Accueil > Les dossiers > De l’automne-hiver 2007/2008 à l’hiver 2008/2009, du n° 28 au 31 > N° 28 (automne-hiver 07/08) / Repenser le travail avec André Gorz / André (...) > Repenser le travail avec André Gorz > La sortie du capitalisme est une urgence

La sortie du capitalisme est une urgence

vendredi 3 octobre 2008, par Antonella Corsani

Antonella Corsani, maître de conférence à l’Université Paris 1, nous livre sa réflexion à la lumière de ses travaux et de ses expériences militantes en s’inspirant de la lecture des derniers articles d’André Gorz. Le capitalisme mondialisé est secoué par des expériences multiples et variées d’autoproduction comme par exemple celles liées au développement de l’économie du logiciel libre. De nouvelles subjectivités façonnent nos sociétés. L’entreprise se transforme : financiarisation et précarisation des emplois sont les deux faces de la nouvelle entreprise capitaliste. La reproduction biologique et sociale ; le vivant deviennent des enjeux antagonistes, source de nouvelles plus-values pour le capitalisme et de nouveaux conflits sociaux. Tant de nouvelles questions qui amènent à de futures réponses à construire.

écoRev’ - Que pensez-vous du titre de l’article d’André Gorz pour écorev’ : La sortie du capitalisme a déjà commencé ? Plus précisément pensez-vous qu’une alternative à l’économie de marché s’exprime dès aujourd’hui par des signaux faibles quelque part dans le monde ?

Antonella Corsani - Dans la perspective d’André Gorz, la sortie du capitalisme est à la fois une urgence et ce qui est déjà en cours, si l’on saisit le sens des multiples expériences "d’autoproduction" [1] qui s’inventent, notamment dans le Sud du monde. _ Je partage le sentiment de cette urgence et je suis également convaincue de l’importance de saisir la portée et le potentiel que représentent ces formes mineures de production dans lesquelles et par lesquelles on cherche à se défaire du marché et du salariat en montrant des chemins possibles. Il s’agit de l’invention de formes "d’autoproduction" et de formes de vie parfois presque invisibles si on les regarde avec les lunettes des média et des discours des experts ou des politiques. Mais il s’agit aussi de formes de production et de formes de vie éparpillées dans les territoires du capitalisme globalisé et dont la difficulté est dans leur connexion, dans leur faire "rhizome", diraient Gilles Deleuze et Félix Guattari [2].
Mais je partage aussi la préoccupation d’André Gorz de maintenir strictement liées la question des rapports de production et ceux de consommation. Il ne s’agit pas seulement du "comment on produit", mais aussi de "ce qu’on produit", et par là, de "ce que nous consommons" et "comment". Sortir, cela veut dire alors sortir d’un mode de production et d’un mode de consommation.
Les fameuses trente glorieuses dont beaucoup gardent un souvenir nostalgique ont été, par bien d’aspects, très piteuses. L’équilibre macroéconomique de croissance dans les pays du Nord a été atteint par une explosion des consommations permises par les politiques keynésiennes et par le pillage des matières premières des pays du Sud. Un modèle de croissance résolument anti-écosophique, si par écosophie on entend avec Guattari "l’articulation éthico–politique entre les trois registres écologiques, celui de l’environnement, celui des rapports sociaux et celui de la subjectivité" [3]. Le mirage d’une maximisation des consommations (individuelles) est bien ce par quoi (bien que pas seulement) la subjectivité capitalistique se produit au niveau des salariés et des opprimés.
Nous sommes, il est vrai, dépendants, mais bien plutôt que d’un système de protection sociale fondé sur la solidarité et sur la mutualisation, système aujourd’hui fortement miné dans ses fondements par les politiques néolibérales, nous sommes dépendants d’un "régime de consommation".

Pensez-vous qu’il soit possible de promouvoir l’économie de marché sans marchandiser l’homme dans sa totalité, comme semble l’affirmer Lionel Jospin ?

