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Pour une spiritualité militante

mercredi 3 mai 2006, par Starhawk

"Parce que je pense que la Terre est un être vivant, parce que nous sommes tous des éléments de cette vie, parce que tout être humain incarne la Déesse, parce que j’ai un amour féroce et passionné pour les séquoias et les corbeaux, parce que l’eau claire ruisselante est sacrée, c’est pour toutes ces raisons que je suis une activiste". C’est avec ces mots que Starhawk évoque son militantisme et ouvre sa page internet, interface de son engagement. Considérée comme une des figures du néo-paganisme, les textes et les outils militants de la sorcière qu’elle se plaît à être, sont basés sur la non-violence, l’horizontalité et la magie.

Qulle personne équilibrée ne peut vraiment souhaiter devenir militant politique. D’un côté, sous ses formes les plus excitantes, le militantisme peut impliquer des risques corporels ou même l’emprisonnement. De l’autre, quand il est plus tranquille, il est souvent fastidieux et ingrat. Il nous met parfois en contact avec des gens excessivement déplaisants, qu’ils soient journalistes, policiers, voire militants. Cela suscite, de surcroît, d’immenses frustrations et colères, et fait mal aux pieds et à la gorge à force de manifestations.

Pourtant, à ce point de l’Histoire, nous sommes appelés à agir comme si la Terre était vraiment un être vivant conscient dont nous participons, avec la conviction que les êtres humains sont interdépendants et précieux, et dans le désir de la liberté et de la justice pour tous.
Quand nous avons fondé Reclaiming, il y a vingt ans, notre intention était de réunir le spirituel et le politique. Ou, plus exactement, ceux d’entre nous qui les jugeaient indissociables, voulaient instituer une pratique et un groupe qui reflètent cette union.

Dans le contexte de guerre lancée par le clan Bush, et alors que de terribles problèmes environnementaux et sociaux ne sont toujours pas pris en compte, le besoin de militantisme apparaît plus pressant que jamais. Les enjeux n’ont jamais été aussi importants, et le sentiment d’urgence si palpable.

Les membres de Reclaiming [1] ont occupé le terrain, dans les marches et les manifestations, de Seattle à Washington, apportant de la magie, des rituels et des danses en spirale au milieu de ce qui ressemblait parfois à des champs de bataille. Mais aussi, de manière plus constructive, en aidant nos communautés à s’organiser, en fournissant soins, nourriture, musique, art et rites - toutes choses qui donnent corps au monde dans lequel nous voulons vivre.
L’union de la magie et du militantisme ne suppose pas seulement d’insérer nos rites dans les actions, comme quand nous faisons une danse en spirale au milieu des policiers anti-émeutes et des lacrymogènes, quand nous déterminons une stratégie au moyen de la transe ou du Tarot, ou bien encore, quand nous invoquons l’esprit de l’Eau lors d’actions contre la privatisation des ressources en eau.

Cette union suppose aussi que nos rituels soient informés par notre militantisme, et les enjeux de la vie terrestre. Cela implique une conception différente de la spiritualité : que la spiritualité et les rituels ne sont pas coupés du monde, mais, au contraire, bien ancrés en lui.

Reclaiming se fonde sur une spiritualité basée sur la Terre, qui rejette la séparation entre l’esprit et la matière, et revendique l’égale sacralité du spirituel et de la nature physique.

(...) Une part importante de notre travail consiste à créer des espaces de refuge dans un monde hostile, des lieux sûrs où se soigner et se régénérer, renouveler ses énergies et développer de nouvelles aptitudes. Dans ce travail, nous essayons d’évacuer culpabilité, colère et frustration, et de les changer en émotions positives.

Mais le bien-être n’est pas l’étalon de mesure de notre travail spirituel. Le rituel n’est pas qu’une activité d’auto-guérison.

Dans la spiritualité, il s’agit aussi de nous lancer des défis, de repousser nos limites et de rechercher le soutien dont nous avons besoin pour prendre de grands risques. La Déesse n’est pas qu’une lumière, une demoiselle heureuse ou une mère nourricière. Elle est la mort comme la naissance, les ténèbres comme la lumière, la fureur comme la compassion - et si nous nous effarouchons de son étreinte féroce, nous entamons autant son pouvoir que notre propre développement.
Il est des moments où il ne convient pas de se sentir parfaitement bien. C’est le cas, à présent. Comme dit le proverbe, "Si tu n’es pas en colère, c’est que tu n’es pas attentif".

Cela ne veut pas dire que nous devions être constamment dans un état de rage, d’irritabilité ou de culpabilité. Cela veut dire que nous devons utiliser nos outils magiques pour affronter la terrible réalité qui se donne à nous, prendre conscience de nos sentiments et les transformer en une force de changement.

