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Écocitoyen oui... mais
Dominic Muren, Ouest-France, Rennes, 2009, 144p., 12€, adaptation Marie Pieroni
2010, par
Au rayon des livres d’écologie pratique, les guides écocitoyens n’ont pas la moindre part. Et sont encore plus présents en jeunesse, car c’est bien entendu sur les plus jeunes que reposera le défi de "sauver la planète". Notons toutefois, parmi cette laborieuse production, la parution d’un Écocitoyen oui... mais adapté des USA. Dans sa version originale (Green is not black and white), l’enjeu de la démarche est plus clair : apporter la complexité qui manque cruellement à tous les Guides d’écoconformité. Les gestes de la vie quotidienne sont classiquement rangés en rubriques "alimentation", "achats", "énergie", "transports", etc. Et chaque double page est consacrée non pas à une prescription mais à une question : "manger bio ?", "cultiver un potager ?", "prendre moins l’avion ?", "se servir du lave-vaisselle ?". A gauche, le geste écologique et les raisons de l’adopter, à droite un "mais" sur l’un ou l’autre registre, où l’auteur utilise diverses stratégies de complexification.
1. La mise en perspective, ou comparaison des choix possibles. A bien y regarder, 900 km parcourus en avion pourraient consommer moins qu’en TGV, technique elle aussi énergivore. L’isolation d’une maison apportera un gain énergétique plus évident que son équipement en solaire thermique, lequel aura un meilleur rendement (écologique et économique) que le solaire photovoltaïque.
2. L’affinement : "le diable se cache dans les détails", nous dit-on ici, il faudra donc analyser plus finement les conséquences d’un geste. Certaines activités d’élevage participent à l’entretien des paysages, il ne faut donc pas rejeter en bloc la consommation de viande. Les énergies éolienne, solaire, hydrolique, ne sont pas des panacées, leurs points faibles sont expliqués dans les détails.
3. L’élargissement, à l’analyse complète du cycle de vie notamment, qui fait apparaître l’énergie grise d’une voiture moins énergivore ou d’un lave-vaisselle économe en eau. Mais l’effet-rebond est peu ou mal pris en compte dans ce mouvement. Par exemple la manipulation des photos numériques est aussi consommatrice d’énergie que le développement argentique, mais quid de la débauche de clichés rendue possible par un geste photographique devenu presque gratuit, tandis que les pellicules étaient comptées ? Ou bien : l’avion pollue moins que d’autres moyens de transport sur des distances moyennes à longues, mais sa vitesse n’encourage-t-elle pas à voyager plus loin ? C’est une absence fâcheuse dans la réflexion de Dominic Muren.
Et quand toutes ces ressources sont épuisées, reste pour assurer l’équilibre du propos et de la double page... la mauvaise foi ! Le vélo nécessite par exemple des agrocarburants, sous forme de céréales du petit-déjeuner. Les vélorutionnaires en ont depuis longtemps fait une blague, et à prendre cette objection au sérieux, la relative déconnexion entre apports caloriques et activité physique permet de la renvoyer aux oubliettes.
Cette démarche de complexification est salutaire, et ce bouquin sera un outil précieux pour les militant-e-s écolos qui souhaitent instiller le doute chez les adeptes du développement durable et du "tous ensemble pour sauver la planète". L’auteur donne la "paternité" de la prise de conscience écolo à Rachel Carson, et nuance l’objectif de sauver la planète en parlant plutôt en introduction de préserver les conditions d’une vie authentiquement humaine. Mais l’exercice reste en soi limité, les gestes individuels restant anecdotiques au vu de dégâts de notre organisation sociale. Ce n’est justement pas dans les ménages que s’opère le choix entre énergie nucléaire, charbon ou éolien, qui est pourtant discuté ici. Il est donc quasiment irresponsable d’écrire, ignorant les phénomènes de captivité et la hauteur des enjeux : "préserver la planète est relativement aisé pour peu que nous surveillions les effets de nos comportements".
Critique bien rapide, car l’écologie politique ne pourra pas faire longtemps l’impasse sur une réflexion autour de la doxa écocitoyenne, de son aura sociale et de son sens politique. Cette "écologie dépolitisée" devrait nous interroger plus qu’elle ne le fait : comptes d’apothicaire, ignorance des enjeux de pouvoir, survalorisation de la liberté individuelle, tentation du contrôle social enfin.
Dernières réserves, sur l’édition française : une adaptation moyenne au contexte français/européen, et on attend toujours que ce petit livre drôlement illustré nous explique pour quelles raisons écologiques hétérodoxes il a été imprimé à Hong-Kong...