Si dans nos sociétés non-esclavagistes, l’homme n’est pas une marchandise, la reproduction de la vie (biologique et sociale) le devient. Le capitalisme contemporain peut être caractérisé par le nouveau rapport qui noue le capital, les connaissances et la vie. La centralité de la connaissance n’est pas une nouveauté du capitalisme, mais, dans ce nouveau capitalisme définit comme, à défaut de mieux, "capitalisme cognitif", les connaissances en jeu ne sont pas celles qui concernent l’homme et ses outils de travail (ce qui était au cœur du capitalisme industriel), mais celles qui concernent la reproduction biologique et sociale, le vivant. C’est la vie même qui se trouve alors insérée dans les circuits de valorisation des capitaux. Kaushik Sunder Rajan [4], parle de "biocapitalisme" et analyse la centralité des sciences de la vie. Il démontre, sur une échelle globale, les processus de co-production du scientifique et du social, des sciences de la vie et des régimes de politique économique. Il repère alors dans le déplacement du capital vers les sciences de la vie une nouvelle phase dans l’histoire du capitalisme.
Dans cette perspective, le capitalisme cognitif correspondrait alors à une phase que l’on pourrait appeler, en paraphrasant Marx, la phase de la subsomption réelle de la "biotechnoscience" par le capital. A travers le néologisme "biotechnoscience » je cherche tout d’abord à rendre compte du fait que les séparations conceptuelles entre science et société, entre science et culture, entre science et politique perdent de leur pertinence et que c’est le mode de "faire science" qui change. Ainsi, comme l’analyse la biologiste et historienne des sciences Donna Haraway [5], depuis les années 1970, les implosions multiples de la technoscience incluent le politique et le technique, le naturel et le social, et elles ont des conséquences profondes pour la pratique de l’objectivité scientifique. De nouveaux conflits émergent au sein du capitalisme contemporain entre science et capital, entre institutions publiques et privées de la recherche et entreprises, entre société et économie. Dans le capitalisme cognitif, la question politique rejoint la question éthique et le problème qui s’impose à nous est de savoir comment inscrire la biotechnoscience dans des projets non pas de compétitivité mais de "vies soutenables".
Les racines de ces mutations doivent être recherchées aussi dans l’échec politique du keynésianisme. Sous l’impulsion des luttes sociales, les politiques keynésiennes, en matière tant de politique sociale que de consommations collectives, avaient permis, bien au-delà des préconisations keynésiennes, ce que l’on pourrait appeler une "autonomisation du social", en ce sens, que les conditions de reproduction de la vie (biologique et sociale) s’affranchissaient des contraintes économiques et du travail (accès à la santé, à l’éducation, à la culture…). Les politiques néolibérales à l’œuvre depuis les années 1980, visent à soumettre la société à la logique économique. Mais il ne s’agit pas d’une société marchande, il s’agit plutôt, comme l’argumentait Michel Foucault dans ses cours au Collège de France en 1978/1979, d’une société soumise à la dynamique concurrentielle. C’est "la démultiplication de la forme entreprise à l’intérieur du corps social qui constitue l’enjeu de la politique néolibérale" [6].

Quant à l’entreprise, concept adapté au taylorisme et au fordisme de l’économie industrielle pensez-vous qu’elle soit aujourd’hui capable d’intégrer le changement de paradigme induit par ce "capitalisme cognitif" ?

Le capitalisme cognitif, terme avec lequel on entend désigner une mutation majeure des modes de mise au travail et des modes de valorisation des capitaux, ne constitue pas quelque chose qui serait en dehors des entreprises, des institutions et de la société. Les entreprises participent pleinement de ces transformations, elles constituent l’un des lieux de la mise en oeuvre de ces mutations. Ainsi, la question se dédouble et elle pourrait être déclinée dans les termes suivants : quelles sont les mutations des entreprises capitalistes qui confortent l’hypothèse d’une mutation majeure du capitalisme et à fortiori du passage du capitalisme industriel au capitalisme cognitif ? Est-ce que le concept d’entreprise et les théories de la firme sont à même de rendre compte de ces mutations ?
Je me limiterai ici à énoncer quelques unes des mutations majeures des entreprises qui me semblent dessiner l’esquisse de ce que j’appellerai l’entreprise légère et liquide du capitalisme cognitif.

Depuis la fin de la période de croissance fordienne-keynésienne, les entreprises -qu’il faudrait saisir toujours comme étant à la fois des institutions et des organisations-, se reconfigurent selon les stratégies qu’elles déploient. A l’entreprise verticalement intégrée -forme type de la firme fordienne- a fait suite l’entreprise diversifiée, puis, les entreprises ont visé le recentrage sur leur core business. Cependant, le recentrage s’est souvent accompagné d’un changement du cœur de métier. Ainsi, à titre d’exemple, les grandes entreprises du secteur informatique ont délaissé la production du "hardware" pour se centrer sur le software, et/ou la technologie et/ou les services d’ingénierie informatique. Autant d’activités à forte "connaissance ajoutée" qui s’organisent progressivement suivant une structure en réseau qui relie les entreprises aux laboratoires de recherche et aux clients/usagers. En même temps qu’elle devient légère, l’entreprise devient un lieu de captation/valorisation capitalistique de savoirs distribués dans la société.

