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Manuel de transition. De la dépendance au pétrole à la résilience locale

Rob Hopkins, Ecosociété, 214 pages, 20 euros

mars 2011, par Pierre Thiesset

Dans l’indifférence quasi générale, l’agence internationale
de l’énergie vient de reconnaître que le pic
d’extraction de pétrole a eu lieu en 2006. Depuis,
l’offre ne cesse de décliner. Tandis que les prix
montent, entraînés par une demande toujours aussi
soutenue. C’en est fini de la croissance, du système
monétaire basé sur l’endettement, de l’agriculture
industrielle, de l’orgie consumériste, des transports
à longue distance et de la mondialisation
économique, tous dépendants de combustibles
fossiles bon marché [1]. Le scénario prévu par les
Cassandre de l’écologie se réalise sous nos yeux.

L’effondrement en cours a de quoi effrayer. C’est un
bouleversement sans précédent qui affecte
l’humanité. La prise de conscience du caractère
suicidaire de notre mode de vie et la remise en
cause de tout ce qui nous a été inculqué depuis
l’enfance engendrent un profond malaise. Les
discours catastrophistes peuvent ainsi nous
enfermer dans la peur, la résignation, la paralysie.

Pour ne pas attendre avec angoisse la désintégration
de la société, le Manuel de transition
cherche au contraire à nous pousser à l’action.
Contre la passivité fataliste, il propose une vision de
l’avenir attrayante, plus à même de mobiliser. Après
avoir décrit les périls engendrés par le déclin énergétique
et le réchauffement climatique, Rob Hopkins
montre que notre dépendance au pétrole ne pourra
pas être compensée par d’autres sources d’énergie,
ni par un miracle technologique, ni par quelques
"écogestes" du type trier ses déchets et changer ses
ampoules. La seule issue, urgente puisque rien n’a
été planifié, c’est un changement révolutionnaire de
l’organisation sociale et de nos modes de vie.

Il s’agit de construire des sociétés résilientes,
capables de s’adapter à la pénurie d’énergie et au
changement climatique. De vivre à l’intérieur de ses
limites, et non plus au-dessus de ses moyens. Cela
passe par la frugalité, la relocalisation et la réhabilitation
des savoir-faire des aînés. Pour l’auteur,
fondateur du mouvement de Transition, la
production alimentaire doit évoluer vers le modèle
de la permaculture : diversifiée, localisée, avec une
autosuffisance maximale. L’autonomie doit aussi
être recherchée dans l’habitat (utilisation de
matériaux de la région), le textile, la production
d’énergie, les transports (doux et limités), la
monnaie (elle aussi locale pour favoriser les circuits
courts)... À rebours des survivalistes américains qui
veulent sauver leur peau individuellement, Rob
Hopkins souligne qu’on ne pourra s’en sortir
qu’ensemble, avec plus de solidarité et de
coopération.

Et on a tout à y gagner. Avec moins de pétrole,
l’avenir pourrait être préférable au présent : c’est
l’espoir que cherche à véhiculer ce Manuel. La
relocalisation n’a rien d’une régression, mais peut
au contraire permettre aux hommes de s’émanciper,
d’être plus autonomes, plus heureux, plus créatifs,
libres et égaux, et de connaître l’abondance en
limitant leurs besoins. Alors que notre période nous
déprime et nous stresse, la transition peut être une
renaissance.

C’est à la base de prendre ces changements en
main. À l’échelle d’une commune, les citoyens
peuvent s’organiser pour déployer une économie
locale diversifée moins dépendante des importations.
Car il ne faut pas compter sur les
gouvernements et les institutions internationales
pour insuffler un changement de cap. "Trop
d’intérêts dépendent du maintien du statu quo." Les
détenteurs du pouvoir exploitent les sables bitumineux, forent des puits toujours plus profonds,
produisent des agrocarburants au détriment des
affamés, relancent l’extraction de charbon, collaborent
avec des dictatures. Tout est fait pour faire
durer le spectacle. On fonce, en aveugle, en faisant
comme si le pic d’extraction n’existait pas.

Face à ce pouvoir moribond, une confrontation est
inévitable. Le mouvement de transition tend peut-être
à l’esquiver [2]. Mais il a acté le fait que la
défense du capitalisme était le but premier des
dirigeants. Il appelle donc à faire scission, à s’auto-organiser
pour prendre notre vie en main et
s’approprier notre pouvoir.

Ce guide concret et pédagogique insuffle une
énergie bienvenue. Avec de nombreux conseils
pratiques, il offre un modèle d’organisation qui,
même s’il n’est pas nouveau [3], constitue un projet
collectif capable de fédérer. Et qui pourrait devenir
"l’un des mouvements sociaux les plus dynamiques
et importants du XXIe siècle".


[1Richard Heinberg, Pétrole, la fête est finie !,
éditions Demi-lune, 2008. Yves Cochet, Pétrole
apocalypse
, Fayard, 2005. Jean-Marc Jancovici et
Alain Grandjean, Le plein s’il vous plaît, Le Seuil,
2007.

[2Luc Semal, « Plans de limitation énergétique »,
in Entropia n°9, Contre-pouvois & décroissance,
automne 2010.

[3L’écologie radicale et l’anarchie ont depuis
longtemps érigé en modèle la fédération de communautés
autonomes.