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Droit de vote de tous les résidents à toutes les élections
les questions que cela soulève
février 2000, par
Le fait d’aborder la question d’une possible égalité de droits politiques pour tous les résidents dans le territoire d’un État, amène nécessairement à interroger la pertinence des concepts de nation, de nationalité, d’état et de citoyenneté dans leurs usages courants.
La question de fond qui se pose est celle de l’incompatibilité entre, d’une part, l’élargissement des droits politiques aux étrangers et, d’autre part, le maintien de la Nation en tant que fondement de l’État, dans le cadre de l’idéologie aujourd’hui encore dominante de l’État-nation.
En effet, tant que la Nation restera dans l’esprit des gens ce qui fonde la raison d’être d’un État, il y a contradiction entre l’exercice des droits politiques, par lesquels la dite "nation" fait ses choix, se gère et formule des orientations pour son avenir, et l’inclusion à cet exercice des étrangers, qui, par définition, ne font pas partie de la Nation. Leur histoire, leur culture, leurs "allégeances" (mot archaïque, certes, mais encore utilisé chez les défenseurs de l’état-nation), leurs projections dans l’avenir, sont censées diverger de celles des nationaux. Sauf raisons techniques majeures, un national non-résident est habilité à exercer ses droits politiques ayant des implications dans un cadre territorial où il n’est pas présent, alors que celui qui fait partie intégrante du territoire concerné, en est exclu du fait d’être "étranger".
De plus en plus de pays accordent des droits de citoyenneté aux étrangers
La multiplication d’exemples d’États accordant l’exercice des droits politiques (droit de voter et d’être élu lors d’élections locales, voire régionales ou provinciales) aux résidents étrangers, met-elle en crise cette conception ?
L’octroi de ce droit se limite à des élections qui ne mettent pas en jeu les orientations générales de l’État, dont la définition est de la compétence des instances du Parlement National et, éventuellement, dans les régimes républicains et présidentiels, du Chef de l’État. Doit-on y voir la dernière ligne de résistance et l’effort dernier pour la sauvegarde des principes de l’idéologie de l’État-nation ?
Cela peut simplement signifier que nous sommes dans une phase de transition, où le déclin de l’État-nation apparaît déjà comme inévitable [1].
L’extension des droits politiques à tous les résidents (droits civiques, droit de vote à toutes les élections), modifierait l’unité de base de l’exercice de la citoyenneté. Celle-ci ne serait plus le national mais le résident. La citoyenneté ne serait plus l’attribut des nationaux, mais des résidents.
La logique qui préside à la définition du national est celle d’assurer une forme de stabilité de ce statut à celui qui y accède, par naissance ou par demande de naturalisation. La citoyenneté dite « de résidence » devrait-elle avoir les mêmes caractéristiques de stabilité que celle actuelle ?
Le national non-résident conserverait-il le droit de participer à toutes les élections, ou ce droit lui serait-il retiré ? Ou soumis à des conditions restrictives ?
Le traité de Maastricht : une avancée limitée et ambiguë
Le traité de Maastricht accorde aux résidents étrangers ressortissants d’États de l’UE, le droit de vote et d’éligibilité limitée aux élections municipales (en excluant donc d’autres élections) et permet à ces étrangers de voter aux élections pour le Parlement Européen et y être élu au titre de l’État où ils résident. Ce traité reste donc à une conception restrictive des droits des étrangers et introduit sciemment une discrimination vis-à-vis des résidents étrangers non ressortissants des états de l’UE.
Cette démarche est bien le résultat d’un compromis qui sauvegarde la fiction de l’État-nation -qui reste l’unité constitutive primaire de la dite "construction européenne"- tout en laissant ouverte la perspective d’une nouvelle base de légitimité de l’État. Elle dévoile bien la pesanteur des conceptions préservatrices des états-nation qui ont dominé jusqu’à maintenant dans la construction de l’Europe, et du manque d’ambition pour un projet réellement innovateur. Le dépassement apparent de l’État "classique" par la constitution d’un exécutif au service des gouvernements et non pas des citoyens et d’un Parlement avec des faibles pouvoirs, est plutôt dans la logique d’une confédération d’États évoluant vers un nouvel État-nation englobant. Avec un passage possible par une structure de type fédéral. Un processus qui reproduit largement celui par lequel sont passés les états-nations européens d’aujourd’hui : un marché unique, une monnaie unique, une banque centrale, libre circulation, institutions communes. Sans oublier quelques spécificités comme le déphasage et le découplage des différentes étapes de construction de ce nouveau état-nation, et les modalités de construction de l’État lui-même via l’harmonisation progressive des législations, des politiques sectorielles aux compétences de plus en plus élargies, etc.
Cette logique amène à sauvegarder la nationalité d’un pays membre comme condition pour faire partie de l’Europe-nation à venir. Le remplacement de cette logique pour une autre qui privilégierait la résidence, qui privilégierait le fait de participer, parce que présent sur le territoire, à la construction d’une nouvelle entité de droit international, serait une rupture qui le ferait rapprocher du cas des dits "pays nouveaux", type Canada, Brésil, États Unis, Australie, créés à la suite d’une colonisation européenne.
