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Des collectivités locales agissent en consommatrices responsables

juin 2003, par Frédéric Castel, Jacques Boutault

Par essence citoyennes et grandes consommatrices, les collectivités locales ont un rôle majeur à jouer dans le développement de la consommation citoyenne. Via leurs achats, les collectivités peuvent contribuer à structurer les filières alternatives. En prenant en charge le surcoût inévitable lié à l’introduction de ces produits, par exemple dans les cantines scolaires, les collectivités permettent à tous d’y avoir accès. 250 collectivités participent à un réseau de villes éthiques qui s’engagent à réfléchir à la qualité sociale et environnementale de leurs achats. Pour aller plus loin, la mobilisation des ONG est indispensable.

Interview de Jacques Boutault, maire du 2e arrondissement de Paris, président de la Caisse des écoles du 2e arrondissement

Concrètement quelle démarche avez vous mise en place ?
Nous avons, dans le cadre d’un marché public, demandé au prestataire de fournir, à chaque repas servi aux enfants du 2e arrondissement qui déjeunent dans les restaurants scolaires, au moins un élément sous signe officiel de qualité. C’est à dire : issu de l’agriculture biologique (AB), label rouge ou d’Appellation d’Origine Contrôlée. Nous servons 1600 repas par jour. Aucun prestataire ne peut s’engager à nous servir des repas 100% bio. Le budget de la caisse des écoles, on s’en doute, n’est pas extensible à l’infini. Or, il était à mes yeux impératif que cet accroissement de la qualité se fasse sans répercussion sur le prix du repas payé par les parents, afin de n’exclure personne. Compte tenu de ces contraintes, nous avons fixé la barre le plus haut possible : aujourd’hui, dans le 2e arrondissement, en moyenne, sur les 5 composantes de chaque repas, au moins 1,5 élément est sous signe officiel de qualité (AB, label rouge ou AOC). De plus, l’huile et le bœuf sont systématiquement issus de l’agriculture biologique. La volaille est également sous signe officiel de qualité, y compris lorsqu’elle entre dans les produits "reconstitués".

Pourquoi introduire les produits issus de l’agriculture biologique dans les restaurants scolaires du 2e arrondissement ?

L’introduction du bio fait partie d’une démarche globale d’amélioration de la qualité des repas servis aux enfants. Le bio garantit une alimentation saine, exempte d’engrais chimiques et autres pesticides. D’autre part, il encourage une agriculture paysanne, respectueuse de l’environnement et non productiviste. En faisant cela nous agissons aux deux bouts de la chaîne : sur ce que l’on produit et sur ce que l’on mange. Autre avantage : le bio nous a permis de réintroduire le bœuf. Nous avons consulté les parents d’élèves : 75 % se sont déclarés favorables à la réapparition, dans les menus, de la viande bovine à condition qu’elle soit issue de l’agriculture biologique.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées ?
Modifier en profondeur un marché public n’est pas chose aisée. On se heurte à des difficultés juridiques. Par ailleurs, les sociétés de restauration collective ne sont pas spontanément enthousiastes car les nouvelles exigences les obligent à modifier leurs approvisionnements et leur organisation. Mais, même à reculons, elles s’y engagent car c’est un marché d’avenir. La plupart ont désormais bien compris qu’il ne s’agissait pas d’un simple effet de mode mais bien d’une tendance de fond.
Par ailleurs, il faut être vigilant. L’introduction du bio ne doit pas entraîner une dégradation des autres composantes du repas. Un prestataire, pour compenser le surcoût du bio, peut, par exemple, être tenté de diminuer la qualité des produits reconstitués. Les quenelles doivent toujours, au minimum, être composée de 70% de viande qui, en outre, doit aussi être sous signe officiel de qualité. Ces éléments de non dégradation de la qualité générale, mais aussi de la sécurité alimentaire, doivent être regardés de près avant la signature du contrat et être clairement indiqués.
Il est également impératif de respecter toutes les règles de marché en vigueur afin que l’appel d’offre ne puisse souffrir aucune contestation ultérieure. Associer, à chaque étape la DCCRF, le trésor public et la direction de la Ville concernée (direction des affaires scolaires) permet d’éviter tout écueil. Il est également indispensable d’associer les membres du conseil d’administration de la Caisse des écoles par la création d’une commission de marché. Ces procédures peuvent paraître longues et fastidieuses mais elles constituent une "garantie de bonne fin". Enfin, j’ai été surpris par l’incapacité des prestataires à proposer des repas avec quatre composantes (actuellement cinq composantes : entrée, légume, viande, formage et désert) et des repas végétariens.

Quel est le coût supplémentaire pour les parents ?
Nous avons voulu que cette amélioration de la qualité alimentaire bénéficie à tous les enfants. Aucun coût supplémentaire n’est donc acquitté pour les parents… bien que beaucoup d’entre eux (mais il s’agit de parents aisés) conçoivent de payer plus pour que leur enfant mange mieux.. Nous envisageons donc de revoir l’échelle des tarifs qui, passerait de cinq à huit. Les trois nouveaux tarifs ne s’appliqueraient qu’aux parents disposant des plus hauts revenus.
Ce supplément de ressources ne permettra de prendre en charge qu’une infime partie du surcoût inévitable du marché intégrant le bio. Le reste doit être financé par la collectivité.
A Paris, à la demande des écologistes (les Verts), les élus ont voté une enveloppe globale équivalente à 28 centimes d’euros supplémentaire par repas. C’est une somme toute juste suffisante pour introduire ici ou là quelques éléments bio. Dans le 2e arrondissement, le solde est financé par les ressources propres de la Caisse des écoles.

