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La décroissance, mode d’emploi - Franck - Florian

dimanche 15 avril 2007, par EcoRev’

Tito, Julie, Nicole, Florian, K’tche, Franck, Marie-Anne, Marjolaine, Brigitte. Derrière le mot "décroissance", il y a des hommes et des femmes, des actes, des représentations, un style de vie... En somme, une militance totale, radicale et continue, fait de petits gestes quotidiens, tantôt intimes et solidaires, tantôt spectaculaires. Une militance partie à la reconquête de la vie pour produire ou changer la vie… A condition toutefois de ne pas oublier de vivre.

Franck, 48 ans, Aubigny (Vendée)

De quelle manière vous investissez-vous pour faire vivre l’idée de décroissance ?
Parler de mon investissement pour faire vivre l’idée de Décroissance équivaut, pour moi, à parler de mon investissement pour l’Ecologie Politique. Dans l’édito du journal mensuel La Décroissance de février 2007, Vincent Cheynet et Bruno Clémentin évoquent la difficulté de se dire écologiste aujourd’hui tant ce terme est devenu réducteur. Même si on ne peut, hélas, que leur donner raison, je continue à me définir, de façon générale, en tant qu’écologiste en même temps qu’objecteur de croissance.

Quelles sont vos priorités militantes ?
A partir de 1976, toujours sous l’influence de René Dumont lors la campagne présidentielle de 1974, j’ai lu chaque semaine le journal La Gueule ouverte. La consultation des articles et des diverses rubriques (agenda, appels à manifestations…), donne un idée intéressante de ce qu’était le mouvement écologiste de l’époque, un conglomérat, un rassemblement de personnes mobilisées par les thèmes suivants : lutte anti-nucléaire, non-violence, féminisme, régionalisme, agriculture biologique, défense de la nature et de l’environnement, anti-militarisme… (…).
En terme de "courants", une illustration de La Gueule ouverte / Combat non-violent montrait bien les diverses "écuries" au départ des élections législatives de 1978 après le choc de Malville : le réseau des Amis de la Terre, SOS Environnement, MAN/PSU, et les "inorganisé-e-s" (représenté-e-s sur cette illustration par un A entouré d’un cercle…). Je me réclamais de cette tendance et me définissais en tant qu’écolibertaire.

Vous investissez-vous dans la vie politique ?
J’ai adhéré aux Verts en 1986, lorsque Antoine Waechter a popularisé son slogan "Ni droite ni gauche". Interprétant avec satisfaction ce slogan par le prisme écolibertaire, je me suis vite rendu compte que telle n’était pas l’interprétation majoritaire et ai vite rejoint "les Verts au pluriel"… Une clarification s’est effectuée au cours des années suivantes, avec l’ancrage du parti Vert à gauche. Par contre, la clarification ne s’est pas totalement réalisée en terme de définition et approfondissement de nos valeurs (…).
Elu conseiller régional en 1992, j’ai continué à suivre l’évolution des Verts, tout en adhérant à la Ligne d’Horizon, "ancêtre" du mouvement de la "décroissance". Les Verts étaient alors au début de la phase gestionnaire. A partir de 1998, est arrivée pour moi la phase de recul et de moindre investissement dans la vie politique. La réussite des écologistes est, sans conteste, d’avoir popularisé les notions superficielles d’écologie et d’avoir réussi à faire intégrer ces notions par les autres partis politiques. Leur échec c’est que, ces notions superficielles ayant été intégrées sans, qu’au sein du mouvement, un approfondissement des valeurs n’ait été réalisé, la plus-value du vote écologiste n’était et n’est encore, plus aussi évidente. Et pourtant ! L’actualité vient percuter à la fois la justesse des avertissements écologistes depuis plus de trente ans, et la faiblesse du mouvement pour porter une alternative. Pour les citoyen-ne-s, qu’apportent les Verts de plus que le Pacte écologique de Nicolas Hulot et les politiques qui l’ont signé ? Le "mouvement" de la Décroissance, vient, à mon avis, renouveler le discours écologiste, lui donner de nouvelles perspectives, pas nécessairement politiciennes, et le replacer dans ses références. Mon investissement pour l’idée de "décroissance" aurait sûrement connu un renouveau, en même temps que mon investissement dans l’écologie politique, avec la candidature de Yves Cochet dans la campagne présidentielle…

Quelles sont vos références en terme de pensée et/ou d’action ?
Pour moi, la référence prioritaire et incontournable demeure Ivan Illich. Aujourd’hui je me reconnais dans les idées et écrits de Serge Latouche. Plus globalement, mes références sont François Partant, André Gorz, Jacques Ellul, Gilbert Rist, Wolfgang Sachs, Gustavo Esteva, Cornelius Castoriadis, Günther Anders, Henry Thoreau, mais aussi Henri Laborit… Et pour l’action Gandhi, Vaclav Havel, Jean-Marie Tjibaou.


Florian, 25 ans, Montpellier

Co-administrateur de http://www.decroissance.info/. Participe au groupe décroissance de Montpellier. Étudiant en philosophie. En cours de participation au fonctionnement d’un lieu politique anarchiste et autonome (mais pas autarcique).

De quelle manière t’investis-tu pour faire vivre l’idée de décroissance ?
Je m’investis dans mon quotidien en tentant tout d’abord de modifier mon imaginaire et de changer mes habitudes héritées largement de la culture d’accumulation qui nous travaille tous dans notre "société".
Ensuite il ne s’agit pas pour moi de vivre dans un repli, mais de mettre en accord mes ambitions avec des moyens cohérents tout en allant à la rencontre de tous, non pour imposer mes points de vue, mais les proposer dans le cadre d’une libre association. En cas de conflit majeur en opposition avec mes valeurs cependant, il n’est pas question de libre association mais alors d’opposition localisé et éphémère. Je participe actuellement à l’autonomisation (ce n’est pas une mise en autarcie) d’un lieu politique avec des amis, avec des projets culturels et éducatifs en lien avec les villages et villes voisines.

T’investis-tu dans la vie politique ?
Cela dépend ce qu’on appelle la politique. Je ne m’investis dans aucun parti politique, je pense qu’il faut d’abord un changement culturel et que toute action par la loi, bien qu’efficace, sera conçue comme une contrainte si elle n’est pas appliquée après un changement culturel allant dans le sens de la dite loi. Je considère mon engagement dans le cadre d’une association de scoutisme laïque (les EEDF) qui fait de l’éducation populaire pour apprendre à vivre en autonomie (en préservant nos dépendances vis-à-vis de la nature), à devenir responsable et à se libérer de tout asservissement en organisant la solidarité, comme un projet politique. Je participe aussi aux "déboulonneurs", à une AMAP, au groupe décroissance de Montpellier (aucun lien avec le parti) et à une coopérative autogéré. Enfin je suis adhérent à "La ligne d’horizon" (les amis de François Partant).

Quelles sont tes priorités militantes ?
Je ne suis pas militant. La militance c’est l’impérialisme sans le pouvoir. Je suis actif dans mes opinions et dans mes propositions et élaborations théoriques. Mes études de philosophie m’amènent à continuer la critique de la culture d’accumulation et de son extension en individualisme grâce à une multiplication des techniques, favorisant l’esseulement des personnes en leur donnant l’impression de l’autonomie et de la liberté en lieu et place de préférer le lien social pour accomplir ses projets. La liberté et l’autonomie obtenue par l’accumulation de technique est totalement injuste car elle repose sur la domination (la centralisation et détention du plus grand nombre de pouvoir) et sur la main mise sur la majorité des ressources planétaire par une minorité de personnes (partage inéquitable et usage sans modération). Mes priorités étaient d’acquérir autant une autonomie de l’esprit (grâce à la philosophie) que du corps – en changeant mes habitudes – (l’un et l’autre tant liés pour moi).

Quelles sont tes références en terme de pensée et/ou d’action ?
J’ai un intérêt pour la philosophie taoïste (et non la religion) qui était dès l’origine (à mon avis) une philosophie anarchiste (Critique de la domination, Tchouang Tseu, XX §2) et écologique (préservation des "dix mille êtres", c’est à dire le vivant), critique de certaines techniques ("s’il y avait des machines faisant le travail de mille hommes nous ne nous en servirions pas" – Lao Tseu, LXXX.) et de la confusion entre "pauvreté" et "nécessité"... Je reconnais aussi à Aristote, une éthique fondamentale, qui revalorise le fait que le bonheur ne peut s’atteindre que grâce aux liens d’amitié, que les moyens tendent toujours vers une fin particulière et qu’il faut donc faire attention dans le choix de ces derniers. Pour l’action j’ai un attachement pour les briseurs de machines qui cherchaient à préserver leur mode de vie fonctionnant sur l’autosubsistance plutôt que le salariat.