négligeable de la population concernée ! De plus, ils ne semblent guère représentatifs de ces "Illégaux", car les inscrits sont plutôt des femmes et des hommes relativement déconnectés des réseaux communautaires qui sont les plus utilisés et les plus efficaces dans le placement de travailleurs irréguliers (Het Parool, 14/4/01). Zwarte ? Werk ne serait-il qu’un simple complément d’un dispositif largement informel ? Incontestablement, ce centre permet à une partie des illégaux, le plus démunis face à une situation d’exclusion particulièrement forte, de trouver des moyens de survie, même précaires, en attendant une situation d’emploi plus stable.

Légalité et légitimité de l’illégal

L’expérience n’a pas manqué de soulever des critiques et attaques venant des milieux politiques et administratifs (Ministère des Affaires Sociales, de l’Inspection du Travail, des députés démocrates-chrétiens (opposition) à la Chambre…), allant jusqu’à la menace de faire fermer le centre. Ces contestations ont semé le doute dans l’esprit des particuliers et des entreprises qui faisaient appel aux travailleurs inscrits à Zwarte ? Werk.

L’association XminY (lire ics-mine-ei), en raison de son prestige et de ses fins philantropiques, a été chargée des relations extérieures afin d’établir un contre-feux à ces critiques, et rassurer les partenaires. Elle se limite à transmettre les demandes de missions des entreprises et des particuliers.La vocation première de XminY est celle de gérer un fonds de solidarité qui finance des initiatives et des projets dans le sens de la justice sociale. Cette action s’insère dans un programme plus global, puisque XminY participe aussi à des campagnes politiques, y compris de soutien à des mouvements d’autodétermination, ou contre la mondialisation néolibérale (en collaborant notamment avec ATTAC-Hollande). Certes, on peut estimer qu’il peut y avoir une certaine contradiction entre les buts poursuivis par XminY et son engagement dans l’initiative Zwarte ? Werk : cela ne participe-t-il pas à l’évolution de la flexibilisation du marché du travail et le néolibéralisme triomphant dans les sphères patronales ? Bien sûr, XminY ne se confond pas avec Zwarte ? Werk.

En avril, il a cependant été décidé de suspendre lesnouvelles inscriptions de travailleurs. Cette situation a amené le réseau qui soutient Zwarte ? Werk à lancer une nouvelle campagne de publicité, avec, entre autres initiatives, le lancement d’un journal (le bulletin actuel est déjá distribué à 30.000 exemplaires). Cette campagne semble avoir reçu un bon accueil de la part de divers secteurs militants et des médias.

Indéniablement, cette initiative est illégale… Pourquoi avoir alors pris une telle décision ? Par son illégalité le bureau de placement était voué à une fermeture inévitable et ses responsables, répérables et répérés, s’exposaient à des sanctions pénales… La conviction profonde à la base de cette opération est de montrer que lorsque la loi est injuste, elle porte atteinte à des droits humains comme celui de disposer de moyens pour vivre de manière décente et digne. En transgressant la loi, Zwarte ?Werk risque de provoquer la répression et les sanctions de l’appareil administratif, policier et judiciaire. Mais elle rend publique la situation des "illégaux", en posant un réel défi à la situationde la justice dans le traitement des sans-papiers. La loi, le gouvernement,le législateur, les juges doivent prouver qu’une loi, même si elle va à l’encontre des droits humains reste supérieure à la raison issue de la conscience de l’humanité. Au-delà d’une simple question judiciaire, il s’agit bien d’un problème éminemment politique !

Le soutien des Verts hollandais

Les Verts Hollandais ne s’y sont pas trompés. Dès le déclenchement de l’opération, Groenlinks (15.000 adhérents, bien parti pour faire une percée fulgurante aux élections législatives de 2002 et participer au prochain gouvernement), le principal des deux partis écologistes hollandais, a apporté son soutien à cette initiative. Devant la récente offensive contre Zwarte ? Werk, la présidente du parti, Mirjam de Rijk, a annoncé que le Conseil du parti avait décidé d’héberger le journal organe de Zwarte ? Werk qui sortira prochainement, en tant que supplément de la publication officielle du parti, Groenlinks Magazine.

Reste à savoir si cette expérience est transposable dans notre pays, et si les Verts français y apporteront le même soutien.

Albano Cordeiro