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Prison, rétention : la politique d’enfermement des étrangers

lundi 19 janvier 2004, par Carolina Boe, Jérôme Martinez

Détention administrative, détention carcérale, les étrangers sont une cible privilégiée des politiques d’enfermement. Sur-représentés dans nos prisons, en butte à des pratiques discriminatoires et des conditions d’exercice de leurs droits encore plus restreintes que les autres détenus, les étrangers sont au cœur de la politique d’exclusion et de "défense sociale" de nos sociétés véhiculée par le "tout carcéral".

Carolina Boe et Jérôme Martinez analysent et décryptent ces politiques d’enfermement, qui s’apparentent de plus en plus à une véritable fuite en avant.

"Il convient également de prendre en compte la présence très forte d’étrangers dans les maisons d’arrêt, qui est souvent la conséquence d’un dévoiement de l’utilisation de l’institution pénitentiaire qui devient une sorte de centre de rétention généralisé. (…) La question des centres de rétention et des conditions de vie dans ces centres, dénoncées dans les rapports internationaux, en liaison avec la politique pénitentiaire, ne peut être éludée. On a un peu trop transformé des politiques administratives en politiques répressives avec les conséquences qui en découlent pour les maisons d’arrêt. Il convient d’étudier cette question de très près" (Robert Badinter, rapport Mermaz à l’Assemblée Nationale, 2000).

Objet de tant de débats, de rapports et de propositions, la question des prisons n’a jamais été autant occultée que lorsqu’elle rejoint celle des étrangers en France. Pourtant, au 1er juillet 2003, 12 231 étrangers étaient incarcérés. Ils représentent ainsi 21,4% de la population carcérale, bien au-delà de leur représentation dans l’ensemble de la société française [1].

Les centres de rétention administratifs constituent l’autre versant de ce que l’on peut qualifier de politique d’enfermement des étrangers. Disséminés sur tout le territoire, bien souvent opaques dans leur fonctionnement, ceux-ci se sont peu à peu banalisés. Le passage de 12 à 32 jours de la durée de maintien dans ces centres [2] va accélérer leur évolution vers un régime de détention administrative, sortes de prisons qui ne diraient pas leur nom.

Outre l’amalgame entre délinquance et immigration, alimenté par les discours sécuritaires et les stratégies de communication politiques, cette politique d’enfermement des étrangers s’organise en France et en Europe comme un nouveau mode de gestion de l’immigration, généralisant la précarité comme statut normal et l’expulsion comme seule réponse à la demande de reconnaissance des droits.

Face à la Justice

Si les étrangers constituent 21,4 % de la population incarcérée, cette grande proportion n’est en aucun cas le reflet de la délinquance des étrangers. Les statistiques criminelles produites par les institutions répressives sont basées sur les faits signalés, poursuivis et condamnés, et nous en disent davantage sur le fonctionnement des institutions policières et judiciaires que sur la population délinquante. De nombreux chercheurs ont en effet montré comment les mécanismes institutionnels favorisent l’interpellation par la police, la poursuite par le parquet, la mise en détention provisoire et enfin la condamnation à des peines privatives de liberté des étrangers.

Les "contrôles au faciès" ne doivent donc pas être interprétés exclusivement comme une conséquence du racisme des policiers mais doivent être compris comme faisant partie d’une course à l’efficacité policière [3]. Les suspects potentiels sont "visibles" et leur arrestation représente un contentieux plutôt "rentable" pour les policiers, puisqu’elle leur donne l’occasion de réprimer l’immigration clandestine, tout en débusquant d’autres délits afférents.

Dans deux cas sur trois, une infraction sur le séjour des étrangers s’accompagne d’une autre infraction. Il s’agit souvent de délits que l’on peut classer dans la catégorie des délits d’immigration : l’occultation ou la destruction des papiers d’identité, la déclaration de fausse identité ou l’usage de faux papiers. Les étrangers sont le plus souvent dénués de garanties de représentation (domicile fixe, travail déclaré, attaches familiales stables) et les policiers et les magistrats se gardent bien de relâcher les suspects en situation irrégulière. Les étrangers sont donc sur-représentés en détention provisoire [4]

La grande proportion de détenus étrangers reflète ainsi en grande partie la répression en matière d’immigration clandestine. Elle pèse si lourdement dans les statistiques qu’une fois écartées les infractions administratives, les étrangers ne représentaient que 13 % des personnes mises en cause à l’issue d’une enquête policière en 1999 [5]. Après avoir exclu les infractions administratives aux chiffres du Ministère de l’intérieur, il apparaît que la délinquance des étrangers est une délinquance de miséreux, et que celle-ci est comparable à celle des populations françaises issues de l’exode rural ou celle des populations ouvrières étrangères en période de crise économique [6].

