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Chasse Pêche Nature et Traditions, ou la ruralité en politique

juin 2002, par Bruno Villalba

Longtemps volontairement réduit au parti de "l’extrême chasse" ou à une simple force contestatrice, Chasse Pêche Nature et Traditions a pourtant opéré peu de temps après sa création une conversion thématique décisive. Grâce à la question de la ruralité, CPNT a mis en place un processus d’idéologisation de ses revendications, orchestrant une véritable remise en scène du monde rural. Bruno Villalba, politologue, estime qu’un tel travail préfigure une nouvelle recomposition du discours politique sur les modes de développement de l’espace rural. Le discours de CPNT doit inciter l’écologie politique à un réexamen de la manière dont elle envisage la complémentarité des modes de vie entre espace urbain et rural. Et, par conséquent, à amorcer un véritable dialogue avec CPNT.

En quelques années, Chasse Pêche Nature et Traditions (CPNT) a réussi à se doter d’une présence électorale à faire pâlir d’envie plus d’un parti de la gauche plurielle. Chasse Pêche Traditions réalise un score surprise de 4,13 % des voix aux Européennes de 1989. En septembre 1989, le substantif "Nature" s’ajoute au sigle du parti. De 1989 à 1998, le score du CPNT stagne (environ 4 % lors des européennes, une trentaine de conseillers régionaux élus lors des régionales). Il accroît néanmoins son assise en 1999 lors des européennes (6,77 % des voix, six élus). Le référendum sur le quinquennat est un autre signe de son audience électorale : il fut le seul parti à appeler au vote blanc, et celui-ci atteignit un score record en France, dépassant les 20 % dans les départements où le CPNT est le mieux implanté. Finalement, l’élection présidentielle, où l’on connaît toute la difficulté pour les petits partis à obtenir des scores significatifs, lui offre un résultat conséquent (4,3 %). Ce résultat le rend optimiste pour les prochaines élections législatives, où il envisage de présenter 400 candidats.

Son ancrage se constate aussi par sa présence dans les institutions politiques locales ou européennes, ainsi que par le poids de ses adhérents (50 000 selon CPNT). Cette présence lui offre la capacité de parler au nom des collectivités dans lesquelles il s’insère. Car si le vote CPNT domine dans les espaces moins urbains, comme le signalent Michel Bussi et Loïc Ravenel, il ne semble pas spécifiquement plus intense dans les espaces les plus isolés et ne marque donc en rien une "France du vide". Ses fiefs électoraux se situent davantage en marge d’espaces très urbanisés. C’est par exemple le cas de la Somme, de la Basse-Normandie, du Médoc, des Landes, du Haut-Languedoc, et plus récemment, du Nord-Pas-de-Calais. Ce modèle se retrouve à une autre échelle dans la plupart des départements, où le vote CPNT devient significatif lorsqu’on s’éloigne des préfectures [1]. Précisons enfin que son électorat ne cesse de se diversifier ; à partir des européennes de 1999, il dépasse largement le vote des seuls chasseurs. Il est socialement composite et révèle un passé politique disparate [2]. Globalement, il est majoritairement masculin, plutôt jeune et surtout très ouvrier.

Mutations de l’offre idéologique de CPNT

Les évolutions de l’espace rural ont contribué à créer un sentiment d’abandon parmi les populations concernées. Yves Dupont détaille avec force cette angoisse diffuse mais intense, fondée sur la conviction que l’Etat français et l’espace Européen ne peuvent sérieusement prendre en compte les problèmes à une échelle locale si délimitée (Le Monde, 21 octobre 1999). Les transformations des systèmes de production agricole, les choix d’aménagement du territoire perçus comme imposés en dehors de toute concertation locale et en la seule faveur de la ville, ou bien encore la représentation passéiste d’un monde rural figé dans un folklore suranné, ont largement contribué à construire un sentiment d’abandon des populations rurales. Le déclin démographique - 3 millions d’agriculteurs en 1968, moins d’un million aujourd’hui - permet d’ancrer au cœur de chaque habitant du monde rural l’image d’une transformation qui se vit comme une dévalorisation… Dans le même temps, l’espace rural devient le lieu d’hébergement d’une population dont les préoccupations existentielles restent concentrées dans la ville (travail, loisirs, sociabilité…). Comment prendre en compte ce sentiment individuel d’un déclassement social, mais aussi d’une perte de considération dans l’esprit du public ? La classe politique, droite et gauche, ne semble considérer ces populations qu’avec condescendance, ou un rien d’opportunisme, le temps d’une campagne électorale. Le rural se sent délaissé, isolé, marginalisé dans un espace qui se restreint et se concentre sur une seule activité, au détriment de la pluriactivité qui donnait tout son sens au métier de paysan.