Vers de nouvelles conceptions de la citoyenneté et de légitimité des États
Élargir les droits citoyens de étrangers, en particulier aux élections ayant un trait direct avec la régulation et la politique à suivre par l’État, signifie placer les étrangers et les nationaux sur un plan d’égalité de droits politiques. Cela signifie également le dépassement de la notion de citoyenneté nationale. Comment définir alors la nouvelle citoyenneté ? Par la résidence ? Certes, ce critère apporterait, en principe, une égalité entre individus et populations d’origines diverses vivant ensemble. Toutefois, nous savons que la réglementation de ce critère pourrait encore aboutir à des discriminations. S’agissant de reconnaître des droits, l’État serait porté, dans une logique connue, à faire la chasse aux "fraudeurs", ces "fraudeurs" dont l’État a besoin pour justifier les restriction des mêmes droits. Des prétextes ne manqueraient pas : à partir de quelle durée de résidence ? la résidence est-elle réelle, a-t-elle été interrompue ? Combien de temps ? Et d’autres luttes seraient à mener pour combattre ces discriminations.
Pour parer aux manipulations possibles au niveau de ce critère, la citoyenneté aurait besoin d’être définie de manière moins contestable par les États [2]. C’est l’idée d’une citoyenneté attachée à la personne. L’individu est citoyen partout où il se trouve, partout où il est en mesure d’exercer des responsabilités et de pratiquer des actes de portée collective. Aux états le devoir de créer les conditions objectives d’exercice de la citoyenneté. Les états ne seraient pas placés hors-d’atteinte ou au dessus des citoyens. Au contraire, ce seraient les citoyens qui se trouveraient hors d’atteinte des pratiques d’exclusion des états, alors que ceux-ci ne peuvent fonctionner (démocratiquement) sans le consentement de la majorité des citoyens sous leur juridiction.
Il convient toutefois de distinguer cette citoyenneté du vieux refrain de la "citoyenneté universelle" ou "mondiale", relevant d’une certaine rhétorique sur les droits politiques. Certes, si elle peut s’exercer partout, le qualificatif d’universel ne semble pas déplacé. Certes, les individus peuvent choisir de ne pas l’exercer sans perte du droit de revenir à l’exercice de leurs droits politiques. Mais la citoyenneté n’existe pas si on ne l’exerce pas. La citoyenneté concrète, plus que d’enracinement, a besoin d’implication et de conscience de coresponsabilité dans la bonne marche de la société et du bien-être de tous. Elle s’exerce non seulement "verticalement", dans le rapport à l’état, mais aussi "horizontalement" en termes de solidarité et de projets collectifs citoyens menés au niveau de la société civile.
L’affaiblissement de l’idée de Nation oblige également à énoncer le nouveau paradigme qui la substituerait en tant que fondement et base de légitimité des États et des gouvernements.
Quel pourrait être ce nouveau paradigme ? Pouvons-nous nous limiter à soutenir que l’utilité de l’existence d’États est di per sé suffisant à les légitimer ? La nouvelle base de légitimité ne doit-elle pas être d’un tout autre ordre que celui de l’ancienne "nation" ?
Aujourd’hui c’est l’existence d’une communauté imaginaire qui sert de fondement à la reconnaissance et à crédibilité d’un État ou le fait que ce pays respecte un certain nombre de règles du droit international ? Le gouvernement de chaque pays cherche sa légitimité dans la Nation ou dans le consentement de ses gouvernés ?
Le consentement exprimé démocratiquement par les citoyens résidents dans une des sous-divisions de la gestion des territoires du globe, est aujourd’hui une condition incontournable de viabilité et de crédibilité d’un gouvernement et, dans certains cas, de l’État lui-même. Lorsque cet État peut se prévaloir d’une volonté de vivre ensemble de tous ceux qui vivent sur son territoire et que son gouvernement est issu d’élections démocratiques au suffrage universel, cet État et ce gouvernement sont déclarés légitimes independament du fait que les populations y résidentes font partie ou non de la nation à la quelle le dit état est connoté, ou qu’ils s’engagent ou pas à en créer une.
Ces critères sont, à notre avis, des fondements suffisants à légitimité des États contemporains.
[1] Nous nanalyserons pas ici les divers arguments généralement avancés pour étayer le déclin de l’idée de Nation, auxquels on pourrait ajouter le mouvement de revalorisation de cette idée, en particulier chez les dits "souverainistes". C’est bien parce que l’adhésion et la force de mobilisation de la Nation fléchissent que ses défenseurs se donnent du mal pour la présenter comme encore viable (certains vont jusqu’à dire : "une idée neuve, la Nation"). Le fait qu’elle reste d’actualité et puisse encore "rendre des services", en particulier pour résister à une certaine mondialisation uniformisante, ne signifie pas qu’elle n’ait pas perdu sa force de structurant des états.
[2] Ce sujet est traité dans La citoyenneté dans tous ses états - de l’immigration à la nouvelle citoyenneté, L’Harmattan, 1992 (Saïd Bouamama, A. Cordeiro, M. Roux).