Il n’y a pas si longtemps, les "immigrés des champs" étaient en effet fort présents dans les prisons, et ils étaient alors représentés comme des "classes dangereuses", de façon comparable aux discours faisant de la figure de l’étranger délinquant un "ennemi commode" aujourd’hui [7].

Les étrangers en détention

L’incarcération des étrangers ne peut aucunement se résumer à une privation de liberté. De nombreuses pratiques officielles et officieuses ont pour conséquence un traitement discriminatoire des détenus étrangers, qui sont défavorisés quant à leur accès au droit, leurs conditions de détention et qui connaissent une discrimination institutionnalisée que constitue la répartition des détenus en quartiers et cellules dits "ethniques".

La proportion d’étrangers étant plus forte pour les délits que pour les crimes (25 % contre 14 %) [8], les étrangers sont pour la majorité condamnés à de courtes peines et sont donc incarcérés en maison d’arrêt où les conditions de détention sont bien plus défavorables que dans les maisons centrales. Très souvent indigents, illettrés, ne maîtrisant pas ou peu la langue française, ils sont également défavorisés quant à l’accès à l’information et leur accès au droit.

L’obstacle de la langue est un des problèmes principaux, car aucun système d’interprétariat n’est mis en place afin de permettre au personnel de communiquer avec eux. Le plus souvent, la traduction est faite par un co-détenu. Ceci peut poser des problèmes évidents au niveau du secret médical lors d’une visite chez le médecin. Les travailleurs sociaux peuvent difficilement discuter de problèmes en détention ou des éventuelles pressions dont le détenu fait l’objet à travers la traduction par un codétenu. Ce système d’interprétariat risque ainsi de donner un pouvoir disproportionné à ce dernier.

L’accès au droit n’est pas le même pour tous les détenus, et les détenus étrangers se trouvent parmi les plus défavorisés à cet égard. Certains étrangers connaissent les conséquences de lois spécifiques, notamment les articles de l’ordonnance du 2 novembre 1945 sanctionnant l’entrée et le séjour irrégulier, mais les questions spécifiques du droit des détenus étrangers sont généralement peu connues par les intervenants en milieu carcéral. Les travailleurs sociaux n’ont le plus souvent ni le temps ni les compétences nécessaires pour aider un étranger à faire un recours contre sa condamnation. L’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire ne dispense pas d’enseignement sur ce sujet.

De plus, les détenus étrangers sont souvent condamnés à de courtes peines ce qui rend plus difficile la présentation de recours. Peu ont les moyens de payer leur propre avocat et la majorité sont défendus par des avocats commis d’office peu motivés par la complexité de la situation administrative des détenus étrangers.

Certaines associations, comme la Cimade, interviennent en détention. Malheureusement, cette association est loin d’être présente dans tous les établissements pénitentiaires : au 1er juin 2002, l’intervention de ses militants était organisée dans 23 des 221 prisons que compte la France.

Peu d’établissements ont à ce jour mis en place des dispositifs d’accès au droit en leur sein et leurs dispositifs sont généralement faibles. Dans certains établissements, l’aide juridique repose sur un visiteur ou un travailleur social qui s’intéresse à ces questions. Dans d’autres établissements, un étranger ne peut obtenir d’aide juridique qu’en adressant un courrier à une association.

Encore faut-il que l’étranger connaisse l’existence des associations aptes à l’aider et qu’il soit en mesure d’écrire aux intervenants. En 2000, 12,4 % des détenus étrangers et 17 % des détenus étrangers en situation irrégulière se déclaraient "illettrés dans leur langue maternelle", contre 3 % des détenus français. L’illettrisme est particulièrement handicapant dans le contexte de la prison, où la présentation d’une demande écrite est nécessaire pour obtenir un rendez-vous avec le personnel médical, social ou de direction.
On peut ainsi deviner l’isolement dans lequel peut se trouver un détenu étranger, qui n’a de contacts qu’avec le personnel de surveillance, et ceci dans un contexte de surpopulation carcérale où les surveillants ont de moins en moins de temps à consacrer à chaque détenu.