Les restructurations dans l’organisation du travail sont aussi importantes. D’une part, les entreprises ont recours à l’externalisation en sous-traitant à des entreprises tierces des phases de la production. D’autre part, l’organisation du travail "par projet", a pris progressivement la place de l’ancienne organisation taylorienne du travail. Ces deux mutations organisationnelles contribuent à une redéfinition substantielle des relations industrielles et du rapport salarial. Il y a tout d’abord une nouvelle distribution des risques, certains risques de l’activité économique autrefois assumés par les entreprises sont transférés sur les salariés. Mais c’est le salariat même, définit par la dépendance et par la relation de subordination, qui résulte métamorphosé. Les salariés sont incités à devenir "autonomes" au sein de l’entreprise, à organiser la coopération et à gérer les processus d’innovation. Avec la sous-traitance en cascade, les travailleurs formellement indépendants deviennent, quant à eux, (réellement) subordonnés sans pour autant bénéficier des droits associés au salariat. Il s’agit là, bien entendu, d’une image stylisée qui ne saurait rendre compte de la complexité de l’évolution de la relation salariale et des multiples formes concrètes qu’elle prend aujourd’hui et qui n’excluent pas, bien entendu, une mise au travail tayloriste, y compris dans les secteurs et dans les entreprises à forte "connaissance ajoutée". Néanmoins, cette image stylisée nous donne le signe d’une mutation majeure en train de se faire : l’entreprise vise à déléguer à l’extérieur la production, transfère les risques sur les salariés, elle ne prend pas en charge l’organisation de la coopération, elle puise dans la société la "connaissance ajoutée". Elle arrive même jusqu’à se débarrasser de la propriété des "moyens de production matériels" (sous-traitance, cession des usines de fabrication, leasing, etc.) ce faisant, elle devient "légère", la gestion flexible des ressources humaines se révèle être l’autre face de son devenir "légère".
Il est alors intéressant de regarder le problème double et seulement en apparence paradoxal auquel sont confrontées les entreprises dans la gestion des ressources humaines. D’une part, elles doivent pouvoir fixer les salariés hautement qualifiés et à l’expérience sédimentée qui se trouvent en haut de l’échelle et qui visent, au contraire, leur plus grande mobilité et l’autovalorisation de leur "capital humain". D’autre part, les entreprises ne veulent et ne peuvent pas prendre en charge les coûts devenus énormes de la formation initiale et de cette formation continue qu’est l’expérience, la pratique. La question pour l’entreprise est de savoir comment faire pour être à la fois "intelligente et légère". Il s’agit alors de fixer une partie du salariat (l’intelligence prête à l’emploi) et de flexibiliser toute une autre partie du salariat, les jeunes et les moins qualifiés. Ce faisant, elle transfère sur la société les coûts de la flexibilité et de la formation.

Une autre dimension de l’entreprise dans le capitalisme dit cognitif est dans le "devenir financier" de l’entreprise industrielle. André Gorz nous mettait justement en garde quant aux mauvaises interprétations du processus de financiarisation. Il parlait de l’"industrie financière" qui n’est pas, comme le voudrait une certaine pensée critique de gauche, une activité parasitaire, "elle est devenue -écrivait André Gorz- une composante majeure du capitalisme mondial, indispensable à son fonctionnement" [7]. La financiarisation n’est pas le seul fait d’une montée en puissance des secteurs banque, assurance et finance. Il n’y a pas un bon capital -le capital productif des entreprises industrielles- et un mauvais capital -le capital de la finance globale. Nous sommes face à une hybridation de la forme même du capital. Il suffit, pour s’en rendre compte, d’analyser la structure du bilan de quelques grandes entreprises industrielles. On constatera alors le poids croissant des titres de propriété (actifs financiers et titres de la propriété intellectuelle). Au-delà du compte d’exploitation et du bilan, l’analyse financière vise à décortiquer les comptes des entreprises afin de mieux en estimer la valeur boursière. Dans cette perspective, ce qui compte c’est la "liquidité" de l’entreprise, c’est à dire la capacité qu’elles ont à dégager une variation positive des liquidités. Liquidité et légèreté sont intimement liées.

