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Voici pourquoi, M. Raffarin, nous allons nous opposer à votre réforme…

juin 2003, par Anne Carpentier, Pierre Bitoun

Il y a d’abord, M. le Premier ministre, un point qui nous chagrine, nous irrite ou nous exaspère, c’est selon. Le caractère, l’humeur du moment ou le montant de la paie. Comment pouvez-vous avoir l’audace d’exiger des Français un effort en matière de retraites sans vous l’appliquer à vous-même et aux gens de votre rang ? Nous n’avons pas oublié que, votre gouvernement à peine formé, vous avez procédé à une substantielle revalorisation du traitement des ministres, de près de 70% ! Nous n’avons pas non plus oublié le départ à la retraite de M. Juppé, énième illustration des privilèges parlementaires. Et comment pourrions-nous perdre de vue l’insolent et régulier étalage des salaires, stock-options, golden parachutes et autres retraites somptueuses de nos grands patrons ? Pourquoi, vous généralement si prompt à discourir sur l’équité, êtes-vous à ce propos tellement silencieux ? Si vous souhaitiez réellement une juste réforme, le minimum, M. Raffarin, aurait été de veiller à ce que tout cela soit mis sur la table…
Un autre sujet qui nous mécontente beaucoup, c’est votre façon de discuter. La méthode, comme l’on dit. Depuis votre entrée à Matignon, vous n’avez eu de cesse de vous présenter comme l’homme de la France d’en bas, soucieux de proximité, de dialogue social. Et que faites-vous quand arrivent les choses sérieuses ? Rien, en définitive, que de la basse politique et de l’autisme : une réforme dont il faut attendre des mois la teneur exacte, soit autant de temps perdu pour une étude et une négociation sérieuses ; un projet quasi bouclé, sans autre "ouverture" que des miettes à distribuer ; un souverain mépris pour toutes les propositions alternatives qui vous ont été présentées, qu’elles émanent des syndicats ou d’autres sources. Irréalistes, le retour du privé à 37 années et demi de cotisation, l’intégration des primes des fonctionnaires en échange du passage à 40 ans, le minimum de pension à 100% du SMIC ou une meilleure prise en compte de la pénibilité du travail ! Bref, tout ce qui ne vient pas de vous est toujours impossible, toujours pas sérieux, trop coûteux ! Alors même que les ressources sont là, à portée de main, à réfléchir et à panacher : augmentation des cotisations sur le travail, modulation des taux en fonction du recours de l’entreprise à l’emploi précaire, instauration d’une cotisation vieillesse sur les transactions financières, les revenus boursiers, la consommation, création d’une taxe sur les ventes d’armes, etc. Par ailleurs, on ne vous a guère entendu parler, dans votre prétendu "grand chantier", des retraites des petits commerçants, artisans ou paysans dont nul n’ignore les modestes montants. Enfin, comment ne pas dire et redire que vous avez omis d’associer à vos "consultations" un invité pourtant bien naturel : les jeunes ?! Ceux-là même qui payeront demain nos retraites. Quel symbole que cet oubli, M. Raffarin, de votre manque de bon sens et de votre esprit si peu démocratique !
Mais venons-en au point central de votre réforme. Vous souhaitez, à partir de 2008, aligner la durée de cotisation du public sur le privé, puis allonger pour tous cette durée à 41, 42 ans. Avec, à la clef, une baisse des pensions et retraites que l’on évalue de 20 à 30%, des jeunes qui, compte-tenu de leur entrée tardive sur le marché du travail, vont devoir travailler jusqu’à 65 ou 70 ans, et des chômeurs et précaires soumis, en quelque sorte, à une triple peine : choc du licenciement, recherche épuisante d’emploi, retraite au montant forcément amputé. Ni les fonctionnaires, ni les salariés du privé, ni les précaires des deux secteurs, ni les chômeurs, jeunes ou âgés, n’ont mérité, M. le Premier ministre, pareil traitement, pareille régression sociale ! En outre, qui ne voit qu’avec une telle baisse des pensions et retraites, la voie sera ouverte, de fait, aux fonds de pension ? Pour ceux, bien entendu, qui auront les moyens d’y souscrire et avec tous les aléas boursiers que l’on sait. Mais c’est incontestable, si votre réforme venait à passer, le piège se refermerait. Le droit à une vie, décente et digne, après le travail, garanti par la contribution de tous, deviendrait de plus en plus un produit. Lucratif pour les marchands, généreux pour une petite minorité, appauvrissant et insuffisant pour le plus grand nombre.
Il y a enfin, M. Raffarin, que nous ne vous voyons que trop bien venir. En cas de succès, il ne fait pas le moindre doute que vous serez, demain, encore plus agressivement libéral que vous ne l’êtes déjà : sur la Sécurité sociale dès le deuxième semestre 2003, sur les régimes de retraite des entreprises publiques ou la sécurité d’emploi des fonctionnaires un peu plus tard, sur les privatisations tous azimuts que vous négociez dans le cadre de l’Union européenne ou de l’Accord général sur le commerce des services à l’OMC. Votre réforme, nous le savons, n’est que l’une des pièces d’une offensive mondiale qui dure depuis maintenant plus de vingt ans et se nourrit, partout, de ses victoires ou grignotages successifs.
Voilà pourquoi, M. le Premier ministre, nous allons nous opposer à votre réforme et chercher à en imposer une autre, solidaire, démocratique et moderne. Une réforme où tout soit mis sur la table, où tous soient dignement traités, et sans le dogmatisme idéologique dont vous faites preuve. Il ne faudrait surtout pas croire que parce que vous avez été confortablement élu - dans les conditions que l’on sait - tout vous soit permis. Nous allons, dès demain et aussi longtemps qu’il le faudra, vous le faire entendre.


Pierre Bitoun est sociologue et fonctionnaire, Anne Carpentier est journaliste et chef d’entreprise.

(Les personnes souhaitant s’associer à ce texte peuvent envoyer un mail à pierre.bitoun@wanadoo.fr ou lafeuille@free.fr)