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Hans Jonas : éthique de l’environnement et principe de responsabilité

mercredi 3 mai 2006

Né en 1903 en Bavière, issu de la grande bourgeoisie juive libérale, Hans Jonas a suivi des études de philosophie notamment auprès de Heidegger et Bultmann. Après la soutenance de sa thèse, il quitte l’Allemagne en 1933 pour la Grande-Bretagne, puis Jérusalem. De 1940 à 1945, il sert dans l’armée britannique et, en 1948/49, dans l’armée israélienne. Il enseigne ensuite à New York à la New School for Social Research. De sa bibliographie, citons Le phénomène de la vie. Vers une biologie philosophique (1963) et Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique (1979). C’est surtout l’éthique de l’environnement et le principe de responsabilité qui caractérisent l’empreinte de Jonas dans le champ de l’écologie politique. Concernant le principe "responsabilité", Jonas répond à Kant (et à ses impératifs catégoriques) et à Bloch (et son "principe espérance").

Disciple de Heidegger et ami de Hannah Arendt, déchiré entre sa patrie allemande, son combat pour la création de l’Etat d’Israël (nouvelle patrie rêvée puis abandonnée) et son exil états-unien, Hans Jonas, philosophe de la vie après avoir été soldat, est l’une des références majeures du mouvement écologiste.

Pendant la Seconde guerre mondiale, en débattant avec Heidegger de ses affinités avec le nazisme, Jonas avait commencé à esquisser un concept philosophique contre le nihilisme. Il était, selon lui, inhérent à l’existentialisme moderne et responsable du manque de résistance intellectuelle à l’inhumanité de l’idéologie nazie. Jonas opposait à Heidegger un projet de pensée qui devait permettre à l’Homme de se sentir partie intégrante d’une nature non indifférente et précieuse.

Plus tard, dans une contribution concernant les problèmes éthiques (Aktuelle ethische Probleme aus jüdischer Sicht, 1970), Jonas diagnostiquait un vide métaphysique auquel l’éthique philosophique moderne n’avait rien su opposer. Selon lui, dans le monde moderne, le relativisme éthique et l’indifférence avaient remplacé l’appel à la responsabilité de l’homme. Ce qui l’amène tout naturellement à son ouvrage Le principe responsabilité (1979) qui connaîtra un certain succès. Jonas y expose ses réflexions sur le rapport entre technologies et éthique, sur la maîtrise par l’Homme de sa propre puissance (les effets irréversibles que peuvent avoir les technologies sur la nature). Il insiste sur la grande différence avec les époques passées qui est la capacité de l’Homme à détruire l’humanité. Ce qui amène à poser la question de l’existence de l’espèce.

De plus, la technique moderne est caractérisée par le fait qu’elle ne se contente pas d’imposer à la société les conditions de son maintien, mais, bien au-delà, les conditions de son renforcement... Un cercle vicieux qui entraîne les Hommes à réparer les dégâts dus à la technologie par de nouvelles innovations techniques qui créent elles-mêmes de nouveaux problèmes. Jonas refuse la croyance selon laquelle la technique saura toujours résoudre les problèmes qu’elle engendre. Pour lui, la technique moderne est"devenue sauvage" et elle doit par conséquent être domestiquée. D’autant plus qu’elle se trouve dans ce contexte ubuesque où l’homme croit contrôler la nature par le moyen d’une technique qu’il ne contrôle pas.

Au-delà de ça, Jonas estime que la technique est au moins aussi redoutable par ses réussites que par ses échecs [1].

Cette capacité destructive de l’Homme, cette "transformation de l’essence de l’agir humain" est à la base de l’idée de Jonas de nouvelles obligations à imposer à l’Homme dans son rapport à l’avenir. Elle nécessite une transformation radicale de l’éthique vers une éthique moins anthropocentrique qui permettrait à l’homme de retrouver ses racines biologiques et naturelles. Dans cette éthique pour l’avenir qui est avant tout une pensée du long terme, la peur joue un rôle primordial en tant qu’élément mobilisateur, puisque nul ne peut anticiper les conséquences des applications techniques sur la vie à long terme. Pour Jonas, l’existence de Dieu n’est pas décisive pour l’application de cette éthique, puisque l’idée d’autolimitation responsable de l’Homme peut être justifiée sur la base de la simple raison. Son principe renonce donc sciemment à des justifications religieuses et fait appel à la responsabilité collective et personnelle en développant des stratégies d’autolimitation de la liberté humaine, ainsi qu’un profond respect de la vie.
Jonas était préoccupé par la prolifération des armes et des technologies nucléaires, la crise écologique globale et la généralisation des technologies génétiques et biogénétiques. A cet égard, il mettait particulièrement en garde contre le génie génétique et les expérimentations irréversibles. Il proposait deux types d’arguments pour justifier que la nature de l’Homme doive être respectée : l’argument religieux-métaphysique (l’Homme à l’image de Dieu qu’il faut préserver) et l’argument prudentiel (notre système naturel est d’un équilibre extrêmement complexe et il serait arrogant et imprudent de vouloir le bricoler). Dans ce cadre, Jonas a critiqué l’inévitable dérive utopique de la technique... le fantasme de l’amélioration technique de l’Homme.

Le concept de responsabilité s’exprime sous forme d’un impératif catégorique : "Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre" et "Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie." [2]
Jonas considérait avant tout la politique comme porteuse de cette responsabilité, même s’il faisait également référence aux parents comme responsables pour leurs enfants : "Il est manifeste que le nouvel impératif s’adresse beaucoup plus à la politique publique qu’à la conduite privée, cette dernière n’étant pas la dimension causale à laquelle il peut s’appliquer."

En 1992, un an avant sa mort, Jonas exprimait lors d’une remise de prix que "si nous continuons à gérer la terre aussi mal que nous le faisons à l’heure actuelle, le destin qui nous menace, ce malheur, devient d’autant plus sûr que nous le considérons comme étant inévitable. Je mets en garde contre le danger interne qu’est le fatalisme, qui est presque aussi grand que le danger extérieur, qui est toute façon de notre fait."
Hans Jonas a, comme peu de philosophes du siècle passé, souligné à quel point l’existence de la Nature et de l’Homme sont menacées à long terme par ses interventions technologiques qui interviennent dans l’écosystème de la vie planétaire.

Son legs philosophique est un plaidoyer passionné pour la responsabilité humaine. Ce legs est toujours (et de manière grandissante) d’une actualité brûlante.

Claudia Neubauer

Bibliographie :

Hans Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique. Traduit par Jean Greisch, Cerf, 1990.

Et la littérature de Bernard Sève, Christian Wiese et de Robert Steuckers sur Hans Jonas.


[1Bernard Sève, "Hans Jonas et l’éthique de la responsabilité", Revue Esprit, octobre 1990.

http://lyc-sevres.ac-versailles.fr/p_jonas_pub.eth.resp.php

[2Toujours basé sur le principe suprême qu’il y a une obligation inconditionnelle d’exister pour l’humanité.