Pourtant, l’espace rural demeure une mosaïque de communautés vivantes. Comme le proclame CPNT lors de l’élection présidentielle, il faut redonner toute sa place à "La France des différences, des minorités, des couleurs". Ainsi, pratiquer la chasse, c’est bien sûr s’insérer dans des réseaux de sociabilité, s’inscrivant au cœur des relations familiales tout comme dans celles de la paysannerie. La chasse, au-delà d’un simple loisir, participe à la constitution d’une identité individuelle, d’autant plus importante à assumer qu’elle est stigmatisée dans notre société. Assumer sa condition de chasseur, c’est endosser une filiation avec une histoire locale, celle des terroirs particuliers qui tous revendiquent une relation spécifique à la nature, mais aussi professionnelle (paysans, mais aussi petits commerçants et artisans locaux), sans oublier celle des amitiés. La préservation de la chasse s’accompagne alors de la volonté de préserver une sociabilité ancienne. Participer à une chasse, c’est enfin réaffirmer son attachement à un territoire, celui des zones humides, de la forêt ou bien de la plaine, qu’importe, pourvu que l’on puisse manifester une relation physique avec ces lieux et les faunes qui s’y abritent.

CPNT accueille les mécontentements, mais ne se limite pas à les exploiter. Il contribue à constituer l’affirmation d’une "fierté rurale". Comme toute communauté stigmatisée, il retourne les critères de la dénonciation pour en faire des éléments d’affirmation d’une collectivité en transformation, soucieuse de maintenir sa cohérence historique et de retrouver une place au sein de l’espace national. Avec la combativité que tout le monde lui reconnaît, et sans avoir peur des simplifications manichéennes, CPNT opère une transformation de la contestation en une stratégie d’affirmation de soi. À travers la médiation d’un mouvement collectif, chacun peut désormais valoriser ses coutumes et pratiques quotidiennes ; les loisirs (chasse, pêche), la nourriture (terroirs), les folklores permettent d’ancrer un discours dans une pratique quotidienne, offrant ainsi aux membres de CPNT une assise sociale dont peu de mouvements sociaux actuels pourraient se prévaloir.

La création de différents mouvements contestataires dans l’espace rural (comme le syndicat de la Coordination rurale [3] ou CPNT) a été trop longtemps perçue comme une réponse désordonnée et ponctuelle aux conflits sociaux liés à une reterritorialisation de différenciations culturelles et économiques accrues. L’évolution électorale oblige à être plus prudent. À son origine, CPNT s’affirme comme une expression corporative autour de la pratique de la chasse. La création de CPNT résulte de l’action de présidents de fédérations départementales de chasseurs, et principalement d’André Goustat [4] qui en fut le premier président, en février 1989. Le monde de la chasse n’a pas salué unanimement la présentation d’une liste aux élections européennes de 1989. Pourtant, il accepte le principe assez souple d’une défense corporative d’une pratique menacée par la législation européenne et la montée en puissance, toujours relative, du pouvoir électoral des écologistes. Rapidement, la formation ne cesse d’élargir ses préoccupations. Le discours sur la chasse devient l’occasion d’une réflexion plus globale sur les relations sociales au sein d’un territoire à l’avenir incertain [5]. Son Livre Blanc précise que CPNT doit "revitaliser la ruralité, aménager le territoire et préserver le patrimoine naturel et culturel, développer la qualité de la vie, harmoniser les activités économiques de loisirs et de tourismes" (CPNT, Livre Blanc, 1990). A. Goustat explique qu’en "prenant la défense de nos traditions, de nos terroirs, c’est bien sûr l’ensemble de la ruralité que nous défendons. Car dans cette grande affaire, tout est lié. Lorsque Bruxelles, relayée par Paris, s’en prend à notre mode de vie, c’est l’ensemble des ruraux qui est visé. Et quand elle s’en prend aux agriculteurs, avec une constance étonnante depuis des décennies, c’est à toute la population de nos campagnes qu’elle porte un coup mortel. Il nous est impossible, à nous, CPNT, de séparer ces questions fondamentales." [6] Cette montée en généralité se reflète d’ailleurs dans les changements de nom successifs de la liste : "Chasse Pêche Tradition", puis "Chasse Pêche Nature et Traditions" en 1989, et enfin "CPNT-Le Mouvement des Régions" en juin 1997.