L’argent joue un rôle central en détention, car il rend l’incarcération moins contraignante et signifie - comme à l’extérieur - un certain pouvoir sur autrui. Les détenus indigents sont parmi les plus défavorisés, c’est pourquoi l’administration pénitentiaire leur donne la priorité au travail. Le travail en prison, effectué sans contrat et le plus souvent dans des conditions déplorables, est mal payé, et suffit à peine pour subvenir aux besoins d’un détenu. Les étrangers en situation irrégulière sont généralement parmi les détenus les plus démunis. Ceci donne lieu à un phénomène aussi ambigu que méconnu par le public : alors qu’à l’extérieur de la prison le travail constitue un délit pour les étrangers en situation irrégulière, ils peuvent travailler en prison [9].

Une autre discrimination, cette fois institutionnalisée, à l’égard des détenus étrangers, est la pratique dite des quartiers ethniques, déjà dénoncée il y a 30 ans par Daniel Defert et le Groupe d’Information sur les Prisons (GIP) [10]. À la Maison d’Arrêt de la Santé, la proportion de détenus de nationalité étrangère s’élève à 55 %, et représente 86 nationalités. Les détenus sont répartis en quatre bâtiments à la Santé : le bloc A regroupe les "Européens", le bloc B les "Africains", le bloc C les "Maghrébins", et le bloc D le "reste du monde". Ce tri est justifié, selon la direction, par le souci de limiter les conflits et parce qu’il correspondrait au souhait des détenus de se regrouper par "affinités", celle-ci définie comme une langue ou une pratique religieuse commune. En pratique, on peut retrouver un détenu anglophone chrétien dans la même cellule qu’un détenu francophone musulman. Des Français d’origine africaine (souvent nés en France, n’ayant jamais vécu dans le pays de leurs parents ou grands-parents) sont également regroupés dans les Blocs B "Africains" et C "Maghrébin".

Tous les détenus, et aussi ceux qui détiennent la nationalité française, sont ainsi répartis selon leur phénotype. SOS Racisme a porté l’affaire en justice pour "discrimination", car les conditions de vie sont inégales selon les blocs, le Bloc A "Européen" ayant été rénové avant les autres.

On peut surtout, comme Francis Teitgen lors de l’audition précitée du rapport Mermaz, poser la question du sens de l’incarcération des étrangers en situation irrégulière : "il y a un dévoiement de la peine de prison qui consiste non pas à sanctionner, mais à garantir la présence de personnes de nationalité étrangère interdites de séjour - dans des hypothèses de violation d’interdiction de séjour ou d’infraction à la législation sur les stupéfiants ; la peine est alors préparatoire à une expulsion du territoire de la République. Cela pose un problème d’identification de la peine et de réalité de la condamnation".

Une analyse confirmée par la pratique, par exemple la mise en place depuis 1994 dans les principales prisons françaises de "cellules d’éloignement", gérées par la PAF ou la gendarmerie, et chargées d’identifier et de préparer l’expulsion des étrangers à la fin de leur peine.

La détention pour étrangers

Plus médiatisés, mais tout autant révélateurs, les centres de rétention administrative ont connu avec la récente loi Sarkozy sur l’immigration un nouveau durcissement de leur réglementation. Anomalie dans le droit français, la possibilité pour l’administration de priver de liberté un étranger en vue de son expulsion, était jusqu’à présent relativement entourée (au moins dans les textes) de garanties imposées par les hautes juridictions telles que le Conseil Constitutionnel. Cédant bien facilement aux sirènes sécuritaires, cette dernière instance vient d’entériner un recul grave en portant la durée maximale de maintien dans ces lieux de police à 32 jours contre 12 précédemment. Une augmentation qui ne va pas sans susciter de vives inquiétudes de la part des associations et syndicats qui suivent depuis plusieurs années cette question. Car ce changement de durée laisse présupposer un glissement progressif d’un régime de "garde à vue prolongée" en une forme souple et sans réel contrôle de détention administrative.

La multiplication de cas de mises à l’isolement, l’usage systématique de menottes, les horaires de promenades, le régime de visites, viennent prouver la progressive identification de ces centres de rétention à des prisons pour étrangers.

