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Luttes de précaires et engagement

2005, par Evelyne Perrin

Des Mac-grèves aux collectifs des emploi-jeunes ou des intermittents du spectacle, les salariés précaires s’organisent pour faire barrage à la dégradation de leurs statuts et de leurs conditions de travail. Si des syndicats (CGT, SUD, CNT) tentent d’ appuyer ces mouvements, ceux-ci récusent toute hiérarchie et multiplient les actions hors des cadres des entreprises. Ils peinent toutefois à fédérer les énergies et à jeter les bases de revendications communes. La nouvelle coordination européenne des précaires pourrait relancer la machine.

Les salariés, notamment les jeunes, soumis à des normes de travail flexible et à une dégradation de leur statut de travail sont de plus en plus obligés aujourd’hui de se défendre et de s’organiser non seulement au sein des syndicats, mais en marge de ceux-ci, en créant leurs propres instruments de lutte. En effet, les syndicats sont affaiblis par le développement des formes dites particulières d’emploi (CDD, intérim, stages, temps partiel subi) et l’instabilité et la mobilité qui en résultent pour les salariés, par le délitement des collectifs de travail, le turn over, la peur de non renouvellement du contrat ou de la mission ; mais aussi par leurs propres difficultés à représenter et défendre les travailleurs précaires, faute pour la plupart d’entre eux d’avoir élaboré un projet cohérent de renouvellement des garanties collectives des salariés.
Aussi, dans les luttes récentes de salariés de la restauration rapide, du commerce ou du nettoyage, des emplois-jeunes ou des intermittents du spectacle apparaissent des collectifs de syndiqués, des coordinations entre syndiqués et non syndiqués, des comités de soutien ad hoc, regroupant des militants de divers syndicats et associations sur des bases interprofessionnelles et interassociatives. Ces collectifs ou comités doublent le travail syndical, s’y substituent parfois ou lui servent d’aiguillon. En même temps, ils contribuent à renouveler les formes d’action des salariés et illustrent la crise des modes d’engagement traditionnels et des organisations syndicales et politiques qui les reproduisent.

Les jeunes précaires : une nouvelle combativité

Les précaires de la restauration rapide, du commerce, du nettoyage

Les années 2000 à 2004 ont vu naître et se développer plusieurs luttes de salariés dans la restauration rapide et le commerce, en majorité de jeunes précaires, ainsi que dans le nettoyage.
Pour n’en citer que quelques unes :

– grève de 15 jours en décembre 2000 au Mc Do du boulevard St-Germain pour des augmentations de salaires et une prime de fin d’année,

– grève de 32 jours en février 2001 au Pizza Hut Opéra pour les mêmes revendications, débouchant sur des primes,

– grève historique de 112 jours d’octobre 2001 à février 2002 au Mc Do de Strasbourg St-Denis pour la réintégration de cinq salariés licenciés, victorieuse,

– grève d’un mois avec occupation, en février 2002, de la FNAC des Champs-Elysées pour des augmentations de salaires, grève s’étendant à d’autres FNAC de région parisienne et de province, victorieuse, car elle aboutit à un réajustement des salaires de la FNAC Champs-Elysées par rapport aux autres FNAC.

– grèves sporadiques au printemps 2002 dans plusieurs Mc Do parisiens en solidarité avec les salariés de Strasbourg St-Denis ou pour des augmentations de salaires et un 13e mois,

– grèves chez Go Sport pour des augmentations de salaires, chez Virgin contre le travail du dimanche et pour un 13e mois,

– grèves d’un mois à deux reprises en 2002 et avril 2004 chez Maxilivres, la dernière pour obtenir à la Gare de Lyon un point d’eau et l’accès gratuit aux toilettes !

– grève d’un an, de mars 2002 à février 2003, de 32 femmes de ménage des hôtels du groupe Accor employées par son sous-traitant Arcade, aboutissant à une réduction des cadences et à une meilleure prise en compte des heures effectuées, mais suivie en mai 2004 du licenciement de la déléguée syndicale SUD leader de la grève. Depuis, un comité de soutien mène des actions de harcèlement dans les hôtels du groupe Accor en demandant la réintégration de cette déléguée syndicale, qui a aussi intenté des recours juridiques.

– grève avec occupation de mars 2003 à mars 2004 à nouveau du Mc Do de Strasbourg St-Denis pour la réintégration d’un délégué licencié et contre les manœuvres de coulage du gérant, débouchant sur une réintégration et sur le paiement d’une partie des jours de grève.