Politiser la ruralité

CPNT prend l’initiative d’être le principal instigateur de la création d’une conscience rurale. Il mène dès lors un important travail d’animation culturelle et pédagogique de ses réseaux [7]. Il lui faut non seulement légitimer l’expression du mécontentement, mais aussi lui donner une cohérence politique. CPNT élabore, élections après élections, un contre-modèle de société, qui redonne toute sa place à une politique de nouveau connectée à un territoire. La chasse demeure certes centrale, mais elle est utilisée comme élément démonstratif, magistral dans sa capacité à mettre en scène la complexité des enjeux et des angoisses qu’elle véhicule. Ce loisir devient un outil pédagogique qui illustre la multiplicité des enjeux liés au monde rural. Il révèle la permanence des styles de vie ruraux parmi les membres de la classe populaire, mais aussi d’une partie des rurbains dans leur volonté de renouer avec une nature redécouverte… Mais surtout, en justifiant de l’importance de la chasse, CPNT aacrédite l’idée que le maintien de cette activité contribue à la redéfinition d’une politique d’aménagement du territoire qui prenne enfin en compte les formes élémentaires de la convivialité rurale. Sa campagne électorale de 2002 (http://www.saintjosse2002.net) se concentre sur le thème de l’aménagement du territoire, du maintien des services publics à la campagne et d’un redéploiement des activités locales. Il s’agit bien de maintenir la diversité des pratiques locales, à la fois dans leurs rapports aux modes de production (agricole, mais aussi des réseaux de distribution et de l’artisanat local), à la gestion d’un territoire (zones d’activités agricoles et pressions du développement urbain), tout comme dans leur capacité à maintenir vivace et développer des formes de sociabilité locale. En se posant en fédérateur des ruralités (économiques, culturelles, ludiques…), CPNT s’impose comme acteur pivot d’une redéfinition du territoire rural, dans lequel les communautés villageoises redeviennent le centre d’une appartenance renouvelée.

CPNT et écologistes : divergences idéologiques durables ?

Les écologistes continuent à être les boucs émissaires favoris de CPNT… Lorsque l’on assiste à l’un de leurs meetings, on ne peut qu’être frappé de la régularité avec laquelle les leaders Verts font l’objet de plaisanteries fines, ou bien de la manière dont toutes les politiques assimilées au programme des écologistes (politiques ou naturalistes) sont dénoncées… Tout cela est sans doute représentatif du rejet affiché de la politique traditionnelle, très présent dans le discours de CPNT. Mais si l’on tente pourtant d’approfondir la confrontation entre les projets, on ne peut être que frappé par de troublantes similitudes.

Sergio Dalla Bernardina détaille toutes les ambiguïtés des rapports multiples, à la fois contradictoires, concurrents et pourtant souvent convergents dans leurs objectifs, que chasseurs, écologistes et touristes portent sur la nature [8]. Ainsi, la recherche d’une authenticité dans le rapport à la nature n’est jamais séparée d’une volonté d’être tout aussi authentique avec ceux avec qui l’on partage l’usage de cette nature. Le souci de la convivialité n’a-t-il pas été, en son temps, l’un des moteurs de la critique politique des écologistes ? Sur le plan européen, CPNT entend promouvoir une "Europe des différences", valorisant une "Europe des peuples ou chacun conserve son identité" ; un programme que les Verts et leurs alliés régionalistes défendaient lors des élections européennes précédentes. Certes, les registres sémantiques ne puisent pas aux mêmes racines. Les accents poujadistes de certaines déclarations, dénonçant un "monstre eurocratique", méprisant, distant, inconséquent et soumis aux lobbies, ne trouvent pas d’échos dans la vulgate écologiste. CPNT accuse une Europe qui ne prend pas suffisamment en compte la diversité des territoires concernés par sa législation, trop exclusivement rationnelle, uniformisatrice sinon dans ses objectifs, du moins dans sa pratique. Le propos, provoquant, ne doit pas faire oublier la volonté de promouvoir de nouvelles formes de régulation politique et juridique au sein de l’espace européen. La mise en place de Natura 2000 leur sert encore d’illustration… Prenons un dernier exemple. La gestion et l’aménagement du territoire local doivent, pour CPNT, être le résultat d’une concertation avec la population locale. Comment ne pas, en tant qu’écologiste, s’associer à cette vision qui entend "promouvoir une vraie politique de proximité pour promouvoir la qualité de vie" (CPNT, présidentielle 2002) ? La valorisation d’une pratique locale de la politique, en lien avec les souhaits librement consentis des habitants, s’oppose-t-elle avec le souci d’une délocalisation du pouvoir décisionnel que prône la propagande écologiste ?

