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Rachel Carson, un engagement scientifique et littéraire

mercredi 3 mai 2006, par Bruno Villalba

Avec Silent Spring, livre paru en 1962 qui dénonçait l’usage agricole des produits chimiques, Rachel Carson jetta un pont entre science et militance.
Prônant l’interdisciplinarité, elle joua un rôle décisif dans le déclenchement d’une prise de conscience sociale des problèmes de l’environnement.

Biologiste et écrivain naturaliste née en 1907 aux Etats-Unis (décédée en 1964), Rachel Louise Carson élabore une réflexion à la fois scientifique, et parfois poétique, sur la situation de l’environnement. Elle débute par une série d’articles de vulgarisation scientifique sur la zoologie marine, qui aboutit à la publication de son livre Under the Sea-Wind (1941). Ses premiers livres rencontrent un succès inespéré dans ce genre littéraire, lui permettant de se consacrer entièrement à l’écriture. Elle approfondit ses réflexions sur les relations que nous entretenons avec notre environnement naturel. Dès le début des années 50, elle s’interroge sur les conséquences de l’utilisation et de la dissémination des molécules chimiques dans la nature, et ses effets sur l’homme (via l’agriculture, la pêche, l’alimentation, etc). En 1962, son livre Silent Spring lui confère une notoriété internationale. Elle met en évidence les dangers des pesticides et des insecticides dont la longue durée de vie menace la planète d’un empoisonnement progressif. L’essai associe une démonstration scientifique à un discours narratif puissant. Ce faisant, elle popularise quelques notions clés du discours de crise : état écologique, sous-estimation de l’ampleur, conséquences sur l’humanité et, surtout, l’urgence à agir. Sa démonstration s’appuie sur les registres de la raison et de l’émotion, créant ainsi un continuum entre l’analyse théorique et la force des réactions émotionnelles.

D’un point de vue philosophique, Rachel Carson considère que l’homme est en interaction permanente avec son environnement. Il ne peut s’en extraire, ni même assurer une suprématie sur la nature, sans en subir des conséquences dommageables, immédiates et à long terme. Elle structure le discours écologiste en relevant les maux actuels pour alerter sur les dangers à venir. Son discours scientifique appuie la critique écologiste. Pour construire sa démonstration, elle se base sur des corrélations statistiques. C’est l’approche probabilistique et épidémiologique. L’enjeu est d’établir une corrélation entre le constat (lui-même scientifiquement validé) et les conséquences avérées (même si la réflexion sur la prospective ne cesse de se développer).

De la polémique aux lois antipollution

Le livre soulève une immense polémique : non seulement parce qu’il touche à d’importantes questions économiques (logique productiviste des secteurs agricoles, et logiques de consommation de masse), mais aussi parce qu’il insiste sur l’importance des carences scientifiques (incertitudes sur la nature des produits utilisés -impacts, etc- mais aussi sur leurs effets cumulés) et l’incurie des responsables politiques (absence de réflexion a priori et incapacité d’agir a posteriori). Rachel Carson doit faire face à des critiques excessives, notamment liées à sa condition de femme... Néanmoins, ce débat contribue à la création par le gouvernement américain de l’Agence pour la protection de l’environnement et à l’adoption des premières grandes lois antipollution.
Carson est représentative d’un courant littéraire, qui par un important et rigoureux travail de vulgarisation des préoccupations sur la question écologique, diffuse, d’un point de vue cognitif, un diagnostic scientifique. Cette littérature participe à la diffusion de l’angoisse d’un dérèglement de la rationalité de la science et de la menace concernant l’avenir de l’espèce humaine.

Bruno Villalba

A lire : Rachel Carson, Le printemps silencieux, Paris, Plon, 1962

Ouebograhie :

www.rachelcarson.org/

onlineethics.org/moral/carson/index.html