– grève de plusieurs mois, d’avril 2002 à novembre, des cuisiniers sri-lankais des pubs Frog pour une amélioration de leurs conditions de travail, malheureusement non victorieuse…

– grève de plusieurs semaines en octobre 2004 des salariés du café RUC (du groupe Costes) suite au licenciement de salariés grévistes et pour le paiement des heures supplémentaires…

La liste serait longue et ce ne sont que quelques exemples. Néanmoins, des points communs caractérisent ces luttes, et on peut parler sans se tromper de l’émergence d’une nouvelle conscience de classe, même si elle ne s’exprime pas explicitement, chez les salariés précaires de certains secteurs du commerce et des services. De plus, les formes de luttes sont particulières et novatrices, en ce qu’elles font appel à l’opinion et s’appuient assez systématiquement sur des comités de soutien intersyndicaux et interassociatifs extérieurs à l’entreprise, mais incluant des salariés en grève.

Dans le secteur de la restauration rapide, ce sont essentiellement de jeunes délégués CGT - ainsi que des délégués SUD et parfois FO ou CNT - qui mènent ces luttes, certains d’entre eux déjà dotés d’une certaine expérience, d’autres tout frais promus délégués pour se protéger de la répression syndicale. Durant les années 2000 et 2001, ces délégués utilisent le Collectif CGT de la restauration rapide, élargi à des militants ou délégués CNT et FO, pour se coordonner entre enseignes telles que Mc Do, Quick, Pizza Hut, EuroDisney et les restaurants du Louvre.

Mais, éprouvant rapidement le besoin de sortir des limites syndicales classiques, certains d’entre eux créent le Réseau Stop Précarité qui regroupe des délégués CGT de Pizza Hut, Disneyland, Extrapole, MaxiLivres, BHV, restaurants du Louvre, des militants de SUD-Etudiants, SUD-Ceritex, AC !, AARRG, ATTAC-Sorbonne, CNT, UNEF, du Collectif des Emplois-Jeunes de Seine Saint-Denis et des chercheurs.

Le Collectif CGT de la restauration rapide, puis le réseau Stop Précarité organisent en 2001 et 2002 plusieurs opérations coup de poing et manifestations qui se distinguent des formes de lutte syndicale traditionnelles par leur volonté d’investir l’espace public de la rue et des centres commerciaux (Belle Epine en juin 2001 et La Défense en décembre), par leur appel à la solidarité des consommateurs et au boycott de la marque, par leur autonomie vis-à-vis des structures syndicales.

Lors de la grève de 112 jours du Mc Do de Strasbourg St-Denis en 2001-2002, des formes originales de mobilisation sont inventées avec la constitution d’un vaste comité de soutien regroupant plus d’une trentaine d’organisations syndicales, associatives et politiques, qui se réunit une fois par semaine sous la houlette d’une Fédération du Commerce CGT passablement débordée.
Grévistes et comité de soutien mettent en œuvre des occupations de Mc Do parisiens tous les samedi et parfois le dimanche, y compris Noël et jour de l’An, sensibilisant les passants et effectuant des collectes. Ces actions de harcèlement et la popularisation du conflit ne sont pas pour rien dans la capitulation finale de Mc Do et la réintégration des grévistes en février 2002.

La lutte des emplois-jeunes en 2002 et 2003

La lutte des emplois-jeunes est un exemple de mouvement né de coordinations locales intercatégorielles qui ne rencontre qu’un très faible soutien des syndicats, et doit compter principalement sur ses propres forces.
Lorsqu’à l’été 2002 le gouvernement Raffarin annonce la non-reconduction des emplois-jeunes, ceux-ci s’organisent en collectifs et se mobilisent fortement dès l’automne 2002, multipliant les assemblées générales et essayant d’unir les emplois-jeunes de divers secteurs, ceux de l’Education Nationale, des collectivités territoriales et des associations, pour déposer des revendications spécifiques à chacun d’eux et au-delà, unitaires. Ces revendications vont du maintien du statut d’étudiant-surveillant à la titularisation sans concours ni condition de nationalité pour les emplois-jeunes des divers services publics, à l’accès à des formations qualifiantes et/ou diplômantes, à la revalorisation des salaires, à la validation des acquis professionnels, à la transformation des CDD en CDI pour les emplois-jeunes des associations.

