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Tourisme équitable : fiction ou réalité ?

juin 2003, par Dora Valayer

Le tourisme est le deuxième secteur économique pour les pays du Sud après le pétrole. Certains en ont fait une stratégie de développement et une source de devises. Cependant, on constate un déséquilibre dans les relations entre visiteurs du Nord et "visités" du Sud, dû à la différence de pouvoir d’achat, à la méconnaissance des cultures et des réalités locales ou au manque de volonté d’adaptation. Une prise de conscience par les voyageurs des conditions inéquitables dans lesquelles s’exerce généralement cette activité (salaires très bas du personnel local dans l’hôtellerie, la restauration, l’animation, voire les transports, importation de produits et de services du Nord pour offrir un service standardisé au Sud, montée des prix ou prostitution grandissante…) représenterait donc un enjeu considérable pour les populations qui en souffrent. Les effets du tourisme sur l’environnement sont multiples, que ce soit à cause des transports aériens, d’une utilisation abusive de l’eau (déjà si rare), des pesticides (pour les terrains de golf par exemple), du dégazage des bateaux de croisière, etc. On assiste aussi à de nombreuses expropriations (y compris pour créer des "réserves naturelles préservées" destinées aux visiteurs du Nord) sous prétexte que les familles vivant là depuis des générations n’ont pas de titres de propriété. C’est une diversité culturelle et des équilibres sociaux et naturels souvent déjà fragiles que le tourisme risque ainsi de mettre à mal, si les pratiques continuent en ce sens.

Il n’y a pas si longtemps, le tourisme ne faisait pas partie des thèmes "sérieux" qu’on abordait dans les textes concernant le développement durable. Une Conférence Mondiale du Tourisme Durable avait pourtant eu lieu en 1995, qui a donné naissance à une Charte du Tourisme Durable. Aujourd’hui, ce thème a sa place dans les discussions grâce à la mobilisation d’organismes créés à cet effet. La prise de conscience des dangers du tourisme date en fait d’il y a vingt ans, suite à des initiatives de pays du Nord de l’Europe et à des rencontres entre représentants des Eglises du Nord et du Sud. Lors d’une rencontre à Bangkok, la Coalition Œcuménique sur le Tourisme du Tiers-Monde (ECTWT) est mise en place afin d’analyser le tourisme du point de vue des personnes du Sud. Conclusion : "le tourisme tel qu’il est pratiqué dans la plupart des régions du Tiers-monde a causé plus de ravages que d’avantages apportés". Naît ensuite le Tourism European Network (TEN) qui se charge d’une part d’alerter les grands organismes mondiaux (ONU, etc.) et d’autre part de faciliter la diffusion de l’information entre les membres du réseau.

Depuis, de nombreuses initiatives ont vu le jour depuis qui visent à développer la responsabilité du touriste, à en faire un acteur responsable des transactions et des échanges qu’implique cette activité. On parle de "tourisme responsable", de "tourisme solidaire" ou de "tourisme équitable" sans que la distinction soit encore très claire. Aujourd’hui, en Europe, le tourisme responsable se développe avec l’arrivée du tourisme rural et les relations positives avec les comités d’entreprise. L’attrait pour ce nouveau type de tourisme pourrait également permettre à des régions riches culturellement et naturellement, mais pauvres en touristes, de faire découvrir leur culture et leurs traditions à des personnes responsables et prêtes à respecter des critères préalables d’équité.

Mais la définition ou la promotion d’un "tourisme équitable" ne va pas sans poser de nombreuses questions. En effet, le tourisme possède des spécificités qui rendent problématique son intégration dans la logique du commerce équitable. Tout d’abord, c’est un bien intangible, son suivi étant dès lors plus difficile à assurer que dans le cas des produits traditionnels du commerce équitable. Il n’est pas garanti à 100 %, "acheter un voyage, c’est acheter un engagement", et les promesses ne sont pas toujours tenues. Les consommateurs de voyages touristiques n’ont pas les repères personnels et médiatiques qu’ils possèdent dans leur pays. En vacances, ils ont tendance à mettre de côté leurs responsabilités professionnelles, sociales et politiques.

Face à cette réalité complexe, les organismes et acteurs du commerce équitable réfléchissent à des moyens éventuels d’élargir la définition de ce type de commerce au tourisme. De ce point de vue, le rôle premier de ces organismes serait d’une part de fournir au touriste, avant qu’il ne parte, les repères manquants, et d’autre part de donner aux pays d’accueil la formation et l’information nécessaires afin qu’ils s’organisent et mettent en place eux-mêmes les régulations qui leur semblent adaptées. Les organismes spécialisés (agences de voyages, ONG, ...) doivent être des facilitateurs et non les instigateurs d’un type de tourisme qui leur semblerait meilleur. Une solution pourrait être de mettre en place des partenariats entre les voyagistes du Nord et les réseaux de commerce équitable déjà existants dans les pays de destination touristique, car les spécificités du tourisme le rendent dépendant de l’équité déjà mise en place. Pour identifier un tourisme "équitable", il serait également nécessaire de mettre en place des organismes spécialisés et indépendants n’organisant pas de voyage eux-mêmes. Or, actuellement, il n’existe pas d’agence indépendante qui se chargerait d’attribuer des labels aux agences respectant les conditions établies par l’Organisation Mondiale du Tourisme. Ce sont les agences de voyage qui s’auto-labellisent…


Ce texte est issu d’un entretien avec Dora Valayer, présidente de l’association Transverses. Extrait de Commerce équitable : propositions pour des échanges solidaires au service du développement durable, éditions Charles Léopold Mayer, "Cahiers de propositions", n°9, Paris, 2003.

L’UNAT (Union Nationale des Associations de Tourisme et de plein air) a publié récemment un guide D’autres voyages, du tourisme à l’échange qui propose des adresses et une définition de pas moins de huit formes différentes de tourisme, que le voyageur moyen a du mal à distinguer (tourisme alternatif, intégré, solidaire, durable, équitable, éco-tourisme, etc.). Cf. http://www.unat.asso.fr/