A cette augmentation de la durée, s’ajoute, comme en matière pénitentiaire, un plan de construction ou d’agrandissement des centres de rétention. En 2003, 18 centres (+ 4 dans les DOM) disposaient d’une capacité de 700 places de rétention. Plus de 23 000 étrangers y ont transité [11]. Les annonces du ministre de l’Intérieur prévoient le doublement de cette capacité, et la création de nouveaux centres en région parisienne ou dans des zones frontalières. En attendant, et sûrement encore pour plusieurs années, des milliers d’étrangers se retrouveront parqués dans des zones de police inadaptées, parfois insalubres, en proie à l’arbitraire administratif et judiciaire.

L’incarcération des étrangers, dans les prisons et les centres de rétention administrative n’est pas une nouveauté en France. Des camps d’internement à la rétention administrative, c’est une longue tradition qui se trouve confortée aujourd’hui par la politique menée par l’Union européenne. D’après les travaux du réseau Migr’Europ, il existerait aujourd’hui en Europe plus de 160 lieux d’enfermement spécifiques aux étrangers, sans-papiers, condamnés, demandeurs d’asile ou en attente de papiers, sans compter les prisons dans lesquelles les étrangers constituent une population particulière, stigmatisée et discriminée. Cette politique, avec son lot de drames humains, crée sans aucun doute beaucoup plus de troubles à l’ordre public qu’elle ne clame en préserver. Mais l’objectif est-il celui-ci, à l’heure des reculs sociaux généralisés, de la précarité comme projet de société, des délocalisations sur place et des quotas économiques d’immigration ?

Carolina Boe et Jérôme Martinez


[1Didier Liger, "Les étrangers en détention", intervention au colloque "Où vont les prisons ? Entre "réalités" et "droits" ", Conseil National des Barreaux, Colloque du 20 novembre 2003, Assemblée Nationale.

[2Loi Sarkozy du 26 novembre 2003 sur la maîtrise de l’immigration.

[3Pierre Tournier et Philippe Robert, "Migrations et délinquances : les étrangers dans les statistiques pénales", Revue européenne des Migrations Internationales, vol. 5, n°3, 1989. Voir également Sophie Body-Gendrot et Catherine Withol de Wenden, Police et discriminations raciales. Le tabou français, Les éditions de l’atelier / Les éditions ouvrières, 2003.

[4Jacqueline Costa-Lascoux, "La délinquance des étrangers", in Pierre-André Taguieff, Face au racisme : analyses, hypothèses, perspectives, La Découverte, 1991.

[5Laurent Mucchielli, Violences et insécurités. Fantasmes et réalités dans le débat français" La Découverte, 2001.

[6Laurent Mucchielli, "Délinquances et immigration : le sociologue face au sens commun", Hommes et Migrations, n°1241, janvier-février 2003 ; Salvatore Palidda, "La criminalisation des migrants", Actes de la recherche en sciences sociales, 1999-3.

[7Loïc Wacquant, Des "ennemis commodes", étrangers et immigrés dans les prisons d’Europe, www.penalreform.org

[8Chiffres provenant du Fichier National des Détenus (FND) de 2000. Voir Annie Kensey "Prisons, un traitement défavorable", in Plein Droit, revue du GISTI, juillet 2001.

[9Le rapport 2002 du Sénat estime qu’il faut entre 150 et 200 euros minimum pour vivre en prison, en considérant les prix majorés de la cantine, qui sont souvent plus élevés qu’à l’extérieur. La rémunération moyenne d’un détenu qui travaille est de 162 euros par mois. (Observatoire International des Prisons : Les conditions de détention en France, Rapport 2003, La Découverte).

[10Daniel Defert, page 127, in GIP : archives d’une lutte 1970-1972, IMEC, 2003

[11Cimade, Centres de rétention administrative, rapport 2002

Messages

  • bonjour,je voulais simplement vous dire que la prison au canada pour un francais est un etat que je souhaite a personne.Je suis resté pendant plus de 5 mois sans droit ni recour auprés de mon ambassade et je vous signale que le quebec est une vraie prison pour les ressortissant francais.Dans les prisons nous sommes considerés comme des moins que rien et sans aide de notre gouvernement.Merci de m’aider a mon retour en france et savoir quel sont mes droits pour deposre une plainte contre le gouvernement quebequois.merci et a bientot

  • Bonjour

    j’ai beaucoup apprécié votre article et me permet de le faire passer à des proches qui l’apprécieront assurément

    Disposeriez vous du pourcentage de français d’origine maghrébine en prison. On m’a annoncé un chiffre hallucinant que je désire vérifier

    merci par avance de votre aide

    bouvet