Il se crée une Coordination nationales des emplois-jeunes et surveillants en lutte, qui appelle à des journées nationales d’action et à des grèves reconductibles en décembre 2002 et janvier 2003. Des collectifs se créent ainsi un peu partout en province, et des grèves reconductibles sont déclenchées en Corse, à Nantes, Rennes, Brest, Toulouse, Angers et dans de nombreuses autres villes. Le mouvement culmine en juin 2003 avec l’approche des premiers non-renouvellements de contrats par une occupation de la Bourse du travail à Paris et une forte participation aux manifestations des enseignants et salariés du secteur public contre la réforme des retraites et la décentralisation à l’Education nationale, au risque pour la lutte des emplois-jeunes de se retrouver un peu diluée dans le mouvement social de mai-juin 2003.

Cette lutte se veut étroitement articulée à une lutte plus générale contre la précarité, car les emplois-jeunes, même s’ils disposent de CDD de cinq ans, sont la poursuite du développement de la précarité dans le secteur public : aujourd’hui la majorité des emplois créés dans le secteur public sont des emplois précaires. Une autre particularité et une force de la lutte des emplois-jeunes, c’est qu’elle se veut d’emblée interprofessionnelle, car les emplois-jeunes des collectivités locales n’auraient pu lutter seuls, ni ceux de l’Education nationale. Les emplois-jeunes sont à l’interprofessionnalité des métiers, porteurs de convergences. Leur lutte s’ouvre sur celle des autres précaires, à qui ils apportent leur soutien lorsqu’éclatent des grèves. Ce n’est pas un hasard si les leaders de la Coordination nationale des emplois-jeunes se retrouvent en 2003-2004 dans le collectif "Convergence des luttes" qui essaie de relier réseaux de militants.

Face à ce qu’on peut considérer comme le plus grand plan social des années 2000 (dès juin 2003, ce sont 20 000 emplois-jeunes qui se retrouvent aux portes de l’ANPE), les syndicats majoritaires sont restés curieusement silencieux et relativement inactifs, au lieu d’aider à la mobilisation et à l’émergence de revendications, qui par leur nature interprofessionnelle les gênaient et dérangeaient leurs certitudes et leur organisation pyramidale et catégorielle.

La lutte des intermittents du spectacle durant l’été 2003

La lutte des intermittents du spectacle contre la réforme de leur statut durant le printemps et l’été 2003 et jusqu’à présent est l’exemple même d’un mouvement organisé en dehors des syndicats en collectifs locaux de syndiqués et de non syndiqués, même si la CGT a exercé une influence certaine dans l’expression du refus de la réforme.

Lorsque le gouvernement annonce la réforme des annexes VIII et X de l’UNEDIC qui régissent le régime d’assurance chômage des intermittents, le Collectif "Précaires et Associés de Paris" (PAP) se crée en décembre 2002, et organise, pendant l’hiver et le printemps 2003, les premières actions contre le projet de réforme. La Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile de France se crée en juin 2003 pour répondre à une demande des professionnels concernés, pour remplir un vide et réfléchir en matière de droits sociaux. Au départ il y a une occupation du Théatre de la Colline par une centaine d’intermittents ; puis lors de la signature du protocole par le gouvernement et quelques syndicats non majoritaires dont la CFDT, dans la nuit du 26 au 27 juin, Précaires et Associés de Paris, ainsi que quelques militants de la CNT, appellent à une assemblée générale, où arrivent 1000 à 1200 personnes, qui alors décident d’occuper la Villette. Le travail collectif commence tout de suite en commissions ouvertes à tous, avec compte-rendu dans des AG régulières de 500 à 1000 personnes. Un vrai travail de commissions s’effectue, avec une diversité de participants, des vedettes aux personnes les plus précaires et les plus fragiles, représentatif donc de la diversité des situations professionnelles qui caractérise le secteur. C’est ce travail collectif associant des individualités professionnelles très diverses qui va permettre une mise à plat des conditions concrètes d’exercice de ces professions et une réflexion sur les dysfonctionnements du régime d’assurance chômage et sur les alternatives à lui opposer pour assurer aux personnes concernées une continuité de droits et de revenu.