On peut à présent s’interroger sur la pertinence du concept d’entreprise tel qu’il est élaboré par les théories de la firme. Ces théories ne se sont certainement pas arrêtées à la représentation de la firme fordiste. Il suffit de rappeler l’important travail de refonte conceptuelle ouvert par les théories de la firme évolutionniste qui interrogent, suivant une approche cognitiviste, la dynamique de l’évolution technologique. Ce n’est pas ici le lieu de développer plus, je m’en tiendrai à souligner l’un des problèmes majeurs : ces théories restent toutes prisonnières d’un axiome : l’entreprise est le lieu de production de richesse. C’est un axiome de l’économie politique et c’est un mythe entretenu dans la société. Un axiome et un mythe qui légitiment les énormes masses d’argent que l’État transfère aux entreprises (ce qu’on appelle le corporate welfare). Mais aussi, un axiome dont le corollaire est "sans le travail salarié point de salut".

Le modèle économique du logiciel libre ne constitue-il pas, d’après vous, une alternative à l’économie de marché ?

Je ne suis pas convaincue que l’on puisse saisir la puissance de l’économie du logiciel libre en l’interprétant comme étant l’expression d’une opposition, d’un dehors radical à l’économie de marché. Il me semble que cette économie du libre s’est développée à l’intérieur même de l’économie de marché mais à partir d’un détournement de ses institutions. L’économie du logiciel libre utilise le marché et l’entreprise capitaliste, mais en opérant un déplacement qui rend instable la logique capitaliste qui gouverne le marché et l’entreprise. Il est important en ce sens de se rappeler que l’économie du logiciel libre ne se fonde pas sur une transgression aux principes de la propriété intellectuelle. Le logiciel libre utilise ces principes en les détournant (principe du copyleft), c’est là que repose, je crois, son plus grand intérêt. En effet, le développement des logiciels libres se fonde sur une innovation institutionnelle majeure : la General Public Licence (GPL). Cette licence formalise, du point de vue du droit de la propriété intellectuelle, l’éthique de la libre circulation des connaissances comme condition préalable à la coopération et à l’accroissement virtuellement infini d’un "fond commun", suivant l’expression de Thorstein Veblen chère aux communautés du libre.
Loin de transgresser aux principes de la propriété intellectuelle, la GPL renverse l’usage établi du monopole de l’auteur sur son œuvre, sans pour autant mettre en cause les droits de la propriété intellectuelle. Ainsi, le logiciel libre s’écarte de la logique classique de la propriété en rendant l’usage libre : le propriétaire ne défend pas ses droits d’auteur dans le but de contrôler la diffusion et les usages de l’œuvre. Au contraire, il utilise ses droits pour permettre une appropriation libre de son bien par d’autres. Ainsi, la licence basée sur le principe du copyleft utilise les lois du copyright non de manière à privatiser le logiciel mais de manière à le laisser "libre". C’est cette éthique de la propriété et de la liberté qui me semble apporter des outils de fabrication d’un mode de production dans lequel le "commun" se présente comme le produit d’une multiplicité de singularités irréductibles et connectées en rhizome.
Or, l’éthique du libre n’a pas tardé à ce diffuser, il suffit de songer aux licences Creative Commons qui étendent la philosophie du logiciel libre au champ des œuvres. Le développement des technologies "peer to peer" est un autre produit dérivé de l’éthique du logiciel libre. La culture du partage conquière les jeunes générations.

Il est intéressant de voir l’aveuglement de certains économistes comme Josh Lerner et Jean Tirole [8], pour qui la question du logiciel ne se pose pas, le logiciel libre "n’existe pas". Dans la perspective de ces économistes, l’économie du logiciel libre ne constitue en rien une exception qui invaliderait les hypothèses fondamentales de la science économique, et notamment celles suivant lesquelles tout individu est guidé par le désir égoïste et seule l’espérance d’un profit est le mobile de son investissement subjectif dans la création et l’invention.
L’engagement des développeurs du libre se réduirait alors à un simple investissement pour la valorisation de soi en tant que capital humain afin d’améliorer ses propres conditions d’employabilité ou d’accroître ses propres possibilités d’accéder à des stocks options. Il s’agit là d’un aveuglement ou même d’une tentative consciente de normaliser les comportements humains suivant une seule forme de la subjectivité -la subjectivité capitalistique-, d’éliminer tout processus qui s’en écarte, les processus de singularisation dont parlait Félix Guattari.
Mais une fois dit cela, on ne peut pas non plus nier qu’un problème se pose : comment gagnent leur pain et leur vin les développeurs de logiciels libres ?
Il y a une première réponse : logiciel libre ne signifie pas logiciel gratuit. Les entreprises de service, d’ingénierie informatique basée sur les logiciels libres sont nées du bas, depuis les communautés du libre, elles sont à la fois une entreprise capitaliste comme les autres, et des entreprises nouvelles. Certains développeurs négocient au sein des entreprises le partage de leur temps entre le temps consacré à la coopération au sein des communautés et le temps pour l’entreprise. D’autres vivent de l’aide sociale. D’autres encore disent vendre à l’extérieur leur "capital humain". J’ai toujours insisté sur un point qui me semble essentiel : on ne peut pas seulement produire autrement, il faut aussi inventer d’autres modalités de répartition de la richesse, de socialisation des revenus.