Comment les produits biologiques sont-ils perçus par les enfants ?
Tous les enfants, même les plus "difficiles" vous le diront : la qualité gustative d’un poulet bio ou sous signe officiel de qualité est incontestablement meilleure. Les viandes mais aussi les légumes sont plus savoureux, plus agréable à manger. Mais pour un enfant, la partie visible du bio c’est aussi des fruits moins beaux, car non traités et des fromages au goût plus prononcé. Il est nécessaire de d’expliquer, de démontrer, de convaincre. Le temps de repas est aussi un temps éducatif. Il faut mener des opérations de promotion du bio dans les écoles afin que les enfants comprennent bien de quoi il s’agit. Mais, en général, les jeunes générations perçoivent bien et sont sensibles aux efforts de qualité qui sont faits.


Interview de Frédéric Castel, responsable de campagne, Les Amis de la Terre-France

Pourquoi une campagne de sensibilisation auprès des collectivités territoriales ?
En zone tropicale, la perte des surfaces forestières de 1980 à 1995 est estimée à près de quatre fois la surface de la France. Pour remédier à cette situation, un accord international a été signé en 1994 dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement (Cnuced), prolongé en France par le vote de la loi de juin 1998 sur la protection des bois tropicaux. Dans ce contexte, notre campagne vise à demander des comptes. Nous avons regardé quels étaient les plus gros consommateurs de bois, et découvert que les pays européens représentent un tiers, en valeur, des importations mondiales de bois tropicaux, la France partageant la première place avec le Royaume-Uni. Les importations françaises atteignent 15% des importations de bois tropicaux de l’Union européenne. Environ un quart d’entre elles étant consommé par nos administrations publiques, l’enjeu lié à une modification des pratiques dans le cadre des marchés publics est significatif.

Quel accueil avez-vous rencontré ?
Dans un premier temps, il était plutôt mitigé. D’une part, beaucoup d’élus n’avaient pas conscience du lien entre leur consommation de bois et la déforestation. Ils ignoraient que la plupart des bancs et pots de fleurs sont en bois tropicaux. D’autre part, le Code des marchés publics ne permettait pas, à l’époque, d’introduire des critères environnementaux dans les appels d’offre. Depuis 2001, l’article 14 du nouveau Code permet la prise en compte des considérations d’intérêt général, dont l’environnement. Le fait que des villes comme Paris, Lyon, Grenoble aient adopté la résolution contribue à rendre les élus beaucoup plus réceptifs à nos arguments. Aujourd’hui, les collectivités territoriales sont de plus en plus nombreuses à se montrer intéressées, certaines nous contactent sans même avoir été interpellées.

Combien de temps, en moyenne, pour passer de l’interpellation à la résolution ?
La demande est généralement relayée par quelques élus et ensuite présentée en assemblée. Cela peut aller très vite comme à Paris où la proposition de résolution a été faite par le groupe des Verts et adoptée très rapidement : en un mois, tout était bouclé. Ou prendre presque un an comme à Lyon. Plusieurs arrondissements étaient prêts mais un travail global a été mené pour que la résolution soit adoptée à l’échelle de la ville.

Quels résultats avez-vous obtenus ?
D’après nos informations, 40 Villes, trois Conseils généraux et six Conseils régionaux ont adopté la résolution. Mais comme le grand public interpelle directement les élus, d’autres collectivités l’ont certainement adoptée sans que nous ayons eu copie de leurs engagements.

Comment comptez-vous prolonger cette campagne ?
Nous souhaitons accompagner les services techniques dans l’application des engagements pris par les élus. Nous élaborons un document qui recensera les alternatives aux bois tropicaux en spécifiant les caractéristiques techniques des bois de "proximité" et leurs utilisations. Cette publication recensera également les distributeurs de bois certifié FSC (Forest Stewardship Council), seul label garantissant que le bois provient d’une forêt gérée de façon durable.

Les ONG disposent-elles d’un réel pouvoir d’influence sur les pratiques des collectivités ?
Les ONG ont acquis au cours des dernières années une expertise qui leur confère une légitimité nouvelle. Le suivi des réglementations nationales, européennes et internationales font qu’elle sont aujourd’hui une réelle force de proposition. Cette campagne en est l’illustration. En suivant le nouveau Code des marchés publics français, la directive européenne relative à la procédure de passation des marchés publics de fournitures et les accords multilatéraux sur l’environnement, nous avons été en mesure de proposer aux collectivités locales, une résolution conforme à ces nouvelles réglementations, pour promouvoir une politique éthique d’approvisionnement. Une démarche d’autant plus intéressante que les collectivités sont aujourd’hui soucieuses d’inscrire leurs pratiques dans une démarche de développement durable.


Pour aller plus loin...

Si vous êtes intéressés par ces démarches d’achats éthiques, vous pouvez contacter :
– F. Castel, les Amis de la Terre au 01 48 51 18 94 pour vous engager sur le bois labelisé FSC ;
– P. Erard, le collectif " de l’éthique sur l’étiquette " au 01 56 03 90 50 pour vous engager sur une motion proposant d’intégrer une clause sociale dans vos achats ;
– P. Canfin, Société Coopérative d’Intérêt Collectif Atkeli au 06 63 51 92 43 pour suivre des formations ou bénéficier d’une assistance sur l’introduction de clauses sociales et environnementales dans vos marchés publics.