C’est la Coordination qui a élaboré, au sein de la commission propositions-revendications, le nouveau modèle d’indemnisation des intermittents, par un travail de création collective, non pyramidal, tout au long de l’été et de l’automne 2003, modèle enfin adopté sous sa forme définitive (bien qu’il reste bien sûr perfectible) en coordination nationale à Lille le 7 décembre 2003. La Coordination a opté pour un calcul de l’indemnisation basé sur un salaire annuel de référence et sur le nombre d’heures travaillées, avec un plancher, le SMIC, et un plafond, fixé assez bas, pour éviter que certains intermittents cumulent cachets et indemnités les plus élevés.

A la différence de nombre de coordinations antérieures, qui présentaient des points communs mais implosaient sur la question de la place des syndicats , la Coordination des Intermittents a évité la récupération et le laminage par les syndicats et a résisté. A ce titre, elle est riche d’enseignements pour les autres mouvements, et augure de nouvelles formes de lutte et de proposition collective concernant le travail et l’emploi sous leurs formes contemporaines.

Mais la force du mouvement des intermittents du spectacle est qu’il s’appuie sur des professionnalités bien identifiées et sur une pratique commune du travail discontinu .

Des formes de lutte spécifiques et originales

Ces formes de lutte des jeunes précaires se différencient nettement des luttes syndicales classiques :

– elles sont lancées à la base et non à partir de mots d’ordre des centrales syndicales ; elles se construisent à partir d’agrégats d’individualités, sur la base de la confiance réciproque et de l’interconnaissance, en évitant la discipline et la hiérarchie bureaucratiques mais en privilégiant l’autonomie et une forte implication personnelle. Les tracts d’ailleurs, même à en-tête syndicale, se concluent par des prénoms et des numéros de portables. Les centrales syndicales impliquées peinent à garder le contrôle de ces mouvements de lutte et se voient souvent débordées, contestées.

– Les luttes sortent de l’entreprise pour déborder sur la rue, l’espace public, par accrochage de banderoles sur des rubans de scotch tendus entre les arbres, distribution de tracts aux passants et consommateurs, appel au boycott des produits, ce qui permet de relier une lutte ponctuelle à des thèmes plus généraux comme la "malbouffe" et à d’autres mouvements comme la Confédération Paysanne ou les mouvements pour une autre mondialisation, ou le mouvement des "sans papiers" dans le cas de la lutte des salariées d’Arcade, emblématique de la surexploitation des immigrés.

– Les luttes sortent également du carcan syndical en faisant appel à des soutiens diversifiés de l’extérieur, autres syndicats, associations de lutte contre le chômage et la précarité, mouvement étudiant dans toutes ses composantes…

– Ces luttes s’en prennent aussi au talon d’Achille de ces multinationales, leur image de marque dans le public, en développant des campagnes de boycott de la marque sous forme de cartes postales, en diffusant la contestation dans les divers établissements du groupe, restaurants Mc Do, hôtels du groupe Accor, en perturbant l’assemblée des actionnaires de ce groupe dont Arcade est l’un des sous-traitants…

– Ces jeunes délégués maintiennent une attitude souvent assez distanciée vis-à-vis de leur syndicat qu’ils ont tendance à instrumentaliser dans ce sens qu’ils en perçoivent de façon aigüe les limites et les rigidités et y suppléent en déployant entre eux une grande solidarité, en se donnant des "coups de main" pour pallier les carences syndicales.

– L’expérience collective du comité de soutien à une lutte est facilement "transférée" à une autre lutte, avec des recompositions de participants. Ainsi le collectif de soutien au Mc Do Strasbourg St-Denis se transforme-t-il après quelques défections ou apports nouveaux en un comité de soutien à la lutte des femmes de ménage africaines d’Arcade, puis renaît pour soutenir la deuxième grève du Mc Do de Strasbourg St-Denis, puis s’étend au soutien aux cuisiniers des Frog. Des jonctions sporadiques se font entre luttes, lorsque les femmes d’Arcade soutiennent des occupations de Mc Do et que des salariés de Mc Do en grève participent aux occupations d’hôtels du groupe Accor, même si cela reste l’exception.

Des faiblesses et difficultés

Malgré l’originalité et le renouvellement des formes de lutte des salariés précaires de divers secteurs dans le début des années 2000, il faut toutefois constater que ces grèves restent encore dispersées et fragmentées, et qu’elles ne se prêtent pas à un travail collectif d’élaboration de revendications communes ou de propositions convergentes pour lutter contre la précarité de l’emploi et du revenu ou pour exiger du gouvernement l’élaboration de nouvelles garanties collectives pour les salariés confrontés à la flexibilité du travail. Ce sont des mouvements qui restent centrés le plus souvent sur des augmentations de salaires, l’obtention de primes ou d’un treizième mois, ou la réintégration de délégués syndicaux licenciés, et qui ne dépassent pas l’entreprise concernée, malgré les efforts déployés par les comités de soutien pour élargir ces luttes à l’ensemble d’un secteur.