Est-ce que le Revenu Social Garanti est une composante possible et souhaitable de cette refonte radicale et nécessaire des catégories de la répartition des revenus que vous évoquez ? Pourrait-il être ce par quoi il serait possible de générer des richesses non monnayables ?

J’ai défendu depuis longtemps le revenu social garanti [9] conçu comme un revenu primaire [10]. Un revenu pour tous, déconnecté de l’emploi, donc du travail salarié. Une forme de revenu radicalement nouvelle par rapport aux revenus sociaux qui relèvent tant de l’assurance que de la solidarité. Une forme de revenu qui bouleverse les catégories de la répartition des revenus. Un revenu social garanti qui révolutionne les catégories dans nos têtes.
Mais un revenu social garanti, comme le pensait André Gorz, non pas pour "rémunérer" les individus et les inscrire ainsi dans une nouvelle forme de subsomption économique, mais pour pouvoir en permettre un "développement illimité". Un revenu social garanti comme condition nécessaire mais jamais suffisante.
Le revenu social garanti est une utopie réelle. Si l’on analyse la structure des revenus disponibles des ménages on s’aperçoit que seulement 50% est constitué par les revenus d’activité (dont un peu plus de 40% étant représenté par les salaires). 29% est constitué par les prestations sociales. La partie constituée par les revenus de la propriété a connu une forte progression et représente quelque 21% ! Je tiens à souligner ce 21% car c’est l’un des signes d’un changement majeur : un new deal est déjà là, mais il prend le sens du "retour du rentier". Le revenu social garanti n’est pas la base pour un new deal mais une arme pour subvertir la logique aussi bien du social welfare que du corporate welfare.
De quelle monnaie sera constitué ce revenu social garanti ? C’est là, je crois que s’ouvre un débat passionnant auquel l’écologie politique à tout son apport à donner [11].

Antonella Corsani


[1Je fais ici référence directement aux expériences au Brésil dont Gorz parlait dans son dernier article.

[2"à la différence des arbres ou de leurs racines, le rhizome connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu des régimes de signes très différents et même des états de non-signes. Le rhizome ne se laisse pas ramener ni à l’Un ni au multiple. Il n’est pas l’Un qui devient deux, ni même qui deviendrait directement trois, quatre ou cinq, etc. Il n’est pas le multiple qui dérive de l’Un, ni auquel l’Un s’ajouterait (n+1). Il n’est pas fait d’unités, mais de dimensions, ou plutôt de directions mouvantes.". In Capitalisme et Schizophrénie. Mille Plateaux, Les Editions de Minuit, 1980, p.31

[3Félix Guattari, Les trois écologies, Galilée, 1989, p.12

[4Kaushik Sunder Rajan, Biocapital. The Constitution of Postgenomic Life, Duke University Press, 2006

[5Donna J. Haraway, Modest-Witness, Second-Millennium : Femaleman Meets Oncomouse : Feminism and Technoscience, Routledge, 1997

[6Michel Foucault, "Naissance de la biopolitique", Cours au Collège de France, 1978/1979, Gallimard, 2004, p.154

[7André Gorz, Penser l’exode de la société du travail et de la marchandise, Mouvements, mai 2007, http://www.mouvements.info/spip.php?article65

[8Josh Lerner, Jean Tirole "The simple economics of open source", Working Paper 7600, http://www.nber.org/papers/w7600, National Bureau of Economic Research, 2000.

[9Questions ouvertes sur le revenu garanti. Bioéconomie, biopolitique et biorevenu Coordination du numéro et Introduction, Multitudes, n.27, 2007 et Quelles sont les conditions nécessaires pour l’émergence de multiples récits du monde ? Penser le revenu garanti à travers l’histoire des luttes des femmes et de la théorie féministe, Multitudes n. 27, 2007

[10Voir en particulier les travaux de Carlo Vercellone

[11Voir à ce sujet les contributions de Jean Zin et de Christian Marazzi, en particulier dans le numéro 27 de la revue Multitudes