Pour autant, on ne peut pas supposer une parfaite identité de vue ou de méthodes. Glissons sur la question de l’usage de la violence, à la fois symbolique et réelle, qui ne fait pas complètement partie de la panoplie du militant écologiste. Insistons davantage sur un point de rupture central. Le respect de la différence ne se fait qu’entre soi ; inutile donc d’espérer que Jean Saint-Josse réclame la régularisation des Sans-Papiers, ce qui ne l’empêche pas d’avoir publiquement souvent affirmé son refus des thèses de l’extrême droite [9]. La référence omniprésente à l’ancrage territorial comme vecteur constitutif de l’identité de la ruralité constitue le point de tension le plus important entre l’écologie politique et CPNT. L’enjeu d’un dialogue, qu’il convient d’instaurer entre les écologistes et les mouvements sociaux ruraux, ne pourra faire l’économie d’un examen critique collectif du sens et du contenu d’un lien social sur la base exclusive d’un enracinement à un terroir.

CPNT exprime clairement un mouvement identitaire, c’est-à-dire qui entend non pas construire une identité propre à ses membres, mais valoriser et défendre une identité déjà existante. La démarche, souvent réduite à une dimension protestataire, traduit au contraire une vision dynamique de l’avenir du monde rural. L’écologie politique a contribué à réduire cette dimension politique à une simple expression corporative liée à la pratique d’un loisir particulier. Mais il faut bien se rendre à l’évidence que CPNT a su structurer la multiplicité des demandes implicites de ces populations rurales inquiètes, en une force de mobilisation qui redonne tout son sens à une identité malmenée. La capacité de CPNT de relier un combat politique avec une identité individuelle à la recherche d’une nouvelle légitimité constitue sa principale réussite. Cela témoigne de l’importance de donner les moyens à l’individu, cet être social, de participer à ce à quoi il appartient. L’écologie politique gagnerait à ne pas sous-estimer, comme elle l’a trop longtemps fait, le projet humain de CPNT, qui réside dans la capacité d’offrir aux ruraux une dignité renouvelée.


[1Michel Bussi, Loïc Ravenel, "Ecologistes des villes et écologistes des champs : analyse spatiale de l’implantation en France des partis écologistes et "Chasse Pêche Nature et Traditions", revue électronique Cybergeo, http://www.cybergeo.presse.fr/ectqg12/bussi/bussi.htm

[2Christophe Traïni, 2000, "Les braconniers de la politique, Les ressorts de la conversion à Chasse Pêche Nature et Traditions", Cahier du CEVIPOF n°28.

[3Coordination rurale, Jacques Laigneau et alii, 1993, Une révolution en vert et pour tous, Coordination rurale, L’Isle Jourdain.

[4André Goustat, 1994, La parole aux terroirs, édition du Rocher.

[5Dominique Darbon, 1997, La crise de la chasse en France : la fin d’un monde, Paris, L’Harmattan, p. 10.

[6André Goustat, ibidem, p.87.

[7Amélie Delaval, 2001, "La crise de la chasse et CPNT dans la Somme : l’expression d’un rejet des mutations de la ruralité ?", DEA Science Politique, Lille.

[8Sergio Dalla Bernardina, 1996, L’utopie de la nature : chasseurs, écologistes et touristes, Paris, ed. Imago.

[9Il faut pourtant se souvenir d’une histoire chaotique… Robert O. Paxton, 1996, Le temps des chemises Vertes : révoltes paysannes et fascisme rural (1929-1939), Paris, Seuil.

Messages

  • Comment peut-on écrire de telles inepties en amalgamant des mouvements politiques et syndicaux ? c’est une analyse primaire et loin de la réalité car celui qui l’a écrit a oublié de vivre dans tous les sens du terme de l’agriculture dans la ruralité. C’est un" paysan "intellectuel qui a oublié que notre pays s’est construit sur le secteur primaire et que ce ne sont pas les pays hors Europe qui vont nous nourrir . Et tout intello qu’il est , il a besoin de boire et de manger alors qu’il crache sur ceux qui le nourrissent....Réfléchissez au lieu de délirer !