Si des occasions sont créées lorsque plusieurs conflits coexistent dans le temps pour des convergences sur le terrain (occupations croisées de Mc Do et d’hôtels Accor pendant les grèves des salariés du Mc Do de Strasbourg Saint-Denis et des salariées d’Arcade en 2002, occupation commune du Virgin de la Défense et d’hôtels de la Défense le 19 juin 2004 pour dénoncer le licenciement de délégués syndicaux, occupation de l’hôtel Scribe près de l’Opéra à l’issue de la manifestation des chômeurs du 2 octobre 2004, etc.), cela ne suffit pas à créer un mouvement de convergence durable de revendications et de réflexion commune pour constituer un front uni contre la précarisation rampante du monde du travail. Toutefois, au vu des échanges créés par les forums sociaux européens (le dernier à Londres en octobre 2004 a vu se créer un réseau européen de précaires) ou l’organisation des EuroMayDays dans plusieurs capitales européennes, on peut penser que les précaires se dotent progressivement de coordinations plus élargies, qui bien qu’émergentes, préfigurent de futures élaborations communes à l’instar de la naissance du syndicalisme à la fin du XIXe siècle, toutes proportions gardées.

Une remise en cause des formes traditionnelles d’engagement

Même si certains d’entre eux sont syndiqués, notamment à la CGT, à SUD ou à la CNT, et même si nombre de luttes bénéficient d’un soutien syndical indispensable, les précaires qui s’investissent aujourd’hui dans des luttes, par delà la diversité de leurs statuts et le morcellement de leurs situations, se dotent le plus souvent de formes nouvelles d’organisation , collectifs, coordinations, comités de soutien ad hoc, qui privilégient la démocratie directe et le contrôle des décisions par la base, la souplesse et la rapidité, la mixité des appartenances syndicales, associatives et politiques, le caractère interclassiste ou interprofessionnel des revendications. Ce sont des formes d’organisation par affinités sélectives, par agrégation apparemment éphémère mais dont les liens tissés à l’occasion des luttes sont durables et peuvent se recomposer à tout moment. Ces formes d’organisation ne se substituent pas aux syndicats, elles les accompagnent et s’élaborent en parallèle, le recours aux syndicats restant fondamental dans les actions juridiques et pour la protection des salariés délégués.
Le modèle du fonctionnement syndical traditionnel, basé sur la section d’entreprise, l’organisation par branche, se trouve bousculé et peu adapté au développement de la mobilité des travailleurs précaires d’un emploi à un autre et de l’emploi au chômage. Ne faudrait-il pas donner plus d’importance aux unions locales interprofessionnelles, aux bourses du travail ?
Plus fondamentalement, la montée de l’individualisme et de la volonté de choisir ses engagements de façon sélective et réversible, le développement de formes d’engagement plus subjectives, privilégiant les relations interpersonnelles de confiance et par affinités, le refus de plus en plus généralisé de la délégation de pouvoir et de ce qui peut apparaître comme des processus bureaucratiques et rigides, peuvent expliquer la crise de la forme d’organisation syndicale classique et le développement des collectifs et coordinations ad hoc reposant sur la démocratie directe.

A ces difficultés liées à la forme syndicale s’ajoute la relative incapacité des syndicats, du moins la plupart, à inventer un socle de revendications apte à contrer le développement de la précarité et de la flexibilité, celui de la sous-traitance, et la dégradation des conditions de travail qui en résulte pour une frange croissante du salariat. Il est tout de même notable que la principale ligne de proposition collective à la hauteur du développement de la précarité de l’emploi et du revenu, le nouveau modèle d’indemnisation des intermittents du spectacle, qui peut faire figure de modèle pour une grande majorité des précaires, ait été élaborée par la Coordination des intermittents en dehors des syndicats. La précarité appelle un aggiornamento syndical. Les syndicats sauront-ils relever ce défi ? En attendant, les précaires, comme les chômeurs avant eux, se doteront de plus en plus souvent de leurs propres outils de lutte et élaboreront par eux-mêmes leurs propres revendications, en interpellant radicalement l’Etat social.

Evelyne Perrin

AC !, Stop Précarité