Il est arrivé que l’on critique notre usage des rituels et de l’invocation de l’Eau dans nos marches contre la privatisation de la ressource eau. Mais pour nous, cet enjeu est profondément spirituel. Parce que l’eau que nous tenons pour sacrée n’est pas une figure abstraite, mais bien le liquide dont nous avons besoins pour boire, nous baigner et cultiver nos jardins, le lieu de vie de poissons, de plantes et de milliers d’autres créatures, et donc, le sang vital de la Terre.

Si, comme les projections à une ou deux décennies l’annoncent, deux tiers de la population mondiale n’aura pas accès à l’eau dont elle a besoin (...), alors nous sommes face à une crise spirituelle aussi bien que physique et politique. Et je me suis engagée dans ce combat politiquement et magiquement (comme dans d’autres actions autour des accords du commerce mondial qui perpétuent la conquête de l’eau de la planète par les grandes firmes transnationales). J’ai besoin de mes rituels pour penser cette lutte et nourrir mon travail.

Un autre présupposé fréquent voudrait que la spiritualité soit toute entière tournée vers le calme et la paix, ce qui la rendrait incompatible avec l’action politique, qui, elle, n’est que conflits.
Dans les cercles New Age, un slogan classique dit : "Ce à quoi tu résistes persiste". La vraie spiritualité ne saurait admettre de s’opposer à des adversaires, ce qui suppose la perpétuation d’un dualisme "eux-nous" arriéré.

J’ignore l’origine spirituelle de ce slogan, mais j’aimerais répondre à ceux qui le répètent allègrement : "Quelles preuves avez-vous ?". Quand il est si flagrant que ce à quoi vous ne résistez pas persiste et se répand partout comme un fléau, en fait, la seule chose qui nous sépare de l’enfer est une bonne et vigoureuse résistance. Hitler n’a pas persisté à cause de la Résistance ; il a réussi à conquérir l’Allemagne et à assassiner des millions de gens parce que trop peu se dressèrent contre lui.

(...) A l’inverse de ceux qui invoquent la compassion envers l’ennemi et blâment les militants qui expriment leur colère à l’égard des autorités ou de la police, je n’ai pas beaucoup d’amour à donner à Bush, Cheney ou aux directeurs du FMI. Qu’ils souffrent d’un manque d’amour ou non m’importe peu. De mon point de vue, c’est d’un excès de pouvoir qu’ils souffrent, et je me sens appelée à les en débarrasser. Parce que j’aime les enfants d’Irak, les femmes des favelas, les recrues de 18 ans des Marines qui ne pensaient pas signer pour bombarder des civils. Je ne peux pas les aimer, eux, ou moi et ma communauté, effectivement, si je ne peux pas faire la différence entre les intérêts et les priorités d’un "nous" et d’un "eux", de ceux qui n’ont pas assez de pouvoir et de ceux qui en ont trop.

Rééquilibrer ce pouvoir implique de changer un énorme système. Pour cela, il faut le secouer, bouleverser sa structure. Cela nécessite souvent le conflit. (...)

Une part de ma spiritualité personnelle consiste à investir des lieux de conflits, parce que je peux y être utile, pour y désamorcer parfois les potentialités de violence, pour maintenir une intentionnalité ferme au milieu du chaos, ou parfois, juste comme témoin.

Nos outils et nos intuitions magiques, notre conscience des énergies et des alliés situés à différents niveaux, peuvent approfondir et informer notre militantisme. Et notre militantisme peut approfondir notre magie en nous encourageant à créer un rituel qui s’adresse aux vrais défis du monde, qui apporte la régénération dont nous avons besoin pour continuer, et une communauté qui comprend que l’esprit et l’action sont un.

Starhawk

octobre 2003

Texte traduit par Georgio Makekazzo

Le texte d’origine Toward an Activist Spirituality (copyright de Starhawk) est sur le site de Starhawk

Voir aussi www.pagancluster.org.


[1Reclaiming est un réseau de "tradition païenne, sans hiérarchie, sans dogme, prônant la liberté de pensée, la justice sociale, ainsi que la non-violence, la guérison, la régénération et bien sûr le culte de la Terre.
Ses pratiquants s’intéressent en général à différents degrés à la magie, à l’activisme et au développement personnel." (www.reclaiming.org)

Messages

  • et j’ajouterai ces quelques mots d’Onajor :"
    La spiritualité est avant tout la recherche du bien être de l’autre dans des actes concrets : Dire je t’aime à une personne qui souffre est une chose la soigner en est une autre